Intervention de Yannick Morvan

Mission d'information Conditions de la vie étudiante — Réunion du 25 mars 2021 à 14h30
Santé psychologique des étudiants — Audition de M. Mohammed Benlahsen président de l'université picardie-jules verne du docteur frédéric atger médecin chef de service bureau d'aide psychologique universitaire « bapu pascal » paris du docteur thierry bigot psychiatre vice-président de resppet de Mm. Yannick Morvan enseignant-chercheur université paris-nanterre patrick skehan délégué général de l'association nightline et mmes laurentine véron et fanny sauvade psychologues fondatrices et codirectrices de l'association apsytude

Yannick Morvan, enseignant-chercheur, Université Paris-Nanterre :

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour cette audition. Je rappellerai quelques chiffres en préambule. Les étudiants sont une population qui compte : 2,7 millions de personnes sont en situation d'études en France. Ils représentent d'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) deux tiers de la classe d'âge entre 18 et 20 ans et un tiers de la classe d'âge entre 21 et 24 ans.

Pour situer les enjeux de santé mentale, la feuille de route « santé mentale et psychiatrie » rappelle le coût économique et social élevé de la santé mentale : 109 milliards d'euros par an. On peut rappeler aussi que les troubles psychiques sont invalidants. Ils occupent le septième rang en France des troubles invalidants et le quatrième rang dans le monde. Une étude portant sur l'ensemble de la population du Danemark montre que 15 % de la population totale a déjà présenté un trouble à l'âge de 18 ans, et ce sont des troubles qui démarrent tôt. Une étude américaine réalisée en 2005 nous indique que 75 % des troubles débutent avant l'âge de 24 ans. Ces chiffres permettent de situer les enjeux, en termes de santé mentale étudiante.

De quels indicateurs disposions-nous avant la crise ? Peu d'indicateurs fiables sont disponibles, car il existe peu d'indicateurs à l'échelle nationale ou d'échantillons représentatifs, et peu de données fines, avec des questions de croisement de données, notamment de données académiques, par exemple autour de la question de l'impact de la santé mentale sur les trajectoires de vie. De même, l'impact des conditions sociales mérite d'être suivi. Le rapport récemment rendu sur la politique publique de la donnée met en avant ce point. En tant que membre du collège scientifique de l'Observatoire de la vie étudiante (OVE), il me semble déterminant de pouvoir travailler avec les autres organismes et de croiser les données, bien sûr dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), des droits et des personnes, pour pouvoir décloisonner l'information et obtenir une donnée fine, afin de renseigner la politique publique et aider au mieux les étudiants.

Il existe peu d'études longitudinales. C'est un point important, qui permettrait de vérifier si la situation s'est aggravée. Hormis la cohorte I-Share, source de données importante, on trouve les données de l'OVE. L'Observatoire de la vie étudiante s'efforce en effet de mettre en place un suivi longitudinal : l'enquête « vie d'étudiant confiné » relève de cette méthode.

Avant la crise, en 2016, la première enquête « santé des étudiants » réalisée par l'OVE s'est calquée sur l'enquête du baromètre « santé des Français », pour disposer d'éléments de comparaison entre la population étudiante et la population générale. J'ai préparé quelques enseignements chiffrés de cette enquête, sachant que la situation était déjà difficile à l'époque. 15 % des étudiants présentaient alors un épisode dépressif majeur, contre 10 % de la population générale. Dans l'enquête « santé des Français », 13 % des répondants en situation d'études déclaraient déjà un épisode dépressif majeur. Cette donnée s'est donc confirmée. Par ailleurs, le recours aux soins dans l'année des étudiants qui présentaient des troubles dépressifs était de seulement 53 %, contre 68 % dans le baromètre « santé des Français ». Surtout, le recours aux professionnels de santé mentale ou à des thérapies adéquates, c'est-à-dire soit médicamenteuses de type antidépresseurs, soit des psychothérapies, était seulement présent pour un quart d'entre eux. Le recours aux soins était donc déjà très faible en 2016. Pour ce qui est de l'idéation suicidaire, elle atteignait déjà 8,4 %, contre 4,7 % en population générale, à l'époque.

Un certain nombre d'études ont été produites depuis la crise. Il faut les saluer, notamment l'étude menée en Picardie ou les études de l'Université de Lorraine. Or les indicateurs en santé mentale restent complexes, parce qu'il en existe de nombreux, tout comme il existe beaucoup d'outils, ce qui est compliqué à gérer pour un décideur politique. Sur le seul sujet de la dépression, l'information varie fortement. Il est en effet indiqué que 16 % à 43 % des étudiants souffrent de dépression. Cette variabilité s'explique par l'usage de méthodes et d'outils de mesure différents, avec des taux de participation et des seuils différents pour apprécier la définition d'un trouble psychologique. La situation peut donc être difficile à appréhender, ce qui ne signifie pas que les troubles ne sont pas réels. L'ensemble des indicateurs pointent ainsi une augmentation des difficultés psychiques des étudiants en général, mais aussi de la population dans son ensemble.

Comment traduire ces données en termes interventionnels ? Je rejoins les collègues qui sont intervenus. Ce sont certes des données importantes, mais ce sont des données moyennes, qui recouvrent des situations extrêmement hétérogènes. Ces données ne sont qu'une photographie à un instant T de situations dynamiques, ce qui conduit à modéliser les troubles comme des systèmes complexes, en équilibre. Ces phénomènes sont à la fois complexes et multifactoriels, avec une intrication de composantes environnementales, sociales, économiques, académiques, interpersonnelles, intra-individuelles, biologiques, cognitives et narratives. J'insiste sur ce point, car il a beaucoup été question du suicide. Il est extrêmement important, dans le contexte actuel d'inquiétudes vis-à-vis de l'avenir et de situations d'isolement, de rappeler l'importance de programmes comme le programme « Papageno ». Il faut rappeler des histoires positives. La situation est certes difficile et les étudiants en souffrent, mais il y a un avenir, une sortie de crise possibles, à condition que l'on reçoive de l'aide. Il faut insister sur cet élément.

Comme l'a constaté l'OVE, la crise présente des effets sur les conditions de vie et d'études. La vision de l'avenir est assombrie en termes d'insertion professionnelle. Un coup d'arrêt a en outre été porté à certaines activités rémunérées, ce qui a induit des difficultés financières perçues comme plus importantes, tout comme la détresse psychologique qui a augmenté de 20 % à 30 %. Je précise que les chiffres diffèrent, parce que les seuils, les méthodologies et les taux de réponse diffèrent. Il faut aussi citer le non-recours aux médecins lorsque les étudiants en avaient besoin, plus particulièrement ceux qui étaient en détresse.

Quelles interventions pour les étudiants ? L'une des clés soulevées dans la littérature spécialisée porte sur les stratégies de prévention, qui visent à sensibiliser et détecter tôt pour intervenir tôt. Elles permettent d'éviter la situation de transition vers un trouble, les systèmes étant complexes et en équilibre instable. Il faut éviter que la situation se déstabilise dans une situation pathologique, car il faut parfois déployer beaucoup plus d'efforts ou d'énergie pour revenir à un système antérieur.

Les études nous aident à identifier des facteurs de risque, dans des populations cibles sur lesquelles il convient d'intervenir, sachant que les stratégies restent globales. Il faut ensuite les décliner de manière individuelle. Il ne s'agit pas seulement d'identifier les catégories susceptibles d'être en souffrance - les étudiants en lettres et sciences humaines, en troisième année ou en première année -, mais de leur proposer quelque chose. Communiquer et sensibiliser sont des étapes déterminantes, mais il faut aussi proposer une réponse rapide, qui ne soit pas apportée après trois à six mois d'attente. De plus, une fois la sensibilisation effectuée, le travail ne fait que débuter.

L'évaluation clinique par des professionnels apparaît donc nécessaire, pour pouvoir distinguer les situations et les degrés de sévérité, qui varient dans le temps. Il faut proposer une réponse graduée, adaptée, rapide et surtout soutenue dans la durée, parce que les systèmes et les situations des étudiants évoluent.

Les professionnels ont besoin d'un temps dédié maximal auprès de ces personnes. Les cliniciens ont besoin de temps et de soutien pour organiser la prise en charge et la chaîne de soins. Pour cela, les niveaux d'intervention doivent être coordonnés. Le rôle essentiel des acteurs associatifs a été noté. Je pense en particulier à Nightline, à Apsytude, aux premiers secours en santé mentale ou aux étudiants relais. Surtout, il faut faciliter les parcours entre prévention, évaluation, prise en charge et suivi, autour des différents acteurs, des différentes structures et des différentes tutelles.

Un article récent relatif à une modélisation en Australie a mis en avant la multiplicité des programmes, avec une amélioration du lien social, autour de systèmes qui permettent de coordonner les soins à l'aide de technologies et de systèmes d'information. Grâce à un suivi au long cours des personnes après leur crise, d'actions de réduction des difficultés sociales durant l'enfance, d'une augmentation des programmes d'emploi et des aides sociales pour les étudiants, ce modèle a montré que les comportements suicidaires pouvaient être réduits d'à peu près 30%.

Quelles solutions pour les étudiants ? Rappelons que le rapport de la Cour des comptes sur les parcours dans l'organisation des soins de psychiatrie a posé comme constat principal que l'offre de soins était diverse, peu graduée et insuffisamment coordonnée, et que les moyens spécialisés, extrêmement importants et gratuits sont souvent asphyxiés, faute d'être concentrés sur des publics prioritaires et, évidemment, faute de moyens.

Les solutions sont nombreuses. Nous avons parlé du « chèque psy », qui va dans le bon sens. Encore faut-il cependant qu'il s'articule de manière cohérente avec les dispositifs existants et qu'il vienne en interaction avec ceux-ci, car l'empilement de dispositifs n'est pas satisfaisant. Face aux besoins qui sont réels, ce chèque est sans doute insuffisant. La plupart des données de la littérature nous apprennent qu'une vingtaine de séances seraient nécessaires. C'est tout de même un dispositif intéressant, qu'il faut ensuite coordonner et organiser.

La logique de territoire ne doit pas non plus être négligée. L'exemple du réseau RESPPET apparaît à ce titre tout à fait excellent. Où ailleurs qu'au Sénat peut-on parler des territoires ? Il faut donner les moyens nécessaires à ces réseaux qui se mettent en place, non seulement pour fonctionner, mais aussi pour répondre à des situations extrêmement hétérogènes. Or la logique du réseau RESPPET en région parisienne ne serait peut-être pas la même sur un autre territoire. Tout dépend des situations sur le terrain, dont l'hétérogénéité requiert des moyens de coordination et d'organisation, au niveau des projets territoriaux de santé mentale (PTSM), c'est une évidence. Sur ce point, peut-être la fiche action du PTSM de Paris sur les étudiants mériterait-elle d'être reproduite ailleurs.

Je tiens aussi à souligner le rôle central et pivot de la médecine préventive universitaire dans la coordination. Pour tenir ce rôle, elle a besoin de moyens et d'outils. Or bien des services de médecine universitaire ne disposent même pas d'outils numériques d'organisation de leurs missions. Il faut pouvoir faciliter le plus possible le fonctionnement des services, par exemple par des aménagements d'études. Ces aménagements d'études, nécessaires et utiles dans le cadre de la compensation du handicap, occupent une place importante des consultations et il faut les soutenir. Or les aménagements d'études ont augmenté ces dernières années. Toute la chaîne organisationnelle du soin ou de la prise en charge des compensations académiques doit être facilitée pour les services, afin qu'ils puissent consacrer du temps aux étudiants.

Sur un plan national, il me semble important de développer des systèmes de prévention et de s'appuyer sur le numérique. L'Agence du numérique en santé s'y consacre, par un travail très intéressant. Il faut développer les outils. De plus en plus de systèmes se développent à l'aide de smartphones, pour identifier, répondre plus rapidement ou favoriser l'orientation. Là encore, il faut que ces solutions s'inscrivent dans des organisations réelles. Une simple application, en tant que telle, ne sert à rien si elle n'est pas suivie d'une action ou de l'intervention d'un professionnel en aval. Je suis d'accord avec le fait que les visioconférences fonctionnent. La littérature nous confirme que les prises en charge numériques fonctionnent aussi bien, mais il faut qu'un humain soit présent derrière. Si les systèmes sont totalement automatisés, par exemple autour de fiches pratiques que l'étudiant doit suivre, alors l'acceptabilité est moindre et le système devient moins efficace. Un projet a été financé pour un chercheur qui a reçu des fonds européens dans le cadre des ERC Starting Grant. Il utilise ces technologies via un smartphone, sur la base de modélisations complexes, pour prédire la transition et intervenir au plus tôt.

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