Intervention de Marc Ladreit de Lacharrière

Mission commune d'information Agences de notation — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Marc Ladreit de lacharrière président de fimalac premier actionnaire et président de fitch

Marc Ladreit de Lacharrière, premier actionnaire et président de Fitch :

En France : les entreprises publiques -SNCF, RATP- ou la Caisse des dépôts, ont, elles aussi, la garantie » implicite » du Gouvernement français. Quand on attribue un triple A à la France, la RATP, comme toutes les entreprises que je cite, est notée triple A. Quand ces sociétés publiques émettent un emprunt, elles bénéficient grâce à cette note du coût le plus faible possible. La garantie « explicite » constitue une caution en bonne et due forme. Les garanties ne paraîtraient plus dans le hors-bilan de la France, mais dans son endettement. Il en va de même aux Etats-Unis ! Nous pensions que la garantie « explicite » serait accordée à ces deux entreprises sur les crédits consentis au moment de la crise. Or, il se trouve que M. Paulson n'a pas agi de la sorte.

Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? La garantie « explicite » risquait d'entraîner un endettement plus important des Etats-Unis, avec un risque sur la note américaine. Il pensait que la crise serait moins longue que prévu et que la baisse de l'immobilier américain ne serait pas si sensible. M. Paulson s'est ensuite vu obligé d'agir comme prévu mais avec un an de retard, en 2008, à la demande de la Russie et de la Chine, ces deux pays détenant en placement 10 % des subprimes américains.

Si cela avait été fait un an avant, il n'y aurait pas eu de catastrophe. On aurait rassuré les marchés et les banques. La crise de liquidités d'août 2007 et de solvabilité auraient été moins violentes. On fait remonter la crise à 2008. La réalité est qu'elle remonte à fin 2006-début 2007, mais qu'elle devient publique en août 2007.

Qu'a fait Fitch durant cette période ? Contrairement à ce qu'on a dit, dès 2005, Fitch a prévenu le marché d'une manière extrêmement précise de l'évolution de la situation américaine, attirant l'attention sur les risques en cas de baisse de l'évolution des crédits américains. Cela a été publié sur Internet. Toutes les études dont je vais parler s'y trouvent également.

Le 17 janvier 2006 et le 11 décembre 2006, nous avons produit des notes concernant les risques liés à l'appréciation des performances des subprimes. Un « advisory committee » de Fitch, présidé par Valéry Giscard d'Estaing, s'est réuni en novembre 2006. Paul Volcker, aujourd'hui conseiller économique de Barack Obama, siégeait dans ce comité, qui comprenait également toute une série de gouverneurs de banques centrales à la retraite, comme M. Tietmeyer. Aucun ne nous a dit qu'un ralentissement économique immobilier allait intervenir aux Etats-Unis. Il est intéressant de le savoir après-coup ! Ils ont abordé d'autres sujets importants mais personne n'a soufflé mot d'un tel événement.

Par exemple, M. Volcker a dit la chose suivante : « L'économie a progressé en dépit de la crainte des déséquilibres et des déficits mais, malgré les inquiétudes relatives à la fin de l'expansion du secteur immobilier, je n'envisage aucun déclenchement de crise ». C'était le langage commun de l'époque !

La crise devient publique en août 2007 ; en juin, deux mois avant le début de la crise, le G 8 s'est réuni sur la mer baltique : on ne trouve pas une seule phrase sur le risque américain ! On y a évoqué de grandes réformes mais rien à propos de la crise américaine. Naturellement, MM. Paulson et Bush savaient mais, personne ne s'y intéressant, aucun n'a dit un mot à ce sujet !

Qu'a donc fait Fitch ? Nos parts de marché dans les Residential Mortgage-Backed Security (RMBS) -prêts hypothécaires résidentiels- sont passées de 85 % à 40 % entre 2000 et 2006. Nous nous sommes progressivement retirés de la notation de ce genre de crédits, qui constituaient pourtant un énorme marché tandis que les parts de marché de Moody's, durant la même période, sont passées de 40 à 90 %.

Il existait de la même manière des produits extraordinairement rentables, les Constant Proportion Debt Obligations (CPDO), également destinés à des crédits résidentiels ; nous avons refusé de les noter.

Cette prudence dont nous tirons aujourd'hui un bénéfice moral évident, a bien eu des conséquences sur notre activité commerciale. Notre chiffre d'affaires, durant cette période, a évidemment progressé moins rapidement que celui des autres grandes agences, notamment Moody's.

J'ai donc été choqué de lire dans la presse ce qu'a dit Mme Catherine Gers, ex-collaboratrice de Moody's, lors de son audition devant votre mission, qui a affirmé « qu'aucune agence de notation n'a pressenti la dangerosité des supbrimes ! ». Elle a prétendu qu'il s'agissait « d'un énorme marché sur lequel toutes les agences se sont précipitées, aucune n'ayant eu le courage de refuser » : comme vous pouvez le constater, ce n'est pas vrai ! C'est là le style de désinformation auquel nous devons faire face car les parts de marchés dont je parlais sont des statistiques officielles.

Je m'insurge contre la manière dont on peut présenter la situation ! Dès 2005, nous avons alerté le marché et l'avons quitté progressivement. A l'époque, personne ne savait que la crise de l'immobilier allait être si profonde et la dégradation aussi forte parce que cela ne s'était jamais produit. Même les mieux informés -les chefs d'Etat- discutaient en juin de tout autre chose que de la crise américaine !

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