Intervention de Françoise Baïssus

Mission d'information sur les toxicomanies — Réunion du 26 janvier 2011 : 1ère réunion
Audition de Mme Françoise Baïssus chef du bureau de la santé publique du droit social et de l'environnement du ministère de la justice et de M. Guillaume Vallet-valla magistrat

Françoise Baïssus :

Je vous remercie d'avoir invité le ministère de la justice et des libertés. C'est un honneur pour nous de parler cet après-midi devant vous au nom de la direction des affaires criminelles et des grâces.

Le Parlement a décidé de constituer cette mission parlementaire afin que ce sujet de société et de santé publique soit abordé avec un certain recul, avec de la hauteur de vue.

Vous allez faire des propositions réalistes, efficaces pour lutter au mieux contre ce phénomène et apporter aux victimes des réponses appropriées.

Mon propos sera de vous présenter la mise en oeuvre de la politique pénale par la direction des affaires criminelles en matière de toxicomanie.

Je voudrais insister fortement, au préalable, sur le fait que les principes qui gouvernent ces politiques sont ceux décidés par la représentation nationale.

C'est le législateur qui fixe les grands choix de société en matière pénale et pénitentiaire, ces choix sont déclinés en politiques pénale et pénitentiaire mises en oeuvre par le ministère de la justice.

Je vous exposerai de manière synthétique les grandes lignes de notre action, nous serons ensuite à votre disposition pour répondre à vos questions.

Ces orientations, quelles sont-elles ? En matière pénale, le postulat est l'interdiction de la consommation de produit stupéfiants et la sanction de comportements nuisibles à la santé publique. Je vous parlerai bien entendu du traitement judiciaire du simple usage de produits stupéfiants et non du trafic, même si il faut agir de façon concomitante sur l'offre et sur la demande.

Ce traitement judiciaire, depuis plus de quarante ans, se veut différencié, adapté à la situation particulière de l'usager, individualisé aussi et ne se réduit pas à la poursuite répressive d'une infraction pénale mais participe d'une vision holistique de la personne qui fait usage du produit stupéfiant.

L'autre politique -la politique pénitentiaire- c'est la mise en oeuvre du choix du législateur de recourir à l'incarcération.

S'agissant de la politique définie par la direction des affaires criminelles pour le traitement judiciaire de l'usage de produits stupéfiants, je commencerai par quelques données générales et quelques chiffres.

Tout d'abord, on distingue entre drogue licite et drogue illicite. Guillaume Vallet-Valla est spécialisé dans la lutte contre les addictions, y compris le tabac et l'alcool.

Vous le savez, l'alcool est le produit psychoactif addictif qui pose le plus de problèmes aux magistrats et c'est celui qui est le plus souvent lié à la commission des infractions. Deux chiffres parlent d'eux-mêmes : 40.000 morts liés à l'alcool, 200 liés à un usage abusif d'héroïne.

Sur 65 millions de Français, 12 millions ont consommé des produits illicites, 1 à 2 millions ayant une consommation régulière de produits stupéfiants. 800 à 900.000 sont des consommateurs réguliers de résine de cannabis, surtout dans la tranche d'âges 15-25 ans.

150.000 procédures de police ou de gendarmerie sont établies par an. Sur ce chiffre 80.000 procédures feront l'objet d'un traitement judiciaire.

Votre rapport de 2003, fort intéressant, notait, en matière d'usage de stupéfiants, un certain désintérêt à l'égard de l'interpellation. Or on considère aujourd'hui que les interpellations ont été multipliées par deux depuis la fin des années 1990, donnant lieu de façon consécutive à une augmentation du nombre de procédures et du nombre de traitements judiciaires.

Le débat sur l'usage des stupéfiants existe depuis plus de quarante ans. S'il existait une solution miracle, on l'aurait adoptée ! Nous avons au moins l'avantage de disposer d'un cadre légal clair, cohérent, simple à comprendre, structurant pour les consommateurs adolescents ou les très jeunes adultes, particulièrement vulnérables. Alors qu'on a pu évoquer assez souvent l'idée d'une « légalisation contrôlée », je préfère vous proposer la formule de « pénalisation contrôlée », toute l'histoire du cadre légal de l'usage de stupéfiants reposant sur ce principe.

La législation de l'usage de stupéfiants ne figure pas dans le code pénal mais dans le code de la santé publique. Même s'il s'agit d'un délit puni d'emprisonnement et d'une peine d'amende, l'usage de stupéfiants est ainsi plutôt appréhendé sous l'optique du soin médical : la réponse n'est pas que pénale.

La volonté publique dans ce domaine n'a cessé de se préciser, de s'affiner ; elle a, depuis 1970, en particulier avec la loi relative à la prévention de la délinquance du 5 mars 2007, multiplié, diversifié, individualisé la réponse pénale. Je ne parle pas de poursuites mais, volontairement, de réponse pénale, pour rendre compte du large éventail des outils disponibles.

Celui-ci s'étend des alternatives aux poursuites -réponse apportée dans l'immense majorité des cas par le procureur de la République- jusqu'à l'emprisonnement.

La loi de 2007 en est la parfaite illustration : elle prend en considération l'usage de stupéfiants soit comme circonstance aggravante, afin de protéger les victimes potentielles, soit comme révélateur d'un danger pour le consommateur lui-même.

C'est une loi qui innove : elle a introduit de nouvelles mesures et a complété l'éventail des réponses en créant le stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de stupéfiants.

Cet outil pénal à visée pédagogique peut être utilisé dans le cadre d'une poursuite prononcée par un magistrat du siège dans le cadre d'une audience. Elle est cependant essentiellement prononcée avant tout déclenchement de poursuite.

La loi a essayé par ailleurs d'améliorer la prise en charge sanitaire en essayant de donner une autre dimension à l'injonction thérapeutique créée en 1970.

Pour mettre en oeuvre ce cadre légal de l'usage de produits stupéfiants, le ministère de la justice, la direction et mon bureau en particulier ont développé une action constante, notamment depuis 2007.

La politique pénale est guidée par la personnalité et le profil de l'usager. La circulaire du 9 mais 2008 a déterminé ses orientations en vue afin d'éviter de banaliser la consommation de drogues. C'est un point important, que l'on a largement défini et décliné à l'intention des procureurs généraux et des procureurs de la République.

Même si la mise en oeuvre n'est pas forcément uniforme dans tous les tribunaux de France métropolitaine et d'outre-mer, il n'existe pas un tribunal qui n'ait pas de politique pénale en matière d'usage de stupéfiants. Ceci mérite d'être relevé : qui dit politique pénale dit prise de conscience du fait qu'il faut apporter au moins une réponse pénale.

La circulaire du 9 mais 2008 est très clairs sur ce point : les réponses doivent être individualisées, appropriées, en fonction du profil de l'usager, mais systématiques, notamment lorsqu'il s'agit d'usagers mineurs.

Cette circulaire a été un premier apport pour essayer d'aider à la mise en oeuvre de la loi de 2007.

Nous essayons également d'apporter un soutien concret, pratique, matériel aux juridictions. Nous avons diffusé des instruments pédagogiques, créé un guide méthodologique sur le stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de stupéfiants que l'on a diffusé à 2 ou 3.000 exemplaires. Nous avons réuni l'ensemble des parquets généraux pour essayer de les sensibiliser à mettre le stage en oeuvre avant d'en dresser 18 mois plus tard un premier bilan.

Les procureurs sont si surchargés par l'activité pénale de droit commun que ceci leur a paru fastidieux, d'autant qu'ils appliquaient déjà une politique pénale en matière de stupéfiants. Ils ont toutefois reconnu dans le stage un outil extrêmement intéressant, certes encore relativement confidentiel et peu généralisé, mais faisant désormais partie de l'éventail des réponses pénales et permettant une plus grande adaptation dans la mesure où il s'adresse à des personnes relativement insérées et non à des toxicomanes déjà dépendants.

Nous avons beaucoup travaillé en partenariat avec la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), grâce à laquelle nous avons pu diffuser massivement des guides et 1.000 clés USB contenant quantités de fichiers qui disent tout sur l'usage et le trafic de stupéfiants.

Une opération de bilan statistique a également débuté en novembre 2010, en partenariat entre le ministère de la justice et l'Observatoire français sur les drogues et la toxicomanie, afin d'étudier l'utilité effective des stages de sensibilisation.

Une action de la direction des affaires criminelles et du bureau de la santé public a été menée pour sensibiliser les magistrats de terrain à une réponse pénale intelligente en matière d'usage de stupéfiants. Il n'y a pas d'incarcération ni de poursuites systématiques ; elles peuvent exister mais n'interviennent que lorsque toutes les autres réponses pénales ont été épuisées : stages, ordonnances pénales, rappels à la loi avec orientation vers une structure sanitaire, rappels à la loi simple, classements sous réserve d'orientation vers une structure de soins, injonctions thérapeutiques...

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