Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, avant d'aborder les questions de radicalisation, permettez-moi de vous présenter en quelques mots mon action depuis mon arrivée au ministère des sports, car la plupart d'entre vous ne sont pas habitués aux sujets sportifs, et j'aimerais encadrer la thématique de la radicalisation dans mon action de manière plus générale.
Depuis septembre 2018, celle-ci a toujours été guidée par la dimension éducative du sport. À l'heure où la crise mondiale actuelle nous met collectivement au défi de repenser nos rapports à la collectivité, nos activités humaines, mais aussi et surtout ce que nous laisserons aux générations futures, mes convictions sont renforcées quant au rôle du sport pour une société plus juste, plus inclusive, plus respectueuse de l'altérité.
Car le sport crée du lien social, il bénéficie à notre santé et à notre bien-être, il est générateur de compétences, il apprend la différence, la solidarité, la complémentarité. Du fait de mon parcours personnel, j'ajouterai même qu'il nous apprend la place que nous pouvons occuper dans la société.
Au-delà de l'apprentissage du geste technique sportif, l'utilité sociale du sport s'illustre par l'éducation non formelle, la place donnée au corps et l'épanouissement dans le projet commun entre coéquipiers, sportifs, éducateurs, adhérents d'une même association. Nos gymnases, nos stades, nos piscines sont des lieux où la citoyenneté se vit, où nos valeurs républicaines se partagent et sont portées auprès de nos enfants, les enfants nés dans notre pays, mais aussi auprès les enfants venus d'ailleurs, que nous choisissons d'accueillir.
Bien sûr, pour que ces valeurs républicaines nous guident, il nous appartient de les connaître, de les enseigner à nos éducateurs et à nos dirigeants, et de les incarner. Pour accompagner les différents parcours des acteurs du quotidien sportif, j'ai souhaité impliquer plus efficacement l'ensemble de l'écosystème à travers une gouvernance partagée du sport, associant les compétences et les responsabilités de l'État, du mouvement sportif, des collectivités locales et des entreprises du monde économique sportif.
L'Agence nationale du sport (ANS) est née il y a plus d'un an. Elle mobilise des moyens financiers au bénéfice du développement des activités physiques et sportives pour toutes et tous.
Au-delà de ces missions sur la haute performance, j'ai fixé à cette agence l'objectif de garantir une pratique du sport pour tous les publics, à tous les âges de la vie et sur tous nos territoires, mais aussi de privilégier des actions visant à corriger les inégalités sociales et territoriales, notamment en matière d'accès aux pratiques et aux équipements sportifs.
Avec l'ANS, nous avons ainsi lancé des dossiers majeurs, tels que le sport-santé, avec l'intégration de l'activité physique adaptée dans le parcours de soins des femmes qui ont subi un cancer du sein, la labellisation des maisons sport-santé, l'aisance aquatique, afin que cessent les décès par noyade de nos concitoyens, le savoir rouler à vélo, notamment auprès des six à onze ans, mais aussi des adultes.
Chacun de vous mesure aussi combien la mobilité douce et l'écoresponsabilité s'inscrivent avec acuité dans nos enjeux sociétaux actuels.
Vous le savez, l'actualité médiatique de ces derniers mois a aussi révélé les terribles situations de violences sexuelles dont ont été victimes des sportives et des sportifs depuis des années.
Je me suis engagée avec une détermination sans faille à permettre la libération de la parole de toutes les victimes, à créer les lieux pour les accompagner, à modifier les comportements et les systèmes pour que plus jamais de tels faits ne se reproduisent.
Un plan national de prévention des violences dans le sport sera déployé sur l'ensemble du territoire à la rentrée sportive 2020 pour offrir aux clubs, aux dirigeants, aux éducateurs, aux collectivités et aux familles un cadre plus sécurisé mais aussi plus exigeant quant au dispositif de prévention mise en oeuvre.
Sous la coordination de la déléguée ministérielle chargée de la prévention des violences dans le sport, Fabienne Bourdais, que j'ai nommée en début d'année, le ministère construit actuellement les outils de ce plan dans une démarche associant tous les acteurs : mouvements sportifs, bien sûr, collectivités locales, associations nationales de soutien aux victimes, ainsi que d'autres départements ministériels concernés.
J'ai posé la consigne que notre démarche de prévention vise, par une approche convergente, toutes les formes de déviance susceptible de porter atteinte aux valeurs d'inclusion et de tolérance. L'enjeu commun à toutes ces dérives, qu'il s'agisse de discrimination, de violence, du risque de radicalisation ou de dérive communautaire, mais également de dopage, réside d'abord dans la détection des situations à risque et des mécanismes de repli.
Mieux former nos éducateurs et nos dirigeants pour qu'ils puissent être éveillés à ces situations, qu'ils sachent les aborder, réagir et engager des procédures claires et efficaces est mon principal objectif.
S'agissant spécifiquement du phénomène complexe de la radicalisation, nous devons veiller à combattre toute approximation et raccourci. Dans ce domaine, le ministère des sports mène une action volontariste et travaille en étroite collaboration avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), sous l'égide du préfet Frédéric Rose, et l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT).
Un officier de liaison, Philippe Sibille, nous a rejoints au ministère en octobre 2018. Il a pour mission de coordonner toutes les actions ministérielles au plan national et territorial et de faire le lien avec tous les acteurs du sport.
Depuis presque deux ans, plus de deux cents actions de sensibilisation ont été lancées par le ministère des sports et nos services déconcentrés auprès du réseau des référents des fédérations sportives, des CREPS et autres établissements publics, ainsi qu'auprès d'acteurs divers.
Quelque 7 800 acteurs du champ sportif, entraîneurs, dirigeants de club, pratiquants, cadres d'État et fédéraux, élus des collectivités ont été ainsi sensibilisés et formés à détecter les cas, réagir et alerter.
Ces formations se sont faites à travers des conférences, des soirées, des sessions complètes sur une ou plusieurs journées, et cela sur de nombreux territoires.
En complément, j'ai installé, en début d'année, une mission nationale d'appui concernant l'éthique et la responsabilité afin d'impulser et d'étendre les initiatives territoriales, notamment en matière de formation et de sensibilisation des acteurs. Il s'agit, par exemple, de travailler à la mise en place d'un code de déontologie des éducateurs sportifs intégrant la dimension des valeurs républicaines.
Dans le prolongement des actions déjà menées, j'ai engagé divers chantiers, comme l'extension du premier cercle actuel des référents pour la prévention de la radicalisation à l'ensemble des fédérations. Ce réseau, vous l'avez constaté lors d'une précédente audition avec les représentants de directions régionales et départementales, est essentiel à un maillage territorial de toutes les actions de prévention et de contrôle au plus près du terrain.
La mobilisation sur cette problématique des réseaux territoriaux, à travers les prochaines conférences régionales du sport, sera mon prochain objectif.
Le resserrement des liens avec les collectivités, les mairies et les directeurs des sports, en particulier sur la gestion des équipements sportifs et des situations à risque, sera étudié dans le cadre de ces conférences régionales du sport.
Les travaux de recherche, notamment avec le Conseil scientifique sur les processus de radicalisation (COSPRAD), seront documentés pour qu'on arrive à déterminer les liens véritables entre le sport et le processus de radicalisation de manière scientifique et partagée.
Le renforcement des engagements des fédérations agréées et délégataires en matière d'actions de promotion des valeurs éthiques et républicaines, de mixité et d'égalité, est aussi un objectif qui aura vocation à figurer dans une loi sport et société que nous appelons de nos voeux.
En complément de cette stratégie d'entrave et de lutte contre les atteintes aux valeurs de la République, il est essentiel de conduire, en parallèle, une politique de reconquête républicaine de certains quartiers.
Dans cet objectif, le sport a toute sa place et doit offrir des alternatives à des jeunes qui se retrouvent désoeuvrés, déscolarisés, et qui ont besoin de conserver un lien fort avec la société.
Puisque le sport est un ciment social et un lieu de construction de la citoyenneté, d'apprentissage de la laïcité et de la mixité et qu'il est de l'essence même de l'État et du mouvement sportif de garder le lien avec ces jeunes et de les accompagner vers leur vie d'adulte, je me suis engagée pleinement dans le plan aujourd'hui porté par le Président de la République, qu'il a inauguré le 18 février dernier, lors de son déplacement à Bourtzwiller.
Bourtzwiller est un des dix-sept territoires de lutte contre la radicalisation où sont mises en place des cellules contre l'islamisme et le repli communautaire dont le chef de l'État souhaite aujourd'hui renforcer l'action. J'ai pu y constater le rôle de prévention que jouent les associations et les clubs sportifs.
Aussi, par le biais de l'Agence nationale du sport, nous souhaitons amplifier notre action dans les quartiers prioritaires de la ville. Nous insisterons sur l'accompagnement vers une plus grande mixité des pratiques dès le plus jeune âge, comme l'apprentissage de la natation dès l'âge de quatre ans, mais également du savoir rouler à vélo et autres actions qui pourront être menées de concert avec l'éducation nationale, notamment à l'école maternelle et à l'école primaire.
Nous voulons mettre l'accent également sur les financements consacrés aux équipements sportifs de proximité et aux aides à l'emploi pour les éducateurs intervenant dans ces quartiers.
Avec un appel à projets spécifique, lancé en 2019 par l'Agence nationale du sport, et renouvelé pour l'année 2020, nous soutenons également les actions des associations sociosportives qui utilisent le sport comme un outil d'éducation et d'intégration.
Nous accompagnons d'ailleurs la structuration de leur réseau sociosportif, qui a vu le jour hier. Un collectif de la performance sociale du sport a été formé. Les associations se sont réunies de manière à pouvoir être plus présentes dans les différents appels à projets des ministères - intérieur, la politique de la ville, éducation, cohésion des territoires et sports.
Vous l'avez compris, mesdames les sénatrices et messieurs sénateurs, je défendrai toujours l'idée qu'un sport sain et éducatif ne peut être qu'un sport républicain, où s'incarnent les principes fondamentaux de liberté, de conscience, mais aussi d'unité et de fraternité. L'héritage olympique que la France entend laisser aux générations futures sera celui d'un sport humaniste, à la fois riche de son multiculturalisme, et fondamentalement attaché au principe d'égalité entre tous les citoyens.
Je vous remercie.