Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 30 juin 2011 à 23h00
Réforme de l'hôpital — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc saisis, en deuxième lecture, de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Fourcade, dont je rappelle que l’objectif initial affiché était tout simplement de permettre l’application de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, plus particulièrement de son volet sur les soins de premier recours.

Si une deuxième loi était nécessaire de toute urgence, c’est tout simplement parce que, sur ce volet, le Gouvernement s’est heurté au lobbying de certains syndicats médicaux libéraux, qui n’acceptent pas les quelques mesures positives prévues dans la loi HPST. Voilà ce qui a motivé le dépôt, toutes affaires cessantes, de cette proposition de loi, sans attendre le bilan et les préconisations d’ensemble du comité de suivi de la loi HPST, lesquels devraient être présentés devant la commission des affaires sociales le 13 juillet, c'est-à-dire très prochainement.

La prolifération d’articles extérieurs au champ de la loi HPST, venus alourdir cette proposition de loi après son passage à l’Assemblée nationale, ne change rien. L’important était de « vider » d’urgence cette loi HPST des mesures qualifiées, à tort selon nous, « d’anti-médecins ». Il fallait notamment faire disparaître dans les articles concernés les alinéas les plus apocryphes par rapport à la doxa médicale supposée majoritaire parmi les médecins libéraux, plus particulièrement celui qui prévoyait des pénalités financières à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 1434-8 du code de la santé publique, article impliquant par ailleurs les agences régionales de santé et créant les contrats santé solidarité.

L’adoption de ce volet de la loi HPST a presque immédiatement déclenché une fronde des médecins libéraux – dès la première lecture –, ou du moins de leur syndicat majoritaire. Un peu plus tard, le Président de la République a prononcé son fameux discours lors de son déplacement à Orbec. Enfin, Jean-Pierre Fourcade a déposé sa proposition de loi.

Pendant ce temps-là, la désertification médicale de pans entiers de notre territoire continue, voire s’accélère. Ce constat vient encore d’être fait par Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, professeur des universités, directeur scientifique du groupe de prospective « santé et territoires », dans un entretien paru le 3 juin dernier dans le quotidien Ouest -France.

Le Professeur Vigneron sonne le tocsin. Il déclare notamment : les inégalités de santé « s’aggravent depuis plus de vingt ans. Dans 61 % des cantons français, la mortalité prématurée augmente. Le risque de mourir peut varier du simple au double en quelques kilomètres. Cette fracture des territoires reste masquée par un progrès global : on se focalise sur la moyenne nationale qui reste bonne, en oubliant la grande dispersion des valeurs locales qui, elles, s’enfoncent. C’est extrêmement dangereux. »

Et de poursuivre : « Les déserts médicaux passent maintenant des cantons aux arrondissements, de ceux-ci à des départements entiers comme la Mayenne, l’Eure, la Nièvre, voire à des régions entières comme le Centre, la Champagne-Ardenne, etc. ». Ce diagnostic est grave.

Face à cette situation, que disent les Français ?

Un sondage réalisé les 18 et 19 février 2011 par l’Institut LH2 pour le Collectif interassociatif sur la santé, qui regroupe une trentaine d’associations, nous apporte l’information suivante : « en matière de difficulté géographique d’accès aux soins, en lien avec la mauvaise répartition des médecins sur le territoire, près des deux tiers – 65 % – des Français affirment qu’il faut encadrer l’installation des médecins pour les amener à exercer dans les zones où ils sont absents, plutôt que d’augmenter les aides publiques versées aux médecins pour les inciter à exercer dans la zone où ils sont absents – option qui recueille 32 % des suffrages.

Nous n’avons pas affaire sur ce point, je suppose, à un clivage politique. Cet encadrement souhaité par la majorité des Français, qui vise à répondre à la situation décrite par le professeur Vigneron et vécue par des millions de nos concitoyens ruraux ou urbains, n’est rien d’autre que la régulation de l’installation d’un corps de professionnels de santé sur le territoire.

L’article L. 1434-8 du code de la santé publique, dans son écriture d’origine, participait de cet esprit, de cette volonté de régulation. C’est pourquoi nous l’avions soutenu. Il s’agissait de prendre non pas une mesure coercitive, mais une mesure dissuasive.

Oui, monsieur le ministre, nous le réaffirmons, il faut freiner l’installation de médecins dans les zones dites pléthoriques ! Par ailleurs, nous savons tous que les mesures financières incitatives visant à l’installation de médecins dans les zones déficitaires ne sont pas efficaces. L’assurance maladie s’y est déjà essayée depuis 2007 avec des résultats très décevants.

Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, on nous demande à nouveau de faire marche arrière. Dans tout cela, mes chers collègues, où se situe l’intérêt général ?

En revanche, parmi les dispositions de cette proposition de loi allant, nous semble-t-il, dans le bon sens, relevons les incitations au regroupement des professionnels de santé avec la création des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires.

Nous aurions souhaité que, pour ce nouveau dispositif, les aides publiques prévues soient réservées aux seules SISA ne comptant que des praticiens installés en secteur 1. Nous prenons acte néanmoins des explications avancées : cela pourrait priver ces structures, et donc nos concitoyens, de quelques praticiens spécialistes installés en secteur 2.

Nous estimons que la question importante des secteurs 1, 2 et optionnel est à réexaminer au plus vite avec toutes les parties concernées, dans le cadre d’une mise à plat de l’ensemble des modes de rémunération des médecins libéraux. Il faut trouver une solution juste, équitable et consensuelle mettant définitivement fin au scandale des dépassements d’honoraires dont pâtissent nombre de nos concitoyens, à commencer par les plus fragiles, à savoir les personnes âgées, les jeunes, ou encore les personnes bénéficiant de la couverture maladie universelle, la CMU.

Je rappelle au passage qu’en France, selon la Mutualité française et la Caisse nationale d’assurance maladie, 41 % des professionnels de santé pratiqueraient des dépassements d’honoraires. Sont-ils toujours appliqués avec « tact et mesure », comme le prévoit le code de déontologie médicale ? Permettez-moi d’en douter avec la majorité de nos concitoyens !

Nous suggérons aussi d’ajouter l’activité de prévention parmi les activités allouées aux SISA. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.

De même sommes-nous satisfaits de la définition plus précise des maisons de santé désormais dotées de la personnalité juridique – M. le ministre l’a rappelé –, de leur principe de fonctionnement, du champ de leur intervention, et des modifications introduites sur ce sujet par M. le rapporteur.

En revanche, nous souhaiterions que l’application des tarifs opposables soit obligatoire pour les maisons de santé percevant des subventions ou des dotations publiques.

Nous relevons aussi, parmi les propositions positives, les dispositions de l’article 17 ter de la proposition de loi, introduit par l’Assemblée nationale, élargissant et sécurisant le champ de l’expérimentation portant sur le rôle des sages-femmes. Durant deux ans, elles pourront pratiquer des IVG médicamenteuses, prescrire des contraceptifs et assurer un suivi gynécologique de prévention durant la grossesse, hors grossesse pathologique. Mais nous regrettons la restriction introduite par la commission des affaires sociales dans la rédaction de cet article qui replace, pour ces activités, les sages-femmes sous la supervision des gynécologues-obstétriciens.

Monsieur le ministre, mon collègue Yves Daudigny interviendra sur divers autres points de cette proposition de loi, avouons-le, un peu « fourre-tout ».

Je me limiterai donc, dans le temps qui m’est imparti, à l’évocation rapide de quelques mesures nouvelles, dont beaucoup trop n’ont rien à voir avec la loi HPST.

J’en citerai deux en particulier.

L’article 22, supprimé par la commission des affaires sociales, concernait le conventionnement mutualiste avec les offreurs de soins. Il tendait à modifier le code de la mutualité, afin de permettre aux mutuelles de procéder à un remboursement différencié de leurs adhérents. Le code de la mutualité l’interdisait en théorie, mais la pratique existait depuis longtemps. Il s’agissait donc, pour les mutuelles, de légaliser ces pratiques récemment condamnées par la Cour de cassation. Notons que les compagnies d’assurance et les instituts de prévoyance peuvent, pour leur part, pratiquer le remboursement différencié.

Bien que répondant aux préconisations de la Cour des comptes, cette disposition ne manqua pas de soulever de très fortes oppositions au nom de la préservation de la liberté de choix de l’établissement de soins ou du praticien par les patients, de la qualité des prestations fournies et de l’aménagement du territoire.

Cet article 22 était complété par un article 22 bis. Celui-ci était censé, pour l’Assemblée nationale – qui prévoyait une charte rédigée par l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire, l’UNOCAM –, permettre un bon encadrement de tout conventionnement en la matière. La commission des affaires sociales en a modifié la lettre et l’esprit. Nous en reparlerons au cours des débats.

Conscients des difficultés soulevées par l’ensemble de cette problématique, que l’on nous demande de traiter dans la précipitation, nous avons pour notre part déposé un amendement au nouvel article 22 bis, qui s’inscrit dans une perspective d’apaisement des craintes formulées, avec plus ou moins de bonne foi, par toutes les parties concernées.

Enfin, je dirai quelques mots sur le volet de cette proposition de loi touchant à la biologie médicale. Nous interviendrons sur cette question dans le débat mais, d’ores et déjà, nous relevons que de très nombreux biologistes hospitaliers ou libéraux, et plus particulièrement les jeunes, nous ont fait part de leur étonnement et de leurs grandes inquiétudes devant les mesures proposées par l’Assemblée nationale.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion, je soulignerai que, si nous avons bien repéré dans ce texte « complexifié » certaines dispositions susceptibles de favoriser des progrès sensibles dans la prise en charge de la santé de nos concitoyens, il n’en demeure pas moins que cette proposition de loi ne satisfait pas nos préoccupations essentielles, qui concernent les inégalités, à la fois géographiques et financières, d’accès aux soins pour nos concitoyens.

Je fonde l’espoir que nos travaux permettront de retrouver la bonne voie, celle de l’intérêt général au bénéfice de tous les Français, même si, pour cela, il nous faut écorner quelques préoccupations corporatistes.

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