Effectivement, notre mission arrive bientôt à son terme et je vais esquisser les quelques enjeux qui en sont ressortis et sur lesquels nous souhaiterions vous entendre.
Monsieur le ministre, après avoir lancé en avril la campagne de communication #CestFaitPourMoi, vous présenterez tout à l'heure avec la ministre de la mer, Annick Girardin, une nouvelle campagne de communication sur les métiers et formations de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, des paysages, de la pêche et de l'aquaculture. Nous nous en félicitons et nous espérons qu'elle aura plus d'impact sur le grand public que le camion « L'aventure du vivant », qui s'est trouvé bloqué du fait de la pandémie de covid-19, car le premier défi qui ressort de nos travaux est celui de l'orientation et de la connaissance ou de la reconnaissance de l'enseignement agricole. Cela vaut d'ailleurs tant pour l'enseignement technique que pour l'enseignement supérieur agricole.
L'agribashing et les conditions de travail et de rémunération dans les filières agricoles et alimentaires sont une toile de fond que nous ne pouvons pas ignorer. Ils n'expliquent toutefois pas tout. Il y a clairement un enjeu de lisibilité de l'enseignement agricole. Lisibilité des 163 formations dont les intitulés sont parfois particulièrement abscons. Lisibilité de l'appellation « enseignement agricole » en tant que telle. Nous avons été frappés d'entendre des directeurs d'établissement nous dire comment ils essayaient de moderniser le nom de leur établissement pour attirer davantage et pour mieux rendre compte de la diversité des formations proposées par l'enseignement agricole. Il est bien plus, en réalité, un enseignement des sciences du vivant et des territoires. Nous proposerons d'ailleurs de revoir cette appellation dans notre rapport.
Nous constatons également, et nous le déplorons, que l'enseignement agricole est trop souvent choisi par défaut, faute d'un accompagnement à l'orientation satisfaisant au sein des établissements de l'Éducation nationale qui souhaitent garder pour eux les meilleurs élèves. Certes, une circulaire conjointe des deux ministères a été adoptée le 12 avril 2019 pour renforcer les coopérations entre l'Éducation nationale et l'enseignement agricole. Vous venez également d'annoncer, le 19 mai dernier, une nouvelle feuille de route « Éducation nationale et Enseignement agricole » 2021-2022. En dépit des efforts déployés au niveau national et régional, la dynamique ne se diffuse pas réellement sur le terrain. Il faut certainement mettre en place à l'échelon départemental un référent enseignement agricole pour faire pendant au directeur académique des services de l'Éducation nationale (Dasen). Il faut que les personnels de l'Éducation nationale changent de regard sur l'enseignement agricole et que nous réfléchissions à des informations sur l'orientation dès la 5e, car l'enseignement agricole recrute dès la classe de 4e.
La feuille de route avec le ministère de l'éducation nationale semble témoigner de relations fluides entre les deux ministères. Pourtant, à l'issue de ce cycle d'auditions et de rencontres, nous sentons le ministère de l'agriculture dans une situation de fragilité institutionnelle, car il semble avoir subi les dernières réformes, comme celle du baccalauréat, sans réellement avoir pu peser dans les décisions prises, de même qu'il a été perçu comme suiviste lors de la crise de la covid-19. Je vous le dis avec franchise, car c'est le sentiment des personnels tel qu'il nous a été exprimé.
Fragilité institutionnelle, quand le syndicat majoritaire des enseignants de l'enseignement public considère que le ministère n'assume plus correctement la tutelle de l'enseignement agricole et qu'il prône le rattachement à un grand ministère unique d'éducation et de formation couvrant l'ensemble des structures d'enseignement. Au sein de la mission, nous ne partageons pas cette revendication, mais elle a été clairement exprimée.
Fragilité encore quand, parallèlement, le président du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) regrette devant nous que vous ne l'ayez pas reçu, ce qui pourrait laisser penser que le ministère aurait un problème avec l'enseignement agricole privé.
Fragilité sur le plan budgétaire, quand la direction du Budget souligne l'érosion des apprenants et la hausse des coûts, quand on observe un hiatus entre les ambitions de croissance des effectifs et les difficultés rencontrées sur le terrain pour ouvrir des formations, ou même tout simplement maintenir des dédoublements.
Fragilité quand on constate sur le terrain les difficultés financières de certains établissements, notamment en milieu rural, et les regroupements à l'oeuvre. Cela interroge sur la pérennité du maillage territorial de l'enseignement agricole, qui nous paraît essentiel et soulève des questions de régulation de l'offre de formation, y compris des ouvertures de classes d'enseignement général dans le cadre d'un dialogue constructif avec l'Éducation nationale et les régions.
Monsieur le ministre, vous avez commencé votre parcours ministériel au ministère de la cohésion des territoires, auprès de Jacques Mézard qui a laissé trace, ici, au Sénat. Vous connaissez les territoires ruraux, leurs besoins, leurs handicaps aussi. Une approche strictement budgétaire et comptable ne peut pas être la seule qui vaille, et encore moins aujourd'hui.
Oui, la cohésion des territoires a un coût et nous devons l'assumer collectivement. L'enseignement agricole contribue pleinement à cette cohésion et à une forme d'égalité des chances.
Demain, avec de nombreux collègues membres de la mission d'information, mais aussi bien au-delà, je défendrai un amendement refusant l'annulation des crédits proposés dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2021. J'espère que vous nous apporterez votre soutien, tant les enjeux qui apparaissent sont grands. Je ne dis pas qu'aucun effort ne doit être réalisé ni que des rationalisations sont impossibles. Madame Baduel, que je salue, a souligné que l'un des enjeux prioritaires de la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) de votre ministère est le renforcement de la robustesse et de l'efficacité des systèmes d'information métiers et supports qui sont indispensables à la maîtrise de toutes les missions de l'enseignement agricole. Des mutualisations et des passerelles sont parfois possibles avec l'Éducation nationale, et nous en avons d'ailleurs vu des exemples réussis sur le terrain. Néanmoins, je me méfie des mutualisations ou rationalisations budgétaires qui se feraient in fine au détriment de l'enseignement agricole, et en particulier des établissements situés en milieu rural. Nous avons été particulièrement interpelés par l'audition de la 7e sous-direction de Bercy.
Je souhaite également évoquer la formation professionnelle et les conséquences de la « loi Pénicaud » pour vous signaler une inquiétude de certains établissements. Ils sont engagés d'ici la fin de l'année dans un des processus de certification pour pouvoir continuer à bénéficier des financements. Les centres doivent se conformer aux référentiels Qualiopi pour obtenir leurs financements, alors que le ministère de l'agriculture leur demande par ailleurs de se conformer au référentiel QualiFormAgri. Quelle est la logique de ce double référentiel ? Des souplesses sont-elles à l'étude en cas de difficulté ?
Monsieur le ministre, face à ces défis, pour prendre une image sportive en ces temps de Tour de France, vous devez « mouiller le maillot » et le faire savoir. Vous le devez aux apprenants qui trouvent dans l'enseignement agricole une voie d'excellence. Vous le devez aux personnels dont votre ministère assure la tutelle et qui doivent être pleinement considérés dans le public, comme dans le privé, toutes familles confondues. À chacun de nos déplacements, nous avons rencontré des apprenants et des personnels dont la motivation était sincèrement remarquable, mais qui se sentaient parfois bien seuls. Cet engagement personnel que nous vous demandons ce soir, vous le devez enfin à nos agriculteurs, car sans un enseignement agricole fort, sans un enseignement agricole marqué par une bonne circulation de connaissances et de compétences entre la recherche, incarnée en particulier par l'Inrae, l'enseignement supérieur et l'enseignement technique, notre agriculture et nos filières agroalimentaires ne pourront pas relever les défis auxquels elles sont confrontées, en particulier le défi du renouvellement des générations.
Ne commettons pas l'erreur stratégique dont a souffert et souffre toujours notre système de formation vétérinaire. En raison d'une politique malthusienne mal calibrée et d'investissements insuffisants mettant en péril certaines écoles, 52 % des nouveaux inscrits au tableau de l'ordre sont aujourd'hui formés à l'étranger. Il faut se ressaisir et donner à l'enseignement agricole dans son ensemble les moyens de fonctionner. La France ne peut pas rater l'enjeu du renouvellement des générations d'agriculteurs. Elle ne peut pas délaisser les territoires ruraux.
Voici quelques messages de synthèse et quelques questions qui nous ont été posées lors de nos auditions et de nos rencontres. Monsieur le ministre, je vous remercie d'y apporter vos réponses et de nous faire part de votre analyse et de votre ambition pour l'enseignement agricole que je sais, grande.