Je suis malheureusement convaincue que des personnes vont subir dans les prochaines années et décennies les conséquences de cette catastrophe. Je préfère parler d'« effet de synergie » plutôt que d'« effet cocktail ». Chaque molécule introduite dans un organisme humain peut avoir ses conséquences propres, mais lorsqu'il y en a plusieurs, elles peuvent interagir et entraîner des effets complémentaires. Comme je l'indique dans mon ouvrage La science asservie, tous les travaux menés sur les cancers montrent qu'il n'y a pas de neutralisation d'un cancérogène par un autre ; il se produit plutôt une potentialisation des effets.
Par ailleurs, la dégradation des molécules liée à leur combustion a également des conséquences néfastes. Ainsi, les hydrocarbures aromatiques polycycliques - il y en a des centaines, dont le plus connu est le benzopyrène, cancérogène avéré depuis longtemps - sont issus de la combustion des hydrocarbures. Il faut aussi citer les suies, également cancérogènes, dont on connaît les conséquences sur la santé, notamment chez les ramoneurs, depuis la fin du XVIIIe siècle.
Dans le cas de Lubrizol, certains produits présents sont effectivement nuisibles à la fertilité. Le problème est que la liste publiée sur le site de la préfecture est très difficile à saisir. Des collègues ont essayé d'identifier les numéros du chemical abstract registry, qui est le registre des substances chimiques, et du registre de l'Agence européenne des produits chimiques (Echa) : ils ont identifié près d'un millier de molécules différentes, parmi lesquelles on trouve des cancérogènes, des mutagènes, des reprotoxiques, des neurotoxiques comme le plomb, des cancérogènes, des substances nuisibles pour le système cardiovasculaire et le rein. Il conviendrait que les institutions fassent un travail beaucoup plus approfondi de recensement, afin de mettre en place le suivi approprié.
L'étude que nous avions menée en Normandie montrait une certaine légèreté en termes de plans de prévention. Une entreprise se contentait ainsi de réunir ses sous-traitants, au nombre d'environ 500, une fois par an dans une salle et de leur distribuer un CD soi-disant « de sécurité », puis faisait signer chaque entreprise afin qu'elle atteste avoir été informée. Il y a un écart entre ce qui est prescrit et la réalité du travail. Le problème est que l'on se fie beaucoup trop aux dossiers et pas assez à l'expérience des travailleurs sur le terrain.