Intervention de Mohammed Benlahsen

Mission d'information Conditions de la vie étudiante — Réunion du 25 mars 2021 à 14h30
Santé psychologique des étudiants — Audition de M. Mohammed Benlahsen président de l'université picardie-jules verne du docteur frédéric atger médecin chef de service bureau d'aide psychologique universitaire « bapu pascal » paris du docteur thierry bigot psychiatre vice-président de resppet de Mm. Yannick Morvan enseignant-chercheur université paris-nanterre patrick skehan délégué général de l'association nightline et mmes laurentine véron et fanny sauvade psychologues fondatrices et codirectrices de l'association apsytude

Mohammed Benlahsen, président de l'Université Picardie-Jules Verne :

Merci pour votre invitation. Il est important d'échanger sur une problématique qui me semble chronique. Je rejoins en outre M. le sénateur sur le fait que les problématiques existaient, mais leur impact n'était pas tout à fait mesuré.

Je commencerai par une présentation de l'université Picardie-Jules Verne, pour préciser le contexte de l'étude.

L'université se répartit sur six campus et compte 32 000 étudiants, dans l'ensemble des champs de formation.

En termes de sociologie, 54 % des étudiants sont boursiers. Un tiers des étudiants sont salariés, tandis qu'un tiers des étudiants du campus amiénois ne résident pas à Amiens. La ville d'Amiens compte 26 000 étudiants, ce qui représente un habitant sur cinq. Rapportée au coût d'un étudiant, l'université représente 180 millions d'euros d'activité pour la ville. Les étudiants sont le coeur battant de la ville.

Revenons à la problématique de la covid-19 et à l'étude sur la santé psychologique de nos étudiants. Cette étude a été menée par un étudiant de médecine en santé publique, en lien avec Santé Publique France. Avant le 14 janvier, dans le discours politique comme dans le monde économique, le mot « étudiant » était absent, ce qui a été très mal vécu. En premier lieu, la problématique principale mise en avant par les médias s'agissant de l'enseignement à distance a été celle de la triche. Déplacer le problème sur un autre sujet comme le bien-vivre a été difficile.

En outre, l'enquête a montré que les étudiants en Licence 3 et en Master 1 étaient les populations d'étudiants les plus affectées, c'est-à-dire ceux qui candidatent à l'entrée en Master et ceux qui postuleront à un emploi. En effet, leur stage, leur insertion ou la réussite d'un concours posent question. Ce n'est pas anodin, alors que les élèves de BTS et de classes préparatoires, qui visent parfois les mêmes concours, ont été autorisés à continuer en présentiel. Les groupes de parole qui ont été organisés ont confirmé un sentiment de déconsidération.

Quand la ministre de l'enseignement supérieur est venue nous rencontrer, j'ai fait état de la secousse que nous avons vécue collectivement, mais que nous avons ressentie individuellement. Ont alors été mis en exergue les inégalités existantes, la précarité étudiante ou encore la fracture numérique. Il existe encore des zones blanches, c'est-à-dire des zones sans accès à Internet, pas seulement dans les Hauts-de-France. À ce titre, le premier confinement nous a coûté 1 million d'euros, avec 700 ordinateurs et 500 clés 4G distribués. Tous les étudiants salariés ont été payés, dans le public comme à l'université, mais ce n'était pas suffisant. Aucune perspective n'a été donnée aux étudiants.

Un triptyque s'est posé avec cette crise : rompre la contagion, rompre l'isolement, puis pouvoir se projeter. Or aucune perspective n'a été donnée. Comme le président de l'université est décisionnaire, nous avons fermé l'université en février. Nous avons en outre décidé de stabiliser l'agenda à compter de février 2021. Certains ont alors pu confondre science et recherche, Colomb et Magellan, mais nous avons surtout tenu à produire un discours positif.

Nous avons donc commencé par stabiliser l'agenda et ouvrir des ateliers culturels, avec des artistes, bien évidemment dans le cadre de la loi, ainsi que des ateliers sportifs ou des concours artistiques pour créer du lien autrement, sans nous limiter à l'utile. De surcroît, quelle que soit l'issue de la crise, nous avons souligné que de la consolidation disciplinaire serait proposée à la rentrée. Nous les inscrirons en double compétence, plutôt que de les laisser en situation d'échec. Quant aux étudiants insérés dans l'emploi, nous leur offrirons, en accord avec l'entreprise, 20 % de leur temps pour de la consolidation des connaissances, en lien avec les syndicats patronaux, les territoires et les politiques. Ce discours ne sera toutefois pas suffisant. En aval, il faut aussi traiter la crise organique de l'université, de manière générale. L'université n'est pas perçue en France comme un moteur économique. Quand il a été question du plan de relance, l'université n'a pas été citée, alors qu'elle est un investissement pour l'avenir.

Au-delà du fait que l'université est un espace de lien entre les personnes et de création, les étudiants ont bien souligné qu'ils venaient aussi à l'université pour se structurer, faire des choix et accéder à l'autonomie par rapport à leur famille. Lors du premier confinement, je pensais que seuls des étudiants étrangers seraient présents en ville. Or ils n'étaient que 40 %. Il fallait se soucier aussi des 60 % restants.

En outre, l'évolution de la population étudiante n'a jamais été accompagnée d'une évolution des moyens. En moyenne, la croissance des effectifs a été de 20 % par an, pour une hausse des moyens de seulement 13 %. Sur dix ans, c'est une véritable catastrophe organisationnelle. Nous ne cessons de déplorer la dégradation de nos conditions de travail. Alors que compter plus d'étudiants est une bonne nouvelle, nous dégradons les conditions de leur travail. Les présidents d'université doivent choisir entre une mission d'enseignement ou de recherche.

Beaucoup affirment que le niveau a baissé. Les étudiants en ont conscience. Leur estime d'eux-mêmes est souvent faible. Notre rôle est de les « réenchanter » et de les mettre en condition de réussir.

M. le président a évoqué un taux de 19 % d'étudiants ayant eu des pensées suicidaires. Parmi ceux-ci, 66 % ont scénarisé leur suicide. Ils ont parlé de cordes, de se jeter sous les rails, etc. En arriver là est un échec pour un éducateur.

Non seulement il faut des moyens, mais aussi une prise de conscience collective, sociétale. De plus, peut-être faut-il adresser un nouveau message à nos jeunes. À l'heure actuelle, seuls des termes guerriers sont employés : « quoi qu'il en coûte », on envoie les jeunes « au front », etc. Que signifie ce « quoi qu'il en coûte ? » Qui est concerné ? C'est là que la politique commence, au sens noble du terme. De même, on parle de la dette, comme si les étudiants allaient à la fois faire la guerre et la payer ! Le discours politique doit trouver les formules justes. La situation est difficile pour tous, bien sûr.

Enfin, je tiens à évoquer la période d'après. Cette notion a fréquemment été évoquée. Trois points seront à noter dans cette période d'après : l'amnésie, la problématique de Saint-Augustin - chercher à rattraper le temps - et la cristallisation des certitudes. Il faut impérativement investir pour l'avenir.

J'en arrive à la question des « chèques psy ». En Ecosse, où l'on compte cinq fois moins d'étudiants, 80 postes de psychologues ont été débloqués. Dans le sud des Hauts-de-France, seuls six psychologues acceptent « les chèques psy ». Ce n'est pas une réussite ! Nous sommes bloqués par la tarification et diverses problématiques, les psychologues étant déjà très pris. Je pense en tout cas qu'il faudra repenser notre modèle pour l'après, en revoyant ce que nous annoncerons aux étudiants en septembre, à une date où ils n'auront pas vu de professeur depuis presque deux ans. De plus, je crains une troisième secousse à la rentrée, ainsi qu'une quatrième et une cinquième dans quatre ou cinq ans. C'est donc maintenant qu'il faut donner des perspectives pour l'avenir.

Dr Frédéric Atger, médecin chef de service du bureau d'aide psychologique universitaire « Pascal ». - Mesdames, messieurs les sénateurs, merci de nous recevoir. Nous avons l'opportunité de nous rencontrer aujourd'hui en présentiel mais je rappelle que les étudiants n'ont pas pu venir au BAPU pendant le premier confinement. Pendant trois mois, nous avons maintenu nos séances, mais à distance. Quand ils ont eu le choix de revenir, pendant le second confinement, 99 % sont revenus sur place. L'incarnation dans le soin nous apparaît donc essentielle. Je tenais à le souligner en introduction.

Il m'a été demandé d'évoquer l'action concrète du BAPU Pascal et de dresser un état des lieux, en tant qu'acteur de terrain, des difficultés psychologiques rencontrées par les étudiants. J'ai trouvé important d'intervenir avec le docteur Thierry Bigot, responsable de l'unité d'hospitalisation dédiée aux étudiants dans le service de psychiatrie de l'Hôtel-Dieu, à l'AP-HP. Acteurs de terrain, nous travaillons ensemble au quotidien, depuis de nombreuses années, dans le cadre du réseau de soins francilien RESPPET, qu'il évoquera. Il nous semble essentiel que vous connaissiez l'existence de ce réseau.

Je me ferai également le porte-parole d'une jeune association, née en 2018, qui fédère les 18 BAPU qui existent en France. Cette association regroupe tous les professionnels des BAPU, pour qu'ils partagent leurs expériences cliniques, leurs expériences institutionnelles et leurs rapports avec les autorités de tutelle.

Il est très frappant de noter, au-delà de la diversité des pratiques liée à l'histoire locale des institutions, notre convergence de cliniciens sur les fondamentaux de la prise en charge des étudiants en souffrance.

Le BAPU Pascal est le premier à avoir été créé, en 1956. Il a été fondé par une mutuelle étudiante, la MNEF, qui émanait elle-même d'un syndicat étudiant, l'UNEF, à l'issue des travaux d'un Comité national universitaire pour la santé mentale, auquel de multiples intervenants ont participé.

Depuis les années 70, les BAPU, mais aussi les services de santé universitaires (SSU), avec qui nous travaillons en étroite coordination, n'ont obtenu presque aucun moyen supplémentaire, alors que la population étudiante a été multipliée par huit au cours des cinquante dernières années.

Dans certaines grandes villes universitaires comme Nantes, Bordeaux, Toulouse ou Lyon, il n'y a pas de BAPU.

Le texte qui définit l'agrément des BAPU leur donne pour mission de proposer une aide psychologique gratuite afin de prévenir, dépister et traiter les étudiants qui souffrent de troubles mentaux ou de difficulté psychologiques.

L'aide gratuite est essentielle, car le coût des soins est reconnu comme un obstacle majeur pour que les étudiants y recourent. Les étudiants n'ont pas les moyens de payer une aide psychologique, puisqu'ils ne gagnent pas encore leur vie. S'ils exercent une activité rémunérée, c'est pour payer leurs études. Très souvent ils ne veulent pas s'adresser à leurs parents, cette démarche s'inscrivant dans un processus d'autonomisation.

Pour ce qui est de prévenir, dépister et traiter, les BAPU assurent ces trois fonctions très importantes depuis qu'ils existent. Leur combinaison dans un même lieu est un formidable atout. La prévention et le dépistage ne sont pas l'apanage des BAPU. D'autres structures y participent, mais ce sont les seules structures publiques destinées aux étudiants qui permettent un traitement, ce qu'on appelle des structures d'aval.

Le BAPU Pascal accueille tous les étudiants, de milieux, d'âges, de pays différents, d'autant que nous disposons d'une antenne à la Cité internationale universitaire de Paris. Il est attaché à la clinique médico-universitaire Georges Heuyer et il fait partie de la Fondation santé des étudiants de France, ce qui constitue un avantage fort pour insérer les prises en charge dans un parcours de soin. L'arrivée récente d'un chef de clinique dans le dispositif s'inscrit dans une volonté de la fondation de développer un pôle ambulatoire hospitalo-universitaire pour les étudiants.

Le BAPU Pascal est ouvert aux étudiants quelles que soient leur demande et leur psychopathologie. Tous peuvent s'y rendre, quel que soit l'établissement dans lequel ils sont inscrits, public ou privé, mais aussi quel que soit leur domicile ou leur lieu de scolarisation.

La majorité des étudiants viennent au BAPU de leur propre initiative, après une recherche sur Internet ou par le bouche-à-oreille. C'est un point fondamental. Outre la gratuité, le fait qu'il soit en dehors de leur lieu d'étude facilite la démarche, car il assure la confidentialité et protège d'une stigmatisation réelle ou redoutée.

Parfois, quelques rencontres suffisent pour dénouer une situation. La durée de prise en charge ainsi que la fréquence des séances sont ajustées à chaque situation. En moyenne cette durée est d'un an, mais cela recouvre des réalités très différentes.

Les étudiants que nous rencontrons souffrent principalement de stress, de troubles du sommeil, d'anxiété, de dépression mais aussi d'isolement et de blocages dans leurs études. La problématique de l'isolement et du décrochage est devenue majeure et même catastrophique avec la crise sanitaire. Certains ont des idées suicidaires ou différents troubles de conduite.

Ces symptômes s'inscrivent toujours dans une histoire. Ils révèlent une fragilité, mise à jour par ce moment charnière, en particulier du point de vue de l'autonomie qu'est le temps des études. C'est pour cette raison qu'un grand nombre d'étudiants décompensent actuellement. Ceux qui n'auraient pas décompensé sans la crise sont exposés à un stress plus fort et décompensent. Les accueillir dans ce temps-là permet non seulement que la souffrance n'évolue pas vers un trouble, mais aussi qu'ils puissent faire des choix de vie qui leur permette de se trouver, leur évitant ainsi de devenir des adultes malheureux nécessitant un long parcours de soins.

Il n'y a que deux BAPU à Paris, le BAPU Pascal et le BAPU Luxembourg, qui est géré par la Croix Rouge. Ils assurent à eux deux 17 000 actes et accueillent 1 000 étudiants par an, avec seulement 13,5 équivalents temps plein (ETP) de cliniciens. Je ne citerai pas leur budget, qui est dérisoire, alors que près de 400 000 étudiants fréquentent les universités parisiennes et 600 000 les universités d'Ile-de-France, sachant que les BAPU parisiens reçoivent aussi bien des étudiants de Paris que des étudiants franciliens.

Les BAPU sont saturés depuis des années. Nous ne cessons de le répéter. Nous sommes constamment confrontés à des dilemmes éthiques pour gérer les files d'attente. Ce qui a été dit pendant la crise sanitaire à propos des services de réanimation, et qui est apparu insupportable, s'applique aussi pour nous depuis des années. Nous nous retrouvons régulièrement dans des discussions éthiques très compliquées, qui nous rendent moins disponibles pour notre travail.

Dr Thierry Bigot. - Tout d'abord, merci encore, mesdames et messieurs les sénateurs, d'auditionner des cliniciens de terrains, impliqués au quotidien dans la prise en charge de la souffrance psychologique et psychiatrique des étudiants. Comme vous l'a dit Frédéric Atger, c'est en tant que praticien hospitalier, responsable d'une unité d'hospitalisation dédiée aux étudiants dans le service de psychiatrie de l'Hôtel-Dieu, à l'AP-HP, mais aussi au titre de vice-président du réseau RESPPET que je m'adresse à vous.

Partant du constat que les différentes structures de soins « psy » pour les étudiants fonctionnaient trop souvent de manière indépendante les unes des autres et que, de ce fait, l'offre de soins apparaissait éclatée, sans la cohérence requise pour la prise en charge des difficultés psychologiques, le réseau associatif RESPPET s'est constitué en 2008. Il a eu pour objectif d'inclure tous les acteurs de la prise en charge des troubles psychiques proposée aux étudiants de Paris et d'Ile-de-France. Tous sont concernés, mais principalement les médecins généralistes (ils sont peu nombreux et même trop peu nombreux dans le réseau), les spécialistes libéraux (vis-à-vis de la problématique de paiement des soins), les services de médecine préventive universitaire et interuniversitaire, les structures de consultations spécialisées comme les BAPU ou les centres médico-psychologiques ou psychopédagogiques (CMPP). D'autres consultations spécialisées sont également concernées, comme le centre psychiatrique d'orientation et d'accueil de Sainte-Anne (CPOA), qui a ouvert un accueil pour les jeunes adultes. Y participent aussi des établissements d'hospitalisations psychiatriques recevant des étudiants, et des structures associatives privées comme la Fondation santé des étudiants de France.

Il s'est agi à l'époque de mettre en place un réseau de soins ouvert permettant de faire le lien entre les structures, par une meilleure connaissance mutuelle des fonctionnements de chacune d'entre elles et de favoriser une meilleure articulation des soins psychiques apportés aux étudiants : raccourcissement des délais de prise en charge, meilleure coordination, mise en place de projets thérapeutiques élaborés au cas par cas par différentes structures impliquées, etc. Le réseau est aussi d'un lieu d'échanges, de partage et de formation pour les psychologues, psychiatres, généralistes et assistants sociaux qui y participent.

Aujourd'hui, RESPPET est le seul réseau fonctionnel de ce type spécifiquement dédié à la santé psychique des étudiants. Il est ouvert à tous les acteurs de la prise en charge psychiatrique et psychologique des étudiants. Outre la poursuite des objectifs initiaux, son ambition est plurielle : mobiliser d'autres structures de soins jusqu'ici peu ou encore non impliquées dans le réseau, peut-être jusqu'au niveau national ; impliquer d'autres acteurs permettant un relais en libéral, tenant compte de la problématique financière des étudiants afin d'assurer une continuité de prise en charge ; favoriser le développement de projets et dispositifs innovants ; sensibiliser aux problématiques spécifiques des étudiants, autant le grand public que les acteurs du champ sanitaire ; promouvoir une prévention primaire, secondaire et tertiaire efficiente et spécialisée pour les étudiants, pour l'étendre au niveau national et la structurer en véritable réseau de soins avec des moyens pérennes.

Le grand public semble avoir découvert à l'occasion de la crise combien les étudiants étaient en souffrance. C'est pourtant un problème que nous connaissons depuis longtemps. De nombreux rapports en ont fait état, de très longue date. La médiatisation de la crise sanitaire a suscité une prise de conscience importante.

La structuration en véritable réseau de soins est compliquée, car nous sommes tous débordés en tant que cliniciens. Les soins cliniques représentent en effet 90 % de mon activité.

Mon implication dans ce réseau se situe en amont de sa création, quand je travaillais à l'hôpital Cochin, où j'étais responsable d'unité d'hospitalisation dans le service de psychiatrie. Une convention avait été signée entre le BAPU Luxembourg et le service de psychiatrie de l'hôpital Cochin, pour améliorer les liens et pour que le BAPU Luxembourg puisse hospitaliser plus facilement ses patients à Cochin. De la même façon, ces contacts visaient à faciliter la prise en charge psychothérapeutique de nos patients.

Mon implication est directement liée à ma pratique clinique auprès des étudiants reçus en consultation ou hospitalisés à l'Hôtel-Dieu. L'unité de l'Hôtel-Dieu est une unité ouverte, qui accueille des patients en service libre, donc volontaires pour leurs soins. Nous y recevons des patients adressés par des correspondants, par les membres du réseau ou encore via les urgences. Beaucoup de patients, et il y en a de plus en plus, nous sont adressés par les services d'urgence. Il s'agit pour la plupart d'étudiants en situation de décompensation psychique, au sens du passage d'un état stable à une rupture de l'équilibre (c'est le sens systémique de la crise), avec apparition de symptômes psychopathologiques, dont certains ont déjà été évoqués par Frédéric Atger : états anxieux aigus, troubles dépressifs de plus en plus majeurs, troubles des conduites alimentaires, troubles addictifs, désorganisation d'allure psychotique, idéations suicidaires ou mises en acte auto ou hétéroagressives.

Les raisons de ces décompensations sont spécifiques et nombreuses : des enjeux académiques, conjugués avec une vulnérabilité psychique personnelle propre à cet âge de la vie où se jouent l'autonomisation, la socialisation et la construction d'une des parties de notre identité, la partie professionnelle ; les renoncements nécessaires aux choix d'orientation, conjugués aux pressions académiques et/ou familiales ; un environnement d'étude souvent plus anonyme que dans le secondaire ; une éventuelle séparation du foyer familial, en raison de l'éloignement du lieu d'étude ou par désir d'autonomisation ; une paupérisation des étudiants ; la massification de l'enseignement supérieur ; une sélectivité accrue ; des idéaux de résultats parfois malmenés par la réalité, notamment dans les grandes écoles ; des difficultés d'insertion dans le monde professionnel, majorées dans la période actuelle.

Les effets de la pandémie - isolement social, sentiment d'enfermement, incertitudes sur l'avenir, précarité, téléenseignement, angoisse au regard des effets du virus, qui ne doivent pas être négligés - ont exacerbé cette réalité et parfois précipité les étudiants dans ces troubles psychiques et, pour certains, malheureusement, vers le suicide. Il y en a eu un certain nombre, tout comme il y a un certain nombre de tentatives de suicide. Actuellement, plus de 60 % des lits du service, qui en compte 27, sont occupés par des étudiants, ce qui va au-delà de l'unité dont j'ai la responsabilité. Une grande majorité d'entre eux sont hospitalisés pour des idéations ou des tentatives de suicide. Leur taux ne cesse de croître. À ce propos, la mise en place récente, dans le service, d'une cellule téléphonique de régulation de l'offre de soins en suicidologie permet d'aider les professionnels de santé, mais aussi la police, à l'évaluation et l'orientation des patients suicidaires ou suicidants, selon la disponibilité des structures ambulatoires et hospitalières.

Pour bon nombre des étudiants, il s'agit d'une première hospitalisation en psychiatrie, voire d'un premier contact avec la psychiatrie. Outre la prise en charge classique des troubles psychiatriques, le travail avec les étudiants présente des spécificités, tant sur le plan relationnel que dans la prise en compte de la temporalité des études, qui reste linéaire au regard de la temporalité psychique des sujets, qui est beaucoup plus compliquée. Certains étudiants se retrouvent pris en difficulté, car il est difficile d'avancer sur le plan psychique, alors que la temporalité des études continue à se dérouler.

Sur le plan relationnel, la demande de ces jeunes est souvent peu claire et multiple, concernant une réalité interne (mal-être intense) et externe. Elle s'exprime souvent difficilement par une verbalisation directe, car nombre d'entre eux sont encore au sortir de l'adolescence. Beaucoup répondent aux questions par de simples « je ne sais pas ». Ils peuvent s'exprimer sur le mode de l'agressivité, de la méfiance pour la psychiatrie, notamment pour des premiers contacts, ou sur celui d'une attente massive, avec une exigence de soutien inconditionnel et permanent, presque sur un modèle parental protecteur. Il nous faut alors trouver une bonne distance relationnelle, afin de rassurer et de contenir les angoisses d'un étudiant qui peut souvent se sentir vraiment perdu. C'est toute la difficulté lors des premiers entretiens de contact. Le premier contact avec un intervenant « psy » est en effet très important, car c'est là que se noueront la confiance, l'accroche relationnelle et la possibilité d'éviter de développer des troubles plus importants par la suite. C'est là toute la difficulté des « chèques psy », que nous pourrons évoquer lors du débat, qui proposent trois séances puis trois séances renouvelables. Or il semble difficile de fermer la porte aux patients quand une accroche relationnelle commence à se développer.

Par ailleurs, il nous faut aussi prendre en compte la question des études, qui envahit souvent le discours et qui peut servir d'écran pour masquer le mal-être. Il faut arriver à prendre en compte cette question, en permettant aux étudiants de se dégager de la culpabilité qui y est associée, sans perdre de vue la possible participation des étudiants durant leur hospitalisation aux étapes clés des études, pour des choix de filières, pour des rendus importants ou pour certains examens si l'étudiant s'en sent capable. Dans certains cas, un travail de deuil d'une filière d'étude sera nécessaire, tout en accompagnant sur tous les plans, tant psychologiques que sociaux, la construction vers une autre filière. Durant ce temps hospitalier, la poursuite d'une éventuelle psychothérapie est souvent favorisée.

Je terminerai en soulignant une nouvelle fois l'importance du travail en réseau, non pas un réseau qui se décrète, mais un réseau qui se construit au fil du temps, avec tous les acteurs de terrain.

Lorsqu'un étudiant décompense ou présente un risque majeur de décompensation, il est important d'agir rapidement mais sans précipitation.

Pour conclure, nous souhaitons vous faire part d'un certain nombre de points, que nous avons récemment publiés dans une tribune. Nous tenons à souligner l'importance du travail en réseau et à rappeler que des structures existent, mais leur lisibilité reste imparfaite. Je pense d'ailleurs qu'il incomberait aux agences régionales de santé (ARS) de recenser toutes les structures de soins, pour éviter de s'en tenir à déplorer la diversité des structures, qui ne sont pas nécessairement pléthoriques. C'est fondamental, alors que les moyens actuels apportés aux structures restent très insuffisants.

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