Intervention de Marc Ladreit de Lacharrière

Mission commune d'information Agences de notation — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Marc Ladreit de lacharrière président de fimalac premier actionnaire et président de fitch

Marc Ladreit de Lacharrière, premier actionnaire et président de Fitch :

J'attire votre attention sur la nouvelle régulation qui a déjà connu deux vagues. Nous y avons été très favorables.

La Commission européenne s'est emparée d'une nouvelle idée : gérer les relations entre les entreprises de l'Union européenne et les agences de notation. Le choix de cette orientation est d'autant plus étonnant que les critiques faites aux agences ne portent pas sur la notation des entreprises, qui ne sont en rien concernées par les crises du subprime aux États-Unis ou des dettes souveraines en Europe.

Adopter des dispositifs spécifiques à l'Union européenne est un non-sens. La mise en oeuvre d'une telle obligation compliquerait le placement des dettes européennes et se traduirait par une hausse des taux d'intérêt. La dette européenne demeure en effet majoritairement souscrite par des investisseurs anglo-saxons, notamment américains. Les entreprises et les collectivités publiques européennes empruntent chaque année environ 2 000 milliards d'euros aux Anglo-Saxons. La dette publique française, qui s'élève à environ 1 800 milliards d'euros, est ainsi souscrite à hauteur des deux tiers par des investisseurs étrangers qui sont pour un tiers basés aux États-Unis.

La Commission européenne souhaite imposer une rotation obligatoire des agences de notation : une agence ne pourrait noter un émetteur que pour une durée de trois ans. Cette obligation nouvelle donnerait leur chance à une dizaine de petites agences (six allemandes, deux britanniques, une grecque, une portugaise, une bulgare) accréditées par la Commission. L'objectif affiché est de permettre à de petites agences de se faire une place sur le marché de la notation. Mais la Commission semble oublier que dans une économie de marché, la concurrence ne se décrète pas de façon unilatérale, arbitraire et artificielle. Elle résulte d'un libre choix des investisseurs qui, en professionnels avertis, privilégient naturellement les agences disposant d'une reconnaissance auprès de la SEC américaine. Sans cette reconnaissance l'accès auprès des grands investisseurs américains est pratiquement impossible. Il est naïf de penser qu'imposer une règle de rotation sans tenir compte des besoins et des choix des investisseurs suffira à ouvrir le marché de la notation à de petites agences non reconnues par les professionnels : la plus petite des trois grandes agences, Fitch, a mis une vingtaine d'années à obtenir cette reconnaissance. C'est la raison pour laquelle tous les acteurs concernés, investisseurs comme émetteurs de dettes, se sont déclarés opposés à cette nouvelle réglementation lorsqu'ils ont été consultés.

En dépit de l'opposition manifestée par les acteurs de marché, la Commission a souhaité présenter ce dispositif au Parlement européen et au Conseil de l'Union européenne. Une telle ambition ne laisse pas de surprendre. Mais la Commission risque surtout de devenir le cheval de Troie des petites agences américaines et de favoriser le renforcement de la présence dans la zone euro d'agences domiciliées aux États-Unis.

Les grands investisseurs basés aux États-Unis imposent en règle générale à leurs gestionnaires de prendre du papier noté par une agence agréée par le régulateur américaine, la Securities and Exchange Commission (SEC). Suite à la crise financière, la SEC a élargi le champ des agences agréées à neuf agences mais n'a pas attribué son label aux petites agences européennes, ce qui contrarie leurs activités sur le territoire américain. Seules des petites agences américaines ont été labellisées par la SEC. Si l'obligation de rotation était mise en oeuvre, les entreprises européennes devraient donc recourir à l'une des petites agences américaines afin d'avoir accès aux investisseurs anglo-saxons. Ce risque est d'autant plus fort que la dette européenne demeure, et demeurera longtemps encore, majoritairement souscrite par des investisseurs anglo-saxons. La dépendance aux méthodologies, aux pratiques et aux réglementations d'origine américaine en sera accrue, ce qui va à l'encontre des souhaits des dirigeants politiques européens qui auraient souhaité que des normes prenant plus en compte les spécificités de l'Europe soient adoptées.

Une réforme de la notation ne saurait être engagée qu'à l'échelle de la planète. Des propositions purement européennes pourraient être interprétées par les investisseurs extérieurs à la zone euro comme une atteinte à leur liberté de choix et seraient susceptibles de les détourner de l'Europe, ce qui serait dommageable étant donné l'ampleur de notre endettement.

Comment faire comprendre qu'on joue avec le feu ? Parce que l'Europe dépend du bon vouloir des investisseurs étrangers pour le financement de son économie et de son endettement, elle ne doit pas devenir une région à risque où la concurrence est remise en cause et l'information contrôlée.

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