Je représente, avec M. Jean-François Corty, l'association Médecins du monde, que vous connaissez tous. Les utilisateurs de drogues constituent, au même titre que d'autres personnes éloignées du système de soins, des populations cibles de certains de nos programmes. Nos missions dites de réduction des risques représentent 6 à 8 % de notre activité en France et dans le monde.
Médecins du monde n'a pas vocation à prendre en charge les toxicomanes sur le plan thérapeutique. Nous cherchons plutôt à anticiper et prévenir les conséquences sanitaires de l'usage de drogues, par quoi nous entendons des substances psychoactives dont la cession, la détention et la consommation sont illicites au regard des lois nationales ou des conventions internationales. Nous ne prodiguons de soins aux toxicomanes ni en France ni à l'étranger et ne préjugeons d'aucune option thérapeutique - traitement de substitution, sevrage ou séjour dans une communauté thérapeutique -, dont le choix relève des professionnels. Toutes sont possibles pourvu qu'elles respectent les standards des bonnes pratiques professionnelles validées notamment par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), en partenariat avec le programme des Nations Unies de lutte contre le sida, ONUSIDA, et l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, l'ONUDC. Ces trois instances ont édité des guides de bonnes pratiques pour les traitements de substitution aux opiacés et les dynamiques de sevrage.
Se voulant d'abord pragmatique, Médecins du monde intervient en amont pour établir un lien avec les usagers de drogues, dont la pratique est toujours criminalisée, les informer et les conseiller afin de réduire les risques, à la fois individuels et collectifs. Dans cette logique, nous mettons à leur disposition information, conseils, services et outils - parmi lesquels des traitements de substitution aux opiacés qui présentent l'avantage de faire passer d'une consommation illégale de rue - avec tous les risques associés - à une consommation plus propre. Nous ne portons jamais de jugement sur ceux que nous recevons : c'est d'ailleurs volontairement que nous parlons de manière neutre de « personnes utilisant des drogues ». En tant qu'organisation humanitaire médicale généraliste, nous cherchons sur le strict plan de la santé publique à réduire les risques infectieux et partant, les coûts, directs et indirects, socio-économiques et sanitaires résultant des pratiques de ces personnes. Nous intervenons également, de la même façon et avec le même objectif, à l'étranger. Je suis ainsi responsable de notre mission « Réduction des risques » en Afghanistan.
Médecins du monde a toujours innové. Dès 1987, nous ouvrions le premier centre de dépistage anonyme et gratuit du syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA) à Paris, initiative reprise par les pouvoirs publics deux ans plus tard avec la généralisation de tels centres partout en France. En 1989, nous engagions le premier programme d'échange de seringues, alors que l'accès à un matériel stérile d'injection n'allait être autorisé par la loi que six ans plus tard. Enfin, c'est la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique qui a fait de la réduction des risques un objectif sanitaire relevant, entre autres, de l'État.
Dans cette logique, nous continuons à agir au plus près du terrain en adaptant en permanence nos dispositifs. Nous développons actuellement un programme d'éducation aux risques liés à l'injection de drogues, en particulier pour prévenir la contamination par le virus de l'hépatite C, dont la prévalence est toujours assez forte. Diverses études épidémiologiques, notamment de l'Institut de veille sanitaire, montrent que les stratégies de réduction des risques ont permis de limiter la transmission du virus de l'immunodéficience humaine (VIH), un peu moins celle du virus de l'hépatite C, qui se transmet plus facilement. Nous cherchons donc, nous gardant de toute approche morale ou idéologique, à limiter les risques sanitaires encourus par les usagers de drogues, ce qui ne signifie pas que nous niions les autres risques de la prise de drogues. Et nous continuons d'innover, sachant que nos innovations ont souvent été reprises par les pouvoirs publics.
Je souhaite insister sur deux points. Tout d'abord, alors que la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, rattachant les services de soins en prison au ministère de la santé, a posé le principe d'égalité et de continuité des soins pour tous nos concitoyens, y compris les détenus, force est de constater que ce principe n'est pas respecté. L'échange de seringues n'est toujours pas autorisé en prison, ce qui est contraire à la volonté exprimée par le législateur en 1994.
Ensuite, on ne peut faire abstraction du contexte plus général dans lequel nous travaillons aujourd'hui et que caractérise un certain paradoxe sanitaire. Il existe une contradiction croissante entre d'un côté, les progrès considérables réalisés en matière de santé publique, grâce à des dispositions législatives et des moyens financiers pour la prise en charge de populations assez éloignées du système de soins et, de l'autre, les blocages créés par l'application de dispositions pénales dont le poids et l'étendue se renforcent, notamment depuis quelques années, entravant - nous en avons des exemples quotidiens dans nos centres - l'accès aux soins de ces populations. Je ne reviens ni sur les récentes mesures relatives à l'accès à l'aide médicale d'État, ni sur celles de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure qui rendent plus difficile d'intervenir auprès des personnes se prostituant. Je porte simplement à votre connaissance qu'hier, à Mayotte, une maman sans papiers a été arrêtée avec son bébé de six mois à la sortie de l'un de nos centres. Ce paradoxe, nous nous y heurtons quotidiennement dans la prise en charge des utilisateurs de drogues.