L'Intersyndicale nationale des internes (ISNI) représente en France 10 000 adhérents sur 30 000 internes. Les internes constituent 40 % du personnel médical des hôpitaux, selon les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), et connaissent un dépassement du temps de travail chronique et généralisé de 57 heures en moyenne, avec plus de 80 heures dans les disciplines chirurgicales, constat confirmé très récemment par une enquête du ministère de la santé.
Les internes représentent l'hôpital d'aujourd'hui et celui de demain, et constituent une sorte de thermomètre. Celui-ci est cassé car, selon une étude terrible à paraître, 23 % seulement des internes considèrent l'activité à l'hôpital public comme attractive.
J'insisterai sur trois points essentiels qui reviennent souvent, que le Ségur de la santé n'a fait qu'aborder.
Il s'agit tout d'abord de ce que j'appelle l'« hydre managériale hospitalière ». L'ISNI le répète depuis des années : le péché originel vient de l'absence de séparation du grade et de la fonction, dont le coût est extrêmement élevé. On trouve, d'un côté, les « mandarins », des professeurs d'université praticiens hospitaliers, qui forment l'aristocratie médicale. Celle-ci cumule quatre fonctions, l'enseignement, la recherche, la clinique et le management. C'est doublement problématique : il est en effet très difficile, dans une journée de 24 heures, de cumuler ces quatre fonctions de manière satisfaisante. Par ailleurs, ce sont des personnes qui, malgré leur bonne volonté, n'ont aucune formation.
Enfin, lorsque la possibilité de s'investir est trustée par un corps en particulier et que vous ne trouvez pas votre place, vous partez !
La deuxième tête de l'hydre est constituée par les directeurs d'hôpitaux, qui rencontrent les mêmes écueils que les personnes issues de l'ENA, qui a été très largement réformée et qui a même changé de nom. Même s'ils ont toute l'efficacité et la bonne volonté du monde, ils développent une forme de pensée unique, dans le cadre d'une école unique, avec un système d'avancement et de promotion unique géré par le Centre national de gestion, lui-même piloté par des directeurs d'hôpitaux.
Cette hydre connaît aussi un problème dû à une imperméabilité totale entre ses différentes têtes. L'aristocratie médicale - les professeurs, les chefs de service - et la direction hospitalière se parlent très peu et se détestent, souvent pour des guerres d'ego enfantines. Cette incompréhension coûte cher, et ce sont les médecins comme les administrateurs qui en sont responsables.
Cela fait des années que le financement des hôpitaux est basé sur l'activité. Il y a là un problème majeur : on s'est peut-être trompé sur ce que devait être la tarification à l'activité. Elle devient une gesticulation médicale et une gesticulation de santé, alors qu'elle doit porter sur le service rendu et la pertinence des soins, ce qui n'élude pas la question économique. La pertinence des soins, c'est le jute soin au bon moment.
Enfin, la France a imaginé le système de santé comme un agglomérat d'établissements et de professionnels, alors que la seule façon utile de le penser est de mettre le patient au centre du problème. C'est très démagogique, mais pensez au parcours d'un patient : il consulte un médecin libéral en ville, puis va éventuellement dans un hôpital ou une clinique. Or le meilleur moyen de communiquer est de parler la même langue. Cependant, les systèmes d'information sont différents, et il est impossible de transférer immédiatement les dossiers des patients.
On voit alors un patient arriver sur un brancard avec une pile de dossiers. On sait qu'il a réalisé des imageries, mais on attend parfois 48 heures avant de les recevoir, et l'on refait donc des examens qui ont déjà été réalisés. Ceci devrait constituer une priorité d'action.
Les internes sont un thermomètre, mais celui-ci est grippé car ils sont « séquestrés » dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Vous pouvez interroger tout le monde : on veut absolument qu'ils y restent et n'aillent pas se former dans le privé ni dans les hôpitaux périphériques, qui déplorent eux-mêmes cette situation.
La conséquence de tout ceci, c'est l'épuisement et le burn out. Il y a quelques mois, nous avons organisé un colloque à l'Assemblée nationale sur la santé mentale des internes : on a dénombré 25 % de dépressions chez les internes et étudiants en médecine en 2020.