Intervention de David Martinon

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 28 mai 2014 à 14h05
Audition de M. David Martinon représentant spécial pour les négociations internationales concernant la société de l'information et l'économie numérique

David Martinon :

J'ai une mauvaise nouvelle pour vous ! Lorsque Fadi Chehadé vous a dit cela, c'était quelques semaines avant l'annonce de la transition par Larry Strickling.

À l'époque, nous avons tous été convaincus du bien-fondé de sa démarche. Il avait en effet annoncé la création de groupes de travail au sein du board de l'ICANN, afin d'imaginer une transition des statuts de l'ICANN, voire son déménagement, pour que celle-ci puisse bénéficier du statut genevois dont profitent d'autres organisations internationales non onusiennes, comme le Comité international de la Croix-Rouge, voire la FIFA et quelques autres.

Je ne sais ce qui s'est passé ensuite. Selon moi, ceci a été au coeur des discussions que Fadi Chehadé a ensuite eues avec Larry Strickling, qui ont présidé à l'annonce de la transition. À la réunion de l'ICANN, à Singapour, qui a suivi l'annonce de cette transition, on a annoncé que ces groupes n'existaient plus.

Je lui ai posé la question lors de la réunion du Comité des gouvernements. Il m'a dit que ceci restait au coeur de la réflexion sur l'ICANN, qu'il s'agissait d'un problème de méthode de travail, ces groupes étant trop « top down » et pas assez participatifs. Je suis très circonspect ! Je pense que Washington a dû insister sur le fait que, pour que ces transitions se passent bien, il fallait mettre de côté l'idée d'un déménagement et d'un changement de statut.

On peut le comprendre, en ce sens qu'à Washington et au Capitole, l'annonce de la transition a été très vivement critiquée par l'opposition républicaine, ce qui a donné lieu à l'adoption d'un amendement proposé par le représentant John Shimkus au budget du Pentagone, signal politiquement peu favorable. Ceci montre bien que le Capitole souhaite garder la main ou retarder cette évolution ! C'est un combat politique qui n'est pas si facile pour l'administration Obama, accusée de faiblesse par l'opposition républicaine.

Selon mon analyse, l'opposition républicaine a vocation à faire flèche de tout bois ; si l'administration Obama avait décidé de ne rien dire, ni ne rien faire, demeurant sous la pression à São Paulo, peut-être cette même opposition aurait-elle dit que l'administration Obama se mettait à dos le reste du monde ! Dans ces cas-là, tout est sujet à critiques -mais ce n'est pas notre propos.

Ceci montre néanmoins qu'il existe une sorte de consensus à Washington entre l'administration et le Congrès, pour que l'ICANN obtienne son émancipation, mais pas trop, l'amendement Shimkus donnant au Congrès un an pour vérifier que la nouvelle organisation fonctionne. C'est une transition qui est retardée afin que le Congrès puisse garder la main le plus longtemps possible.

Je pense qu'il ne sera plus question de déménagement avant un certain temps. On peut en discuter, mais je ne suis pas persuadé que cela se fasse à court terme. Je pense que l'ICANN va perdurer sous l'empire de la loi californienne sur les entreprises !

Ceci n'est pas bon signe, même si les choses pourraient être pires. L'État de Californie est profondément démocratique et démocrate. Néanmoins, lorsque j'étais consul général à Los Angeles, j'ai parfois été amené à apporter mon aide à des compatriotes face aux tribunaux californiens : il faut vraiment être riche et présent, ce qui ne va pas de soi ! C'est là que va se situer le coeur du problème dans notre réflexion pour essayer de présenter les propositions les meilleures lors cette phase de consultation publique en matière de recevabilité. On est obligé de raisonner à situation constante, l'ICANN restant pour un temps, sous l'empire de la loi californienne, une « non-profit corporation ». Il faut donc étudier comment sont organisés les mécanismes de redevabilité pour essayer de les améliorer.

Un certain nombre de critiques peuvent d'ores et déjà être apportées. Les mécanismes de reddition des comptes et de revue mis en place par les statuts de l'ICANN ne sont pas inacceptables, mais ce n'est pas la manière dont nous avons l'habitude de travailler.

Tout d'abord, le Comité des gouvernements n'est pas invité à ces revues périodiques ; en second lieu, nous avons déposé un certain nombre de demandes de reconsidération des décisions du board de l'ICANN. Force est de constater qu'il a dû y avoir jusqu'à présent 70 ou 80 demandes pour une seule acceptée ! On peut en tirer deux conclusions : soit le board de l'ICANN travaille merveilleusement bien et sans défaut, soit il n'a pas envie d'être redevable, ni de reconnaître ses erreurs !

En second lieu, nous avons eu la surprise de constater que l'instance d'appel est composée de sept personnes, dont six membres du board. À une exception près, on demande aux mêmes personnes de rejuger la décision qu'ils ont prise ! Il n'est pas sûr que ces personnes acceptent de reconnaître qu'elles ont mal travaillé.

L'instance d'appel suivante est l'independent review panel ; on est là totalement dans le droit anglo-saxon. On demande à un board indépendant de tout reconsidérer, mais cet exercice est payant et très cher. Les frais sont toujours aux dépens du perdant.

Étant donné leurs finances, un certain nombre d'États européens se poseront la question avant de faire un chèque de 500 000 dollars pour avoir accès à l'independent review panel ! Rien n'est donc moins sûr. Je ne parle même pas des États en développement, qui pourraient avoir envie de voir certaines décisions du board cassées, qu'il s'agisse du « .africa »ou d'autres sujets ! 5 000 dollars pour une procédure d'appel, c'est très loin de nos standards !

Par ailleurs, l'independent review panel n'est pour l'heure pas tellement rodé. Il y en a eu trois récemment, et l'ICANN n'a pas correctement travaillé, ayant été prise de cours et mise en contradiction face à ses propres règles.

En outre, la prise en compte d'un certain nombre de conflits d'intérêt doit être mieux assurée. Nous constatons qu'un certain nombre de membres du board sont, de notre point de vue, en situation de conflit d'intérêts. On ne peut être juge et partie, surtout lorsqu'on a aussi peu de légitimité : aujourd'hui, nous n'avons pas confiance !

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