Certains jeunes perçoivent les réseaux comme une alternative au développement. Ils nous expliquent leur parcours quand nous les rencontrons afin de recruter des sources. Dans la cité, ils commencent par servir de chauffeur au petit trafiquant, avant de « dealer » eux-mêmes. Ils servent ensuite de « nourrices », ce qui leur permet de vivoter. De toute façon, ils n'ont pas d'autres sources de revenus, n'ayant jamais travaillé, et n'accèdent aux droits sociaux que par leur famille.
Un jour, ils franchissent un cap en réalisant une transaction. Certains commencent par une infraction non liée aux stupéfiants pour financer une opération qui, elle, y est liée et leur permet de tripler ou de quadrupler leur mise. Par la suite, ils trouvent la filière qui leur permet de réceptionner et de stocker la marchandise en provenance d'Espagne ou du sud de la France. Plus tard, ils descendent en Espagne. D'abord, ils font « l'ouvreuse » pour le convoi qui remonte le cannabis. Puis ils conduisent la voiture « porteuse », avant de devenir chefs de convoi.
Ils gagnent vraiment de l'argent le jour où ils voyagent entre Malaga et Paris, la Seine-Saint-Denis, Strasbourg ou Dole. Avec les copains qui ont servi de manoeuvres, ils montent leur propre réseau, qui écoule 40 à 100 kilogrammes. En deux ans, ils sont devenus chefs. Ils ont un adjoint et un complice en Espagne, où ils louent une maison et des voitures. En cas de besoin, ils commandent un « carjacking » sur l'Audi Q7 d'une personne totalement étrangère au trafic, ce qui provoque une délinquance accessoire.
Même quand ils ne sont encore que deuxième couteau dans une équipe, il est difficile de les recruter comme source. Pourquoi travailleraient-ils pour nous ? Ils ont des revenus réguliers. Même s'ils ne touchent pas encore 100 000 euros à 150 000 euros par mois, comme les grands chefs de réseaux, ceux-ci ont tous les jours besoin de « go-fast », qui ne sont d'ailleurs qu'un vecteur parmi d'autres.