Intervention de Julien Denormandie

Mission d'information Enseignement agricole — Réunion du 30 juin 2021 à 16h35
Audition de M. Julien deNormandie ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Julien Denormandie, ministre :

Concernant l'orientation et l'impact de la feuille de route du 19 mai, nous devons évidemment mener un travail de longue haleine, même si cette feuille de route se veut très concrète, en évoquant par exemple l'idée d'associer les métiers de l'agriculture aux campus de formations et de métiers, qui sont des événements présentés aux jeunes en amont de leur orientation. De la même façon, la grande campagne de communication lancée à partir de demain porte sur les entrepreneurs du vivant, et non sur les seuls agriculteurs. Ceci permettra de changer la donne. En 2015, une enquête montrait qu'environ 5 Français sur 10 avaient une image positive de notre agriculture. Une récente enquête montrait que ce niveau était passé à 7 sur 10. Aujourd'hui, il y a en tout cas une politique affirmée, main dans la main avec l'Éducation nationale - ce qui ne fut pas toujours le cas -, pour faire en sorte de mener un travail territoire par territoire afin que les métiers et formations du vivant et de la Terre soient présentés et mis en avant auprès de nos jeunes.

S'agissant de la rémunération du corps enseignant, nous sommes partie intégrante au Grenelle, en vue d'une mise en oeuvre dans l'enseignement agricole.

Concernant la prise en charge des exploitations agricoles, ces exploitations agricoles au sein des établissements sont indispensables. Dans le plan de financement des établissements, elles sont également des sources de revenus propres. L'enveloppe particulière de 10,2 millions d'euros a été mise en place en réponse aux récentes difficultés rencontrées. Inversement, certains secteurs n'ont pas été pris en compte dans le cadre du soutien à l'activité partielle. C'est précisément parce que nos établissements n'y étaient pas éligibles que nous avons mis en place cette enveloppe particulière. Une revue sera effectuée à l'automne en vue de la prochaine loi de finances rectificative.

S'agissant de QualiFormAgri, qui est le référentiel correspondant aux spécificités de l'enseignement agricole, il répond aux demandes des établissements eux-mêmes. Il n'y a quasiment pas de surcoût, mais je prends note de vos remarques.

Une approche budgétaire ne peut pas simplement être conditionnée au nombre d'étudiants. Néanmoins, ceci ne signifie pas que certains ajustements ne soient pas nécessaires. Ce n'est pas le budget qui doit guider la politique, mais la politique qui doit guider le budget. Dès lors toutefois qu'une dynamique des apprenants est observée, ceci devient une absolue nécessité de conforter le nombre de professeurs, d'établissements et les crédits alloués. La chronique de schémas d'emplois annoncée au début du quinquennat met, il est vrai, à contribution de façon assez forte l'enseignement agricole. Cette chronique est toutefois en cours de renégociation, notamment pour l'année 2022.

Concernant les AESH, ce point est en cours de discussion dans le cadre du Grenelle. Je note toutefois que nous avons consenti d'importants efforts. Au 1er mai 2020, nous comptions en effet 3 114 élèves en situation de handicap bénéficiant d'un AESH, contre 2 300 en 2019. Le budget est passé de 5 millions d'euros en 2015 à 15 millions d'euros en 2020.

S'agissant d'Hectar, je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur cette initiative privée. Vous connaissez, en tout cas, l'attachement d'Audrey Bourolleau, sa directrice générale, à une agriculture reposant sur des valeurs, à une vision territoriale et à des modes de production que vous partagez. J'entends dire que cette école viserait à former des personnes opposées à l'élevage. Or, si les informations dont je dispose sont exactes, elle comprendrait elle-même un élevage laitier. J'ajoute que cette initiative ne met pas à mal l'enseignement agricole du ministère, qui est extrêmement fort. Il n'est pas fragile. Ma préoccupation est, en tout cas, de consolider l'enseignement dont j'ai la charge, avec des établissements sous la tutelle de l'État et des établissements conventionnés, ce qui n'est pas le cas de cette école.

Madame la sénatrice Sollogoub, vous avez raison, la passion des agriculteurs ne doit pas se substituer à une rémunération correcte. C'est tout l'enjeu de la loi Egalim 2, que j'ai portée avec Grégory Besson-Moreau et qui a été votée à l'unanimité. Ce texte est ambitieux et audacieux, en revenant sur la loi dite « LME » (loi de modernisation de l'économie) de 2008 qui a dérégulé la chaîne de création de valeur et de négociation. Nous aurons l'occasion d'échanger sur ce texte courant septembre.

La reconversion professionnelle est, par ailleurs, un axe fort qui se développe de plus en plus dans l'enseignement agricole, avec l'appui des chambres d'agriculture.

Monsieur le sénateur Labbé, s'agissant ETP, le schéma d'emplois est en cours de discussion. Je pense que vous avez en tout cas compris ce que je défendrai. Je connais bien Marc Dufumier, qui a été mon professeur. Je ne crois pas à cette dichotomie entre deux modèles, un modèle de circuits courts et un modèle d'export. Je pense que la France est une multitude de modèles. D'ailleurs, je défends ardemment une agriculture de production qualitative, car la force de notre modèle est une compétitivité-hors-coût, une compétitivité-qualité. Dans le cadre de la compétitivité-coût, nous serons confrontés à des économies d'échelle, avec le gigantisme des exploitations de l'Asie ou des États-Unis. Nous faisons croire en France que nous aurions fait le même choix du gigantisme. Ceci est faux. Si ceci ne signifie pas qu'il n'y a pas une augmentation de la taille des exploitations agricoles, elle était, il y a dix ans, de 53 hectares, elle est aujourd'hui de 62 hectares. La compétitivité est nécessaire, en s'appuyant sur le plan de relance ou les arbitrages que j'ai rendus sur la PAC, mais je crois beaucoup à l'agriculture des circuits courts. Je suis ainsi très fier que nous soyons passés de 6 millions d'euros sur quatre ans pour les projets alimentaires territoriaux (PAT) à 80 millions d'euros sur deux ans. Je suis très fier que nous ayons lancé l'initiative « Frais et local ». Je suis très fier que nous ayons concentré nos efforts sur les cantines de proximité dans le cadre du plan de relance. Notre pays est le pays des agricultures.

Je ne suis en revanche pas du tout d'accord avec vos propos opposant le sens et la modernité. Ce n'est pas parce que vous donnerez au monde agricole la possibilité d'utiliser le numérique et la donnée, notamment pour l'irrigation, que cela est contraire avec une agriculture qui fait sens.

Je crois pour conclure que l'enseignement agricole apprend avant tout l'humilité et la complexité face au vivant. Le vivant ne se dompte pas ; il faut s'adapter. Si l'expertise des anciens est essentielle, les outils d'aujourd'hui permettent également de mieux protéger l'environnement et d'améliorer les conditions de travail. La confrontation avec le vivant est en tout cas passionnante.

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