Intervention de François Chartier

Mission d'information Fonds marins — Réunion du 22 février 2022 à 17h00
Audition de Mm. François Chartier chargé de campagne océan et pétrole de greenpeace france et ludovic frère escoffier responsable du programme vie des océans de wwf

François Chartier, chargé de campagne Océan et pétrole de Greenpeace France :

Merci beaucoup pour cette invitation. Le sujet est important. D'une certaine manière, les enjeux s'accélèrent. La question est restée hypothétique pendant des décennies. À présent, elle figure dans le plan de relance France 2030 qui fait suite aux annonces du CIMer en janvier 2021 et à la stratégie « grands fonds » publiée par le Premier Ministre. La France va dans donc cette direction. Les choses s'accélèrent également au niveau de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), avec la possibilité que le code minier sur l'exploitation soit adopté en 2023.

Nous considérons donc que ce que nous considérons comme une menace se précise. Il s'agit d'un sujet de société, de civilisation - une nouvelle frontière inexplorée - qui ne peut pas être traité simplement en interministériel. Il est nécessaire que tous les acteurs de la société civile soient impliqués, au niveau national comme international. C'est aussi ce qui nous pousse à porter un moratoire.

En France, c'est quelque chose d'assez nouveau, sur lequel Greenpeace travaille depuis peu de temps. Mais Greenpeace international étudie le sujet depuis 2004, avec notamment un statut de membre observateur à l'AIFM, de même que nous sommes observateurs aux Nations unies dans les négociations sur la haute mer et sur la biodiversité marine (conférence BBNJ). Nous suivons ces sujets de gouvernance internationale de près. Nous avons publié un certain nombre d'articles sur les enjeux industriels, environnementaux et de gouvernance de l'exploitation et de l'exploration minière. Nous suivons ce sujet avec attention et inquiétude.

Globalement, au plan international, dans le cadre de la Deep Sea conservation coalition dont Greenpeace et membre, et au niveau national, nous portons la position qu'a votée l'UICN avec le soutien de 34 États, c'est-à-dire l'idée d'un moratoire sur l'attribution de nouvelles licences d'exploration et sur l'exploitation. L'objectif consiste à se donner le temps d'analyser tous les éléments et d'avancer sur la connaissance. L'adoption accélérée du code minier constitue un risque.

Il est question d'un moratoire sur les eaux internationales qui concernerait toutes les parties contractantes à l'AIFM. Il ne s'agirait en aucun cas d'un moratoire isolé de la part de la France, qui la mettrait hors-jeu et permettrait à d'autres États de prendre de l'avance. C'est une décision politique à porter collectivement au niveau de l'AIFM.

Aujourd'hui, nous ne sommes pas en mesure d'évaluer de manière fiable et pérenne l'impact qu'aurait cette activité industrielle. Quelques tests ont été menés sur de petites parcelles. Les résultats sont plutôt inquiétants : les signes de reconstitution sont très lents et les menaces importantes. Il reste beaucoup de travaux de recherche à faire avant de pouvoir adopter un code minier. La stratégie française le reconnaît.

Les enjeux de transparence et de gouvernance au sein de l'AIFM sont un autre élément à prendre en compte. Il faut se donner les moyens de mettre en place une gouvernance internationale multilatérale qui corresponde aux standards du droit.

L'AIFM n'est pas le seul organisme compétent pour discuter de la conservation des océans. Il faut prendre les choses dans le bon ordre. Nous ne pouvons pas avancer sur un code minier tant que le traité sur la haute mer, qui comprend un volet de conservation, n'a pas été adopté. Cela n'aurait pas de sens. Il en est de même pour la convention sur la biodiversité. Enfin, les enjeux miniers sont aussi présents dans la conférence des Nations Unies sur les objectifs de développement durable (ODD14). Il n'est pas possible d'adopter un code minier avant que tous ces processus internationaux, qui chapeautent l'architecture du droit international, n'aboutissent.

Par ailleurs, nous ne savons pas, aujourd'hui, si nous avons réellement besoin de ces minerais. Dans le cadre d'une économie circulaire faite de sobriété et de recyclage, a-t-on vraiment besoin de ces gisements ? Personne n'est capable de répondre à cette question de manière affirmative, fondée et chiffrée. Menons ce travail d'analyse et de réflexion. Nous pensons que l'extraction durable de ces minerais n'est pas possible. Donnons-nous le temps collectivement d'en débattre.

Depuis la convention de l'UICN, et depuis les déclarations du président Macron, il existe une grande confusion entre exploration et exploitation. La principale confusion porte sur le terme d'exploration, avec peut-être une communication institutionnelle de mauvaise foi. Quand on pense à l'exploration, on pense à la découverte, à la science. C'est quelque chose que nous défendons évidemment. Nous pensons que les décisions en termes de protection et de gestion des océans doivent être fondées sur la science. Mais en l'espèce, il est question d'exploration minière. L'article 2 du code minier de l'AIFM parle d'exploration en vue d'identifier des gisements qui serviront à être exploités et d'une exploration qui permette de se donner les moyens techniques d'exploiter ces gisements. Il ne s'agit, à aucun moment, de science. C'est de ces licences d'exploration dont il est question à l'AIFM. En cas de moratoire, ces licences pourront continuer à être utilisées.

La stratégie « grands fonds » porte sur l'exploration et l'exploitation. Ses deux premiers chapitres reposent sur l'acquisition de connaissances qui visent tout autant la science qu'une exploitation potentielle. Le chapitre 3 évoque aussi l'exploitation. Ce dont il est question dans la stratégie française, c'est d'exploiter des gisements de cobalt, de nickel, de terres rares dans les eaux internationales ou éventuellement en Polynésie, possiblement en partenariat avec d'autres pays ou d'autres acteurs. C'est sur ce point que la discussion de fond doit avoir lieu, et pas sur l'exploration, qui n'en est que le préliminaire.

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