Notre propos à deux voix s'appuie sur les constats de nos camarades au sein de l'administration.
D'abord, la méconnaissance par bon nombre de ces cabinets de conseil de la notion même de service public. C'est palpable quand des consultants parlent de « clients » et non « d'administrés ». Cette méconnaissance les amène à ne pas prendre en compte la qualité du service rendu à tous les administrés, en zone urbaine comme rurale.
Ces cabinets interviennent dans une logique mercantiliste éloignée de la notion de service public telle que nous l'avons conçue au lendemain de la Seconde guerre mondiale.
Ce n'est pas un manque de compétences en interne, mais un manque de personnel dédié à leurs missions qui oblige les administrations à sous-traiter au secteur privé. Ainsi, bon nombre d'entre elles n'ont pu conserver leur département de stratégie et de prospective, et cette part de leur activité est désormais sous-traitée. L'administration pourrait faire elle-même ce qu'elle confie au secteur privé, et même mieux ; mais, faute d'ETP, elle ne peut pas le faire.
En revanche, aucun contrôle n'est exercé sur ces marchés publics et l'utilisation de ces deniers, qui sont les impôts des administrés.
Votre commission d'enquête nous a également interrogés sur la sous-traitance informatique, domaine qui recouvre des métiers sous tension. Compte tenu du faible niveau de rémunération en comparaison du secteur privé, l'administration a du mal à recruter. Les concours trouvent peu de candidats et, même embauchés en CDI, les jeunes partent avec deux ou trois ans d'expérience dans le privé, où ils trouveront un salaire plus élevé et de meilleures perspectives de carrière.
Ces constats mènent à la conclusion que nous sommes passés de l'État stratège à l'État otage de la financiarisation, avec des intérêts privés qui prennent le pas sur l'intérêt général. Cela pose la question du modèle de société, de la notion d'appareil d'État et de ce que nous voulons en faire, et de la notion de puissance publique.
L'impact des cabinets de conseil est très négatif sur les collectifs de travail : les consultants ne rencontrent pas les experts métiers et proposent des livrables qui relèvent de la communication. Lorsqu'ils interrogent les experts métiers, ils ne les écoutent pas. C'est un problème culturel.
Le manque de transparence et de démocratie est flagrant, puisque les organisations syndicales ne sont quasiment jamais associées aux décisions, qui ne passent pas devant les instances de dialogue social. Au comité technique d'établissement ou au comité technique ministériel, on propose des solutions déjà conçues, qui ont des impacts sur l'organisation du travail et les missions de l'administration. Cela suscite un fort mécontentement des agents.
Les syndicats ne sont pas opposés à tout, mais il faudrait au moins prévoir dans la loi l'association des syndicats - d'autant que dans certaines administrations, on nous interroge sur le budget global, sans que l'on sache exactement ce qui figure dans les lignes budgétaires et ce que l'on fait de cet argent. Les administrés paient des impôts pour avoir un service public de qualité.
Un exemple flagrant de ces dérives est le recours aux cabinets de coaching extérieur pour les agents de catégorie A. C'est une solution que l'administration emploie souvent pour les chefs de service qui ne vont pas bien, pour pouvoir dire qu'elle les a accompagnés - et les « sortir » si cela ne fonctionne pas. Du point de vue sociologique, le coaching permet aussi à l'administration de ne pas dire en face aux personnes concernées que les choses ne vont pas.