Intervention de Mathilde Renker

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 13 janvier 2022 à 16h00
Audition d'internes et de jeunes médecins : M. Gaëtan Casanova président de l'intersyndicale des internes isni Mme Mathilde Renker présidente de l'intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale isnar-img dr thiên-nga chamaraux tran vice-présidente en charge de la médecine hospitalière de jeunes médecins dr agathe lechevalier présidente du regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants reagjir

Mathilde Renker, présidente de l'intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) :

De très nombreux internes sont en ce moment même en extrême souffrance du fait de la situation de l'hôpital. J'aimerais donc profiter de cette intervention pour vous apporter quelques éléments de contexte et faire le lien avec la situation de la médecine de ville.

La pandémie actuelle n'a fait que mettre en lumière un mal-être déjà présent depuis de nombreuses années. Nos organisations en font le constat régulièrement à travers les enquêtes sur la santé mentale, dont les résultats sont toujours plus catastrophiques. L'enquête de 2021 a montré qu'un étudiant en médecine sur quatre a présenté un épisode dépressif caractérisé sur les douze derniers mois. Ce qui est à la base une vocation devient de plus en plus un fardeau.

Depuis plusieurs années, nous assistons à une lente agonie de l'hôpital public. Une réforme d'envergure doit être mise en oeuvre. Les jeunes médecins sont porteurs de solutions et d'initiatives pour améliorer cette situation.

L'attractivité de l'hôpital public doit être une des priorités des établissements. Les jeunes aspirent à une meilleure qualité de vie leur permettant de concilier vie professionnelle et personnelle. Actuellement, 70 % des internes déclarent travailler au-delà des 48 heures hebdomadaires légales, et ce en toute impunité.

Une remise en question globale des conditions de travail des internes doit voir le jour, avec une généralisation des tableaux de service permettant de suivre le temps de travail, mais cela doit aller plus loin : nous réclamons des sanctions à destination des établissements, la prise en compte du temps de travail et de la qualité de vie dans la délivrance des agréments de stage, et la possibilité de retirer ou de suspendre les agréments de stage en cas de violences.

De manière générale, il faut revoir la culture du monde hospitalier, qui normalise voire encourage les violences, les humiliations, les agressions. Les chiffres sont effarants : un étudiant en médecine sur quatre déclare avoir subi une forme de harcèlement. La même proportion rapporte des humiliations, et on dénombre jusqu'à 3 % d'agressions sexuelles.

Les annonces gouvernementales nous laissent espérer des améliorations en ce sens. Cependant, la maltraitance quasi institutionnalisée de nos services hospitaliers demande un investissement constant et des changements systémiques. Il est temps de remettre la bienveillance et la solidarité au coeur de notre système de soins.

Cette problématique du temps de travail touche durement les internes, qui sont pressurisés pour maintenir à flot un hôpital presque submergé. Le manque de moyens matériels, de moyens humains, la vétusté de certains locaux, l'épuisement des personnels aboutissent à une perte de sens de nos métiers, qui ne présentent plus d'attrait pour les jeunes générations pleines d'espoirs.

J'ai bien conscience que ces problématiques aggravent les difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel médical déjà présentes. J'aimerais insister sur l'impact négatif de ce problème sur les internes, et tout particulièrement ceux de médecine générale, qui réalisent des stages dans les petits centres hospitaliers, encore plus durement touchés par la pénurie de médecins.

En effet, comment espérer obtenir une formation de qualité quand les médecins seniors, supposés nous épauler et enseigner, sont eux-mêmes bien trop débordés ou changent tous les mois ?

Une réorganisation de notre système de santé doit voir le jour pour permettre de libérer du temps médical en diminuant les charges administratives et en augmentant le temps passé auprès des malades.

Toutefois, le manque de temps et de moyens n'est pas l'apanage de notre hôpital.

Le milieu ambulatoire est également en souffrance. Les médecins généralistes, pierre angulaire du système, sont en tension et ne sont pas à même de répondre à la demande de soins. Le nombre de médecins généralistes a diminué au profit d'une augmentation du nombre total des autres spécialistes. Le constat est là : nous ne sommes pas assez nombreux.

En parallèle, l'augmentation et le vieillissement de la population ont créé un besoin de soins plus important, avec une augmentation des pathologies chroniques, des problématiques de maintien à domicile et des prises en charge toujours plus complexes et chronophages.

Les problématiques liées au vieillissement sont plus prégnantes que jamais et nécessitent de revoir l'organisation du système de soins afin de permettre une prise en charge coordonnée entre les différents professionnels, avec des moyens de communication adaptés.

Pour autant, les jeunes ont toujours l'envie de soigner et d'aider au mieux les populations. 80 % des internes de médecine générale envisagent un exercice en milieu rural ou semi-rural.

Qu'est-ce qui pourrait aider ces jeunes médecins qui souhaitent s'installer ?

La création de guichets uniques, facilitateurs d'installation pour les jeunes générations, permettrait de simplifier les démarches et supprimerait un frein important. Les aides financières seules ne peuvent suffire à résoudre ces problématiques. Elles doivent permettre d'engager un accompagnement du jeune médecin dans son installation.

La présence de services publics, de transports, d'un emploi pour le conjoint ou la conjointe sont autant de leviers permettant de rendre les territoires attractifs. Pour les internes, et selon l'enquête sur les déterminants à l'installation du Conseil national de l'ordre des médecins, le premier facteur déterminant l'installation est la proximité familiale et le second la présence de services publics.

L'aspect financier, bien que n'étant pas majoritaire, reste un des leviers possibles. En ce sens, le nouveau contrat de début d'exercice, lancé en février dernier, permet non seulement une aide financière, mais également une couverture sociale majorée. Il doit être développé et proposé le plus largement possible aux jeunes générations.

Autre levier d'action pour valoriser les territoires et encourager l'installation : le développement des stages en milieu ambulatoire. Pour permettre la découverte des territoires, les étudiants doivent pouvoir y être accueillis dans de bonnes conditions, notamment via le développement des hébergements territoriaux d'étudiants en santé, l'augmentation de l'indemnité de transport, actuellement à 130 euros par mois, figée depuis 2014.

La formation doit cependant rester qualitative et ne pas dégoûter préalablement les étudiants déjà éprouvés par un système maltraitant. Actuellement encore trop centrée sur le CHU, la formation doit s'ouvrir à la multitude des exercices possibles en médecine.

Si je devais choisir un mot sur ce qui manque aujourd'hui à notre système de santé, j'utiliserai celui de bienveillance.

Remettre la bienveillance au coeur de notre système de soin, c'est permettre à chaque étudiant de découvrir les multiples facettes de la médecine et de s'épanouir dans cette merveilleuse profession qu'ils ont choisie. C'est permettre à chacun d'exercer librement, sans contraintes à l'installation, et remettre la confiance aux mains des professionnels, garants d'un système de santé pour lequel ils s'échinent déjà.

La bienveillance, c'est garantir à tous les soignants un épanouissement professionnel permettant un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, propice à la pérennité de notre système de soins,

Enfin, la bienveillance, c'est redonner à tous les soignants les moyens d'apporter des soins dignes et de qualité à l'intégralité de la population française.

La bienveillance pour les soignants, aujourd'hui, c'est permettre de construire un système de soins qui sera plus tard bénéfique à chacun de nos patients.

Dr Agathe Lechevalier, présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReaGJIR). - Ma vision est celle des jeunes médecins généralistes qui ont un exercice majoritairement ambulatoire, mais on ne peut parler d'hôpital sans parler d'ambulatoire.

Comme l'a dit le docteur Renker, on constate une augmentation de la charge en ambulatoire liée à plusieurs facteurs, comme l'augmentation et le vieillissement de la population, avec ses pathologies chroniques, ainsi qu'une diminution du temps médical, les médecins généralistes n'ayant pas d'aspiration à avoir la même charge de travail que leurs aînés.

On assiste aussi globalement à une surmédicalisation de la société française, avec un recours à la consultation pour des motifs administratifs - certificats, arrêts de travail pour des pathologies bénignes ou qui pourraient être gérées à la maison, éventuellement avec l'aide des autres professionnels de santé, qu'il s'agisse des pharmaciens, des infirmières, etc.

Globalement, il existe assez peu d'éducation à la santé en France, d'où une demande de soins importante en ambulatoire, qui se répercute inévitablement vers les services d'urgence pour ce qui est des soins non programmés.

Ceux-ci sont saturés par des pathologies qui pourraient être traitées par la médecine de ville et qui ne le sont pas, faute de réponse du fait d'une surcharge de travail.

Les urgences constituent la porte d'entrée de l'hôpital. Pour un médecin généraliste, il est compliqué d'adresser directement un patient dans le service concerné par sa pathologie. On demande en effet aux médecins d'adresser les patients aux urgences, ce qui entraîne une charge de travail non justifiée pour ces dernières, le patient y étant réorienté vers le service hospitalier qui le concerne.

On observe en matière d'hospitalisation des prises en charge de plus en plus rapides, avec des objectifs de durée de séjour sans anticipation de la suite de la prise en charge en ambulatoire, une communication insuffisante entre médecins et une absence d'anticipation de certaines problématiques médicales et sociales.

Concrètement, les patients qui manquent d'autonomie sont renvoyés à la maison faute de possibilité de les garder à l'hôpital du fait des objectifs de durée de séjour. Ils se retrouvent dès lors avec des problématiques d'autonomie ou des problématiques médicales qui n'ont pu être gérées à l'hôpital par manque de temps et qu'on traite en ambulatoire, avec des moyens souvent insuffisants.

De façon plus générale, on déplore un manque de communication entre les hospitaliers et les libéraux. Il est très compliqué, en ville, d'avoir des avis de la part des hospitaliers, et on attend un dossier médical en ligne qu'on nous promet depuis plusieurs années.

Ma consoeur a décrit la vision que l'on peut avoir du système hospitalier, avec un manque de modernisation du système informatique, un manque d'homogénéité des systèmes en place, qui sont parfois obsolètes. On voit d'ailleurs que les hôpitaux sont régulièrement victimes de malwares, le système ne permettant malheureusement pas une protection optimale.

En matière de santé mentale, les places en hospitalisation et les ressources hospitalières ou celles des centres médico-psychologiques sont largement insuffisantes, que ce soit pour les adultes ou en pédopsychiatrie, où la situation dépasse le champ de la médecine générale, les patients en souffrance ne pouvant recevoir de réponse.

On constate, s'agissant plus spécifiquement de l'attractivité, vu de l'hôpital et même de l'extérieur, des conditions financières insatisfaisantes, avec des échelons bloqués pendant plusieurs années, et un recours au CDI pour les paramédicaux plutôt qu'à la titularisation, avec des avantages inférieurs.

Mes consoeurs et mon confrère en ont parlé : les internes étudiants sont utilisés comme main-d'oeuvre bon marché, avec un encadrement lacunaire qui les dégoûte du travail hospitalier. On constate aussi une externalisation des prestations à l'hôpital, avec des recours à certaines entreprises plutôt qu'à des embauches. Je pense ici à l'entretien des locaux et aux facturations supplémentaires des patients - chambres seules, coûts de stationnement et dépassements d'honoraires, de plus en plus pratiqués dans l'hôpital public.

Enfin, les conditions de travail à l'hôpital sont déplorables : charge de travail importante pour les personnels médicaux ou paramédicaux, horaires longs, manque de reconnaissance du travail fourni, impression de courir après le temps sans possibilité de réaliser un travail de qualité, manque de matériel, personnels ballottés dans les services et, surtout, manque d'accompagnement psychologique, particulièrement pour les services concernés par l'épidémie de covid, toujours en cours.

Or les soignants qui s'engagent dans l'hôpital public le font avec le goût du service public et l'envie d'aider les autres, sans question de rentabilité. Un espoir est né durant la crise du covid, avec le « quoi qu'il en coûte », celui de se focaliser à nouveau sur le soin et d'abandonner la logique de rentabilité - mais je crains qu'on soit revenu sur cette question.

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