Internet est un instrument d'une très grande puissance, qui n'est ni bon, ni mauvais en soi, mais pas neutre non plus, c'est important à souligner. En effet, ses éléments constitutifs sont pour partie mal adaptés à certains objectifs : il ne correspond pas bien aux procédures de contrôle exercées par des organisations centralisées, il ne permet pas d'identifier l'expéditeur et le récepteur de façon satisfaisante ... D'autres, en revanche, sont positifs : il est fait pour se développer à grande échelle, il s'adapte à de nouvelles catégories de données du fait de sa plasticité ...
Le Gouvernement des États-Unis a la maitrise de certains éléments essentiels, tels que les noms et adresses des ordinateurs. Une organisation gère tout cela en son nom. Les tentatives du Gouvernement américain de déléguer ces fonctions ont échoué. Mais le fait de laisser une majorité de nations contrôler les communications rendrait ces dernières plus vulnérables à la censure. Avec l'augmentation constante du nombre d'utilisateurs de pays non occidentaux, il existe cependant une pression dans le sens d'une telle évolution.
L'idée d'une constitutionnalisation de la gouvernance d'Internet a déjà été évoquée, non par les États-Unis, mais par l'Europe, sur la base d'une proposition française. Les américains ont soutenu, au contraire, l'idée russe et chinoise d'un contrôle accru de la part des États. En ce qui me concerne, j'applaudis votre initiative. Si les États-Unis vous avaient suivi, nous aurions aujourd'hui une gouvernance robuste d'Internet. Malheureusement, la proposition européenne n'a pas été adoptée ; elle pourrait cependant revenir dans le débat.
Lorsque l'on pense à Internet aujourd'hui, on se réfère encore majoritairement aux échanges de voix et de données entre utilisateurs. Or, ce sont les flux entre ordinateurs qui vont le plus se développer : nos téléphones intelligents envoient déjà de nombreuses informations, et cela ne va cesser de croître.
100 millions de personnes dans le monde utilisent une application leur permettant de connaître le meilleur itinéraire, en tenant compte de la circulation ; mais très peu savent que les données qu'ils génèrent sont réutilisées à des buts lucratifs. L'appareil photo de mon smartphone me permet, en réalisant des photos de mon front qui sont traitées par une application spécifique, de connaître mon pouls.
Toutes les données ne sont pas forcément personnelles. Par exemple, on peut mesurer le niveau de vibration des voitures, ce qui permet d'anticiper la dégradation de certaines pièces mécaniques, donc de réduire les pannes, les accidents et les embouteillages. L'idée, ici, est que les données ont une valeur qu'un usage ponctuel ne suffit pas à mobiliser entièrement ; on souhaite donc les garder et les utiliser de très nombreuses fois. La question est donc aujourd'hui : qui peut les contrôler et en retirer le maximum de bénéfice économique ? Nous devons veiller à ce que leur usage se fasse au bénéfice des particuliers ou de la société dans son ensemble, en gouvernant ce système de façon responsable.
La dictature des informations mine l'avenir de nos démocraties : on leur accorde davantage d'importance qu'elles n'en ont, en pensant qu'elles peuvent tout expliquer. On veut réduire les risques et les incertitudes. La circulation libre de flux de données sur Internet, combinée à leur analyse, nous donne des prévisions probabilistes semblant très précises. On sera tenté de réagir, non aux comportements, mais à leur prédiction, réalisée par des algorithmes. Cela reviendrait à nier son libre arbitre. Le risque, en abolissant ainsi la responsabilité individuelle, c'est d'abandonner la culpabilité humaine et donc l'innocence. Il faut donc s'en prémunir dès maintenant, en énumérant et codifiant les libertés à préserver, ce qui est à la hauteur de la tradition française en ce domaine. Mais il faut faire vite ; à défaut, nous ne serons plus maitres de nos destinées, et nous deviendrons de véritables objets économiques.