Intervention de Marc Ladreit de Lacharrière

Mission commune d'information Agences de notation — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Marc Ladreit de lacharrière président de fimalac premier actionnaire et président de fitch

Marc Ladreit de Lacharrière, premier actionnaire et président de Fitch :

Je ne participe en principe jamais à des auditions comme celle-ci. C'est par respect pour votre institution que je me suis rendu à votre invitation.

L'idée d'agence de notation a pris corps en 1986, à la suite du « big bang » qui s'est produit à la City de Londres, qui a conduit le secteur de la finance à s'ouvrir à la mondialisation financière, notamment en recourant aux systèmes de déréglementation et de désintermédiation qui sont à la base de celles-ci.

A cette époque, je travaillais chez L'Oréal mais présidais également toute une série de commissions, dont celle des conseillers du commerce extérieur de la France et de la section européenne du Bilderberg, grand organisme de think tank international. Le ministre des finances le plus favorable à l'entrée de la France dans le monde moderne, Pierre Bérégovoy, dans les années 1983 à 1984, m'avait fait une grande confiance et nommé président des commissions d'adaptation de la France à l'économie ouverte.

Je me suis progressivement rendu compte que l'ouverture de l'Europe impliquait des changements structurels dans la manière de financer le monde ; vingt-cinq ans après, ces changements ne sont pas encore perçus à leur juste mesure, notamment en Europe continentale ! Je me suis alors demandé, début 1990, s'il ne convenait pas de créer une agence de notation financière. La France était en effet restée enfermée dans des carcans administratifs extraordinairement forts. A la fin du septennat de Valéry Giscard d'Estaing, nous étions dans une économie totalement fermée : contrôle des changes, des prix, des salaires, des notes de frais. Grâce à Pierre Bérégovoy, il avait été décidé que la France épouse son temps et ceci devait changer profondément le financement des Etats mais aussi celui des collectivités locales et des entreprises.

Axa déposait à l'époque son argent à la BNP, qui le prêtait à L'Oréal. Dans le système ouvert, Axa pouvait directement prêter son argent à L'Oréal. Encore fallait-il que les investisseurs institutionnels aient une idée sur la capacité de l'emprunteur de rembourser les sommes qu'ils lui prêtaient ! Il n'existait pratiquement rien en Europe et lorsque j'ai décidé de fonder mon groupe, en 1991, j'ai décidé d'investir dans une activité d'agence de notation. Nous ne comptions au début aucun client. Or, pour développer une agence de notation, il faut être compétent et reconnu par les investisseurs.

L'opportunité s'est alors présentée de prendre progressivement le contrôle d'une petite agence anglaise, IBCA. Il ne faut pas se bercer d'illusions : nous vivons et continuerons encore longtemps à vivre dans un monde anglo-saxon ! Cette agence s'était déjà fait un nom en Europe dans le domaine de la notation des établissements bancaires ; elle avait également initié un département relativement important à son échelle en matière de notes souveraines des Etats. Nous avons donc cherché à développer cette ligne en explorant différents axes qui ne pouvaient qu'être européens et en nous installant progressivement dans chacun des pays de l'Europe continentale, IBCA étant exclusivement basée à Londres, pour essayer de prendre position par rapport aux grandes agences, à l'époque exclusivement américaines, qui notaient les Etats souverains, les entreprises et les collectivités locales essentiellement à partir des Etats-Unis ou du Royaume Uni.

Nous nous sommes donc dit que nous pourrions créer des établissements et des filiales au sein de chaque pays. C'est un point très important, ce choix permettant aux entreprises de disposer, dans chaque pays où l'on s'installait progressivement, d'analystes parlant la même langue et comprenant les soucis de tel ou tel pays.

Nous ne pouvions qu'être Européens mais nous avons demandé l'accréditif Nationally Recognized Statistical Organizations (NSRO) auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), régulateur américain qui établit les normes mondiales et qui délivre ces accréditifs de manière parcimonieuse. Or, nous ne parvenions pas à obtenir ce document, la SEC considérant que nous n'avions pas atteint le niveau de compétences suffisant.

Nous avons alors été contactés par les dirigeants d'une agence appelée Fitch qui, désirant donner une envergure mondiale à leur affaire installée exclusivement aux Etats-Unis, voulaient nous acheter. C'est le contraire qui s'est produit : c'est nous qui avons acheté Fitch ! Nous nous sommes dès lors appelés Fitch-IBCA et avons obtenu la reconnaissance de la SEC, après lui avoir soumis des dossiers extrêmement importants, celle-ci considérant l'entreprise mais également le dirigeant que j'étais alors, qui contrôlait ces deux agences.

Une quatrième agence de notation américaine, cotée à New York, Duff and Phelps, cherchait à l'époque un actionnaire ; elle était convoitée par un grand groupe allemand, Bertelsmann. L'Allemagne a toujours voulu faire une agence de notation européenne ; l'idée était de pouvoir, à travers Duff and Phelps, jeter les bases d'une telle structure. Nous sommes allés plus vite qu'eux et les dirigeants ont préféré venir avec nous plutôt qu'aller dans un grand groupe comme Bertelsmann.

Duff and Phelps, implantée dans le « corporate » -les entreprises industrielles et commerciales- était très importante pour nous, Fitch étant dans la titrisation et les crédits structurés, et IBCA dans les banques et le sovereign rating. Il s'agissait pour nous d'un complément important. Nous avons pu négocier avec un groupe de presse et d'édition, Thomson Financial Services, un des plus grands groupes mondiaux d'informations économiques. Ce dernier était propriétaire d'une agence appelée Bank Watch, qui avait également obtenu le NSRO de la SEC. Voyant que j'étais arrivé à réaliser une recomposition mondiale des agences de notation, Thomson Financial Services a préféré s'associer avec nous et nous apporter Bank Watch ; ce groupe d'édition est resté mon actionnaire pendant de nombreuses années avant que je ne reprenne ses parts.

Il était ensuite très difficile de s'appeler Fitch-IBCA-Duff and Phelps and Bank Watch. Nous avons pensé qu'il valait mieux prendre le nom de Fitch, plus simple, en lui ajoutant le terme de « ratings », qu'il n'avait pas à l'époque. J'ai installé un double siège : l'un en Europe, à Londres et un autre aux Etats-Unis, à New York. Toutes les filiales européennes dépendent du siège anglais.

Il fallait harmoniser les équipes composées d'Anglais, de Canadiens, d'Américains, d'asiatiques, d'Européens.

Je suis le Président de FitchGroup ainsi que le Président du Comité Stratégique. Je suis résident à Paris. Le « Chief Financial Officier » est français, lui aussi est basé à Paris. Le « Chief Executive Officier » (CEO), est anglais, il est basé à Londres ainsi que la division « sovereign » et son Directeur. Les normes d'appréciation des Etats se font à partir de Londres. Quand les Etats de la zone euros sont notés, ce n'est pas par des américains.

Est-il normal que José Manuel Barroso, Président de la Commission Européenne ose dire que « les agences de notation sont américaines » ? « Il me semble étrange que qu'il n'y ait pas une seule agence venant d'Europe » déclare-t-il avant d'accuser celles qui ont pignon sur rue d'avoir « un parti pris contre l'Europe » ! Quel est le but d'une telle désinformation ?

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