Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je suis sous-directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction centrale de la police judiciaire, la DCPJ. Ma sous-direction comprend essentiellement des services opérationnels, en charge d'enquêtes et d'investigations spécialisées par champ thématique, comme le trafic des stupéfiants, les vols à main armée, la traite des êtres humains mais aussi la corruption, la délinquance financière, le blanchiment, la cyber-criminalité et, depuis quelque temps, la fraude fiscale.
Cette sous-direction comprend également des services transversaux qui relient l'ensemble de ces unités réparties par champ thématique. Deux d'entre eux sont particulièrement importants : tout d'abord, le service d'information et d'analyse stratégique sur le crime organisé ou SIRASCO, est un service de renseignement, qui fournit du renseignement opérationnel et stratégique et qui permet d'enrichir, de valider et de conforter des renseignements et des synthèses ; ensuite, le service interministériel d'assistance technique, ou SIAT, est chargé des infiltrations, c'est-à-dire des agents undercover, et de la gestion des sources, autrement dit de la gestion des informateurs, pour l'ensemble de la police nationale.
Cette sous-direction regroupe environ 700 personnes, principalement des policiers, mais aussi des gendarmes, des inspecteurs des impôts, des douaniers, des informaticiens, des techniciens de police scientifique.
Tel est le portrait de cette sous-direction, qui peut paraître hétéroclite aux personnes extérieures au sérail de la police.
Vous m'avez convoqué pour témoigner devant votre commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. Avec votre accord, je vais m'efforcer, dans ma présentation générale, de répondre aux six questions précises que vous m'avez adressées, étant bien entendu que j'entrerai ensuite dans le détail des différents sujets, si vous le souhaitez. (M. le rapporteur fait un signe d'assentiment.)
Permettez-moi tout d'abord de rappeler que ma sous-direction a un spectre d'activités très large, dont la fraude fiscale ne constitue qu'une partie. Toutefois, et je vais m'efforcer de vous le démontrer, ce sujet n'est pas sans lien avec le reste de nos activités.
Vous m'avez demandé quelles sont les données quantitatives qui permettent de chiffrer l'activité et les résultats de mon service en matière de lutte contre la fraude fiscale internationale.
Nous disposons de treize entités distinctes - je vous remettrai les organigrammes permettant de situer exactement ces unités au sein de la DCPJ - et, actuellement, dans ma sous-direction, trois unités s'intéressent à la fraude fiscale.
La première est la brigade nationale d'enquête économique, la BNEE, la deuxième la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ou BNRDF, et la troisième est composée des groupes d'intervention régionaux, les GIR, sur lesquels je serai bref, car sans doute auditionnerez-vous le responsable national des GIR.
Premièrement, jusqu'à la création de la BNRDF en 2010, la fraude fiscale n'était visée par l'activité de mes services que de manière ponctuelle, à l'occasion de la poursuite d'infractions pénales comme les abus de biens sociaux, la corruption ou encore les escroqueries en bande organisée. À travers ces infractions, nous révélions des fraudes fiscales qui étaient rapportées à la DGFiP via cette unité spécialisée, placée au sein de ma sous-direction depuis 1948, et que l'on appelle la BNEE.
Les agents de la BNEE sont présents à la fois dans les services centraux et dans les services territoriaux de la police judiciaire. Cette unité est dirigée par un administrateur des finances, assisté de deux adjoints qui sont inspecteurs divisionnaires. Elle comprend quarante-sept inspecteurs des impôts répartis sur vingt et un sites en France. Ainsi, un détachement est placé auprès de chaque direction interrégionale de police judiciaire - qu'il s'agisse de services régionaux de police judiciaire, les SRPJ ou des directions régionales de police judiciaire, les DRPJ - sauf aux Antilles-Guyane et à la DRPJ d'Ajaccio. Dans ces deux cas, notre système compense cette absence par un autre biais, étant donné que la DRPJ d'Ajaccio et la PJ Antilles-Guyane sont souvent cosaisies, dans le cadre des affaires relevant de leur ressort, avec les unités centrales qui, elles, disposent d'inspecteurs des impôts en leur sein. Le cas échéant, elles peuvent également faire appel aux GIR.
Cinq agents de la BNEE sont en permanence à Nanterre, au siège de la sous-direction. Tous les offices et toutes les divisions de la sous-direction font appel à ces personnels qui effectuent les recherches fiscales, contribuent à l'identification du patrimoine des mis en cause et qui, naturellement, nous apportent leur expertise lors de l'examen des facturations et des comptabilités.
En contrepartie, bien évidemment, lorsque la fraude fiscale apparaît à travers les infractions d'abus de biens sociaux, de corruption, de fausses facturations, ces agents de la BNEE signalent à la DGFiP la possibilité d'un redressement fiscal pour les intéressés. Ils nous aident dans le déroulement de nos enquêtes en apportant leur expertise et, parallèlement, ils font le pont avec la DGFiP, pour que, dans le temps de l'enquête, les services des impôts puissent lancer le contrôle fiscal sur les personnes mises en cause.
Vous m'avez demandé quelques données chiffrées, je vais tâcher de vous les fournir.
Les agents de la BNEE, répartis dans l'ensemble des services de police judiciaire sur le territoire national, ont participé à 491 perquisitions et à 1 480 auditions en 2011 : ils sont donc très sollicités, ils sont réellement intégrés à notre activité. En retour, ces personnels informent l'administration fiscale des éléments découverts lors de ces enquêtes et permettent, ce faisant, les redressements fiscaux. Ainsi, on a compté 600 signalements en 2011 : 50 % concernent des personnes physiques, 50 % des personnes morales. Les droits et pénalités exigés ont représenté plus de 170 millions d'euros en 2011.
À mon niveau, je ne peux pas détailler la répartition entre le national et l'international. De même, nous ne suivons plus le taux de recouvrement des pénalités exigées, lequel relève de la DGFiP.
Deuxièmement, la BNRDF, créée par le décret du 4 novembre 2010, se consacre tout particulièrement à la fraude fiscale. Cette unité a débuté ses investigations immédiatement après sa création ; il n'y a pas eu de temps mort, elle a tout de suite engagé des enquêtes. Actuellement, elle est composée de vingt-deux enquêteurs, à savoir neuf officiers de police judiciaire, qui sont spécialisés en matière économique et financière, et treize officiers fiscaux judiciaires - c'est une appellation nouvelle, choisie par les autorités françaises. La BNRDF est dirigée par un commissaire de police issu des GIR et constitue l'une des brigades de la division nationale des investigations financières et fiscales, la DNIFF, dont elle est, si j'ose dire, une sous-partie. Au sein de la DNIFF figure également la brigade centrale de lutte contre la corruption.
À ce jour, 77 plaintes pénales ont été reçues pour enquête, émanant de plusieurs parquets couvrant l'ensemble du territoire national. Ces 77 plaintes ont été regroupées en 55 dossiers judiciaires, en raison des liens qui existaient entre certaines plaintes. Lorsqu'elle engage des procédures, la DGFiP raisonne sur la personne : une plainte par personne. Or, si les deux personnes faisant l'objet d'une plainte sont mari et femme, par exemple, nous considérons qu'il s'agit d'un seul dossier.
Ces enquêtes ont ceci de particulier qu'elles ont pour origine exclusive la DGFiP. C'est donc cette dernière qui décide s'il faut porter au pénal ce type d'enquêtes. La BNRDF n'exerce donc aucune initiative en la matière : nous ne pouvons pas engager nos propres enquêtes, nous sommes entièrement tributaires de Bercy, qui nous dit : « Enquêtez sur ce sujet ». Même si nous disposons de renseignements sur une fraude, il nous faut la dénoncer à Bercy, afin que la DGFiP décide de porter cette affaire au pénal. Il s'agit tout de même d'un long processus.
Sur ces 55 dossiers, 49 enquêtes sont toujours en cours, 39 sont diligentées en enquête préliminaire, 10 sur commission rogatoire. Depuis sa création, la BNRDF a déjà effectué 93 perquisitions, 64 gardes à vue et 67 personnes sont directement mises en cause par les enquêtes.
L'enjeu fiscal des dossiers a été estimé à plus de 240 millions d'euros de droits fraudés. Bien évidemment, les dossiers sont d'inégale importance : certains, dont la presse s'est fait l'écho, représentent un volume très important ; d'autres sont plus modestes. À ce jour, 5,6 millions d'euros ont d'ores et déjà été saisis.
La BNRDF a achevé six procédures, ce qui signifie qu'elle a remis six dossiers ; à ce jour, les poursuites n'ont pas encore été engagées par les tribunaux. Ces dossiers ont été communiqués à la DGFiP pour qu'elle développe, parallèlement, sa propre procédure fiscale.
Au-delà de ces chiffres, la BNRDF a, au minimum, confirmé à chaque fois les présomptions de fraude ayant conduit l'administration fiscale à déposer plainte au pénal. Dans la majorité des cas, les investigations ont permis de découvrir d'autres faits ayant des conséquences fiscales : des comptes bancaires à l'étranger dissimulés, différents du compte qui est à l'origine de la plainte ; des biens immobiliers dissimulés, des recettes occultes, beaucoup de faux, de la corruption. Systématiquement, dès que l'on diligente une enquête fiscale, on découvre d'autres infractions graves, liées à la fraude fiscale.
Troisièmement, les GIR se consacrent également à la lutte contre la fraude fiscale ; toutefois, je suis un peu embarrassé pour vous parler de ce sujet. Pourquoi ? Parce que les GIR sont répartis sur l'ensemble du territoire. Ils sont au nombre de trente-sept et emploient quarante et un fonctionnaires. Ils ont été mis en place par une circulaire interministérielle du 22 mai 2002. Les fonctionnaires des GIR travaillent toujours en cosaisine avec un service d'enquête territorial. Le GIR est en quelque sorte un apport, un composant supplémentaire de l'enquête, qui travaille surtout sur les aspects financiers, les fraudes, le patrimoine et, bien évidemment, les fraudes fiscales qui sont à la clé.
J'évoque les GIR uniquement parce que la coordination nationale des GIR dépend de ma sous-direction. Il en résulte que très régulièrement - au moins une fois par semaine - j'ai une réunion avec la coordination nationale pour faire le point sur l'activité des GIR sur le territoire français.
Toujours dans le souci de vous communiquer des éléments chiffrés permettant de mesurer objectivement l'activité des différents services, je vous indique que 811 informations ou propositions de vérification fiscale ont été transmises aux services fiscaux en 2011.
Dans les GIR, le représentant des impôts conseille, apporte son expertise, comme c'est le cas à la BNEE, mais il a aussi pour mission de signaler à la DGFiP les cas où un redressement fiscal est susceptible d'être envisagé, en raison d'une fraude révélée à l'occasion de l'enquête.
En outre, les agents DGFiP des GIR sont à l'origine de 25 millions d'euros de droits et pénalités réalisés en 2010 sur la base de 162 contrôles fiscaux externes. Selon les dernières informations que j'ai pu obtenir, ces chiffres sont en hausse en 2011, avec 34 millions d'euros pour 216 contrôles.
Les données chiffrées que je vous ai livrées sont liées à l'activité des trois unités de ma sous-direction qui s'intéressent à la fraude fiscale : les GIR, la BNEE et, bien évidemment, la BNRDF qui vient d'être créée.
Ensuite, vous m'avez demandé d'aborder le déroulement concret des investigations.
Pour les GIR et la BNEE je serai très bref, voire très réducteur : au sein de ces services, les agents des impôts nous apportent un plus dans l'enquête et, en même temps, opèrent le lien avec l'administration des impôts. Autrement dit, l'agent des Bercy présents dans le service examine les facturations et la comptabilité, révèle l'existence d'une infraction au regard du code des impôts, nous aide à construire notre infraction pénale et le déroulé de notre procédure pénale et, dans le même temps, il avise la DGFiP en lui signalant les points au sujet desquels un contrôle doit être envisagé.
C'est ainsi que fonctionne la BNEE, au sein de toutes les unités de police judiciaire. C'est également ainsi que fonctionnent les GIR, qui, eux, sont placés au niveau régional et qui travaillent avec toutes les unités, qu'il s'agisse d'unités de police judiciaire ou non - ils opèrent de la même manière avec les sûretés départementales, les sûretés urbaines ou les brigades et les sections de recherches de gendarmerie. Vous le constatez, la BNEE et les GIR n'occupent pas tout à fait le même créneau.
Je vais à présent m'efforcer de détailler l'action de la BNRDF, qui constitue un peu la nouveauté du dispositif français.
Les enquêteurs de la BNRDF, qu'ils soient policiers ou inspecteurs des impôts, ont un déroulé d'enquête qui s'aligne grosso modo sur l'enquête de police judiciaire ; la dominante est bel et bien la police judiciaire. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'un changement radical par rapport à toutes les unités.
N'étant pas un spécialiste des services fiscaux, je dispose en permanence de la liste des unités de Bercy avec lesquelles nous sommes appelés à travailler ; cette liste comprend la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, la DGCIS, la direction des vérifications nationales et internationales, la DVNI et la direction nationale des enquêtes fiscales, la DNEF.
Nombre d'unités sont concernées. Toutefois, au sein de la BNRDF, nous appliquons avant tout des règles de procédure pénale et le savoir-faire de la police judiciaire. Tout simplement - pardonnez-moi, messieurs les sénateurs, de me montrer peut-être un peu réducteur, mais j'aurai ainsi le temps de répondre à vos questions - les brigades fiscales se fondent avant tout sur un système déclaratif : avez-vous un compte à l'étranger ? Avez-vous déclaré les revenus de telle ou telle activité ?
La police judiciaire, elle, ne procède pas sur un mode déclaratif ; elle conduit une investigation qui est tout de suite assez intrusive, avec toutes les limites qu'il convient d'y apporter. On organise des interceptions téléphoniques, des interceptions de courriels, des filatures, des surveillances, des exploitations de disques durs, ... Il s'agit d'une véritable investigation procédurale judiciaire classique.
Je prends la liberté de vous donner un exemple : nos camarades des impôts qui ont intégré cette unité et qui nous apportent leur savoir-faire, lequel est fondamental, ont l'habitude de convoquer les intéressés. Or certaines personnes ne se rendent pas aux convocations, ne défèrent pas, et sont mises en redressement : dès lors, la plainte est déposée.
Si nous estimons que la personne ne viendra pas, nous pouvons, nous, aller la chercher : cela change beaucoup de choses dans le rapport que nous avons avec l'intéressé et dans l'audition de ce dernier, même si ces méthodes sont un peu désagréables. Le budget « timbres » de la BNRDF est réduit ! (Sourires.) Ce sont ces petits détails qui permettent de mesurer la différence.
Après que nous avons procédé à une interception de courriels, il est difficile pour la personne concernée de nier qu'elle possède un compte au Luxembourg alors qu'un de ses courriels fait état d'une correspondance avec un banquier au Luxembourg ! Nous réunissons des indices comme celui-là. Ces procédés vont au-delà de la collecte matérielle simple des éléments d'enquête, c'est une démarche de police judiciaire, d'investigation, parfois intrusive, qui permet de collecter, y compris contre la volonté de l'intéressé, des éléments qui vont le mettre en difficulté. Ainsi, l'enquête change d'échelle et de gabarit.
La BNRDF a tout de suite trouvé sa bonne marche, ses personnels travaillent en bonne entente, et font des choses très simples, comme la police judiciaire : ils convoquent ou vont chercher des personnes, procèdent à des perquisitions avec l'appui de certaines unités qui sont au sein de la sous-direction, opèrent des perquisitions informatiques, avec des moyens techniques particuliers. Ainsi, les personnes sont un peu plus disertes que dans le cadre d'une procédure purement administrative. Elles peuvent être placées en garde à vue, ce qui n'est pas drôle ! La BNRDF exerce donc une activité de brigade de police judiciaire, qui est « assez différente » du mode de fonctionnement habituel des brigades du fisc.
Je reviendrai sur le déroulement précis des opérations ; le document écrit que je vous remettrai détaillera d'ailleurs l'ensemble de ces processus.
Outre le fait que la BNRDF est entièrement tributaire de la DGFiP et de la plainte déposée au préalable au pénal, trente-sept de nos cinquante-cinq dossiers concernent des contribuables qui ne déclarent pas des comptes bancaires à l'étranger. Bien évidemment, nous avons recours à la liste HSBC, que vous connaissez. Ainsi, nous travaillons beaucoup sur les comptes bancaires à l'étranger, potentiellement alimentés par des fonds détournés d'activités commerciales. On a les plus-values réalisées sur les opérations financières non fiscalisées en France, à travers le montage financier impliquant des sociétés étrangères. On a également beaucoup de transferts de fonds à l'étranger, qui ne nous semblent pas correspondre à des opérations économiquement licites ou justifiées.
Vous me demandez si une classification géographique est possible : la réponse est négative. Pourquoi ? Parce que nos enquêtes couvrent à peu près l'ensemble du territoire : Nice, Marseille, Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Beauvais, Paris, ... Une grande part de la fraude s'observe en région parisienne, et Paris occupe une place très importante.
Concernant la classification sociologique, voilà les constats que nous pouvons modestement tirer - cette brigade n'existe que depuis un an - et qu'illustrent l'activité du GIR, celle de la BNEE ainsi que celle de l'ensemble des autres unités de la sous-direction.
Les personnes visées appartiennent toutes à une classe plutôt aisée - même si certains bénéficiaires de minima sociaux peuvent percevoir, à l'étranger, des biens extrêmement importants. Il s'agit rarement de jeunes adultes : nous avons toujours affaire à des individus d'âge moyen, voire avancé. Ce sont majoritairement des hommes : bien souvent, les femmes sont simplement associées au titre d'épouse, parfois bénéficiaires des comptes. Il s'agit majoritairement de personnes ayant assumé des activités commerciales déclarées, dont elles ont détourné une partie des revenus.
Nos enquêtes - et il s'agit également d'une grande différente avec les contrôles menés par les unités de Bercy - nous conduisent à nous intéresser à des délinquants de droit commun, dont les activités sont totalement occultes et illégales. La DGFiP n'accède pas à ces personnes ; ce n'est pas illogique, car il faut tout de même se fonder sur une activité de départ. On se penche alors sur des personnes percevant de très gros revenus. Je rappelle que, en France, le chiffre d'affaires du trafic de stupéfiants est estimé à environ 3 milliards d'euros : il s'agit donc d'individus très riches, avec de très gros capitaux, et que l'on peut cerner en faisant le lien avec les autres unités. Ainsi, très vite, on peut déboucher sur du fiscal.
Je le répète, la classification économique met au jour des personnes percevant d'importants revenus ; dans leur grande majorité, elles sont à la tête de sociétés commerciales et utilisent des circuits financiers assez complexes pour dissimuler leurs revenus.
La BNRDF n'a encore obtenu aucune condamnation pénale. Pourquoi ? Parce qu'elle n'a qu'un an d'activité et que les affaires qui ont été rendues, les dossiers qui ont été restitués à l'autorité judiciaire n'ont pas encore fait l'objet d'une phase de jugement.
Du reste, à ce titre, de petits points de débat commencent à se dessiner - encore une fois, nous sommes en phase d'apprentissage ! De fait, certains parquets souhaiteraient disposer avant l'audience d'une évaluation de la DGFiP quant aux droits qui pourraient être exigés, aux redressements qui pourraient être proposés. Un débat est en cours entre les parquets et la DGFiP. Le parquet financier ou bien la DGFiP vous expliqueront sans doute la source de ces discussions, je n'entrerai pas dans le détail, sauf si vous le souhaitez.
Vous m'avez également adressé la question suivante : « La Cour des comptes a récemment diagnostiqué un cloisonnement entre les services de l'État, au sein de la DGFiP ainsi qu'entre TRACFIN, la cellule anti-blanchiment et la DNEF ? Pouvez-vous préciser, s'agissant de la lutte contre la fraude fiscale, les liens opérationnels entre toutes les entités qui dépendent de votre sous-direction et les brigades ? » En d'autres termes, vous me demandez quel est le lien entre la BNEE, que j'ai évoquée, la BNRDF qui vient d'être créée, les GIR - mais vous avez vite compris qu'ils s'inscrivent dans les enquêtes - et des unités comme l'office des stupéfiants, l'office chargé des vols à main armée ou celui qui se consacre à la traite des êtres humains ?
Il n'y a pas réellement de cloisonnement, sinon par nature, en ce sens que les treize offices existant au sein de la sous-direction travaillent tous ensemble, et ce sans aucune difficulté. De fait, nous tenons, le vendredi, une réunion hebdomadaire qui nous permet de faire le point sur l'activité opérationnelle et l'activité stratégique. Chacun expose les grandes difficultés qu'il rencontre et évoque les dossiers les plus lourds dont il est chargé. Puis, l'assistance requise est systématique puisque, en principe, nous travaillons toujours en task force.
Je prends un exemple, pour être très concret : la BNRDF a besoin de prendre en filature un spécialiste fiscal qui vient du Luxembourg pour rencontrer quelques personnes. Les agents de la BNRDF ne sont qu'une vingtaine, comme je vous l'ai indiqué. Vont-ils pouvoir tenir ce banquier, cet homme d'affaire pendant quatre ou cinq jours, H24, à Paris ? Une unité de vingt personnes n'est pas capable de le faire. Cela ne pose aucun problème ; au cours de la réunion hebdomadaire, nous allons requérir la brigade de recherche et d'intervention financière, la BRI financière, qui ne fait que des filatures, des surveillances et des observations. Nous allons prendre en filature H24 ce spécialiste de l'évasion des capitaux pendant une semaine, en notant tous ses contacts, ses rendez-vous, pour voir avec qui il travaille, jusqu'à ce qu'il entre en contact avec l'individu qui nous intéresse.
La BNRDF va donc aller chercher la BRI financière qui est placée à l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière, l'OCRGDF.
Je prends un autre exemple, la BNRDF travaille en cosaisine avec d'autres services, notamment l'OCRGDF. Je cite un cas simple, sans entrer dans les détails ; aujourd'hui, nous suivons un dossier où, à partir d'une plainte de la DGFiP, nous menons une enquête fiscale sur un monsieur qui est suspecté de frauder le fisc et d'exporter des capitaux à l'étranger, pour lui-même et pour d'autres. Il a été avéré que ce monsieur fait l'objet d'une autre enquête, mobilisant des moyens lourds, en raison de son alliance avec le crime organisé, parce qu'il blanchit les capitaux de groupes criminels implantés en France. L'enquête fiscale prend un coup d'accélérateur fantastique, puisque la documentation accumulée en matière de criminalité organisée est beaucoup plus importante que les renseignements fiscaux qui nous parviennent. Ainsi, nous disposons tout d'un coup d'une vision beaucoup plus complète et « contextualisée » de l'activité de ce monsieur. Partant, nous pouvons distinguer pourquoi il est en contact avec quinze personnes et pas seulement avec une seule ; pourquoi il n'est pas possible d'identifier l'origine de tous les fonds. Certains de ces fonds ne sont pas à lui, d'autres appartiennent pour partie à des personnes liées au crime organisé. Dès lors, la BNRDF va travailler avec l'OCRGDF.
Cela signifie également que les enquêteurs antiblanchiment de l'OCRGDF vont constituer une task force avec ceux de la BNRDF : trois agents de la BNRDF et trois agents de l'OCRGDF vont constituer un groupe pour travailler sur le dossier de ce monsieur, en lien avec l'enquête menée par l'OCRGDF. Encore une fois, s'il y a besoin de filatures et de surveillance, ces agents contacteront la BRI financière, qui mettra à leur disposition douze hommes et femmes qui feront, H24, des filatures et des surveillances, et qui apporteront une masse d'informations non négligeable.
De fait, vous imaginez que, si on trouve un complice, à la fraude ou au blanchiment, on pourra travailler sur ce dernier. Je reviendrai sur ce point. Il s'agit d'un des apports de la procédure pénale et des unités de police judiciaire : nous ne travaillons pas uniquement sur le fraudeur. C'est un point sur lequel nous avons, au début, eu un peu de mal à nous ajuster. Nous travaillons à la fois sur les fraudeurs et sur les circuits qu'ils utilisent, ce qui peut se révéler assez intéressant.
La BNRDF bénéficie donc du soutien opérationnel de toutes les unités de la sous-direction, mais aussi de l'ensemble des services territoriaux. Si elle doit enquêter à Bordeaux, il n'y a aucun souci. Trois personnes peuvent se rendre sur place, en train ou en voiture. À leur arrivée, elles seront reçues par un groupe de la division économique et financière de la PJ de Bordeaux qui va les prendre en main et leur offrir son assistance. Ils restent les pilotes et les patrons mais trois ou quatre spécialistes des affaires économiques et financières viennent les épauler.
Bien sûr, ces renforts assureront la logistique ; ils auront préparé les adresses, les convocations ou bien l'opération pour aller chercher quelqu'un. Bien sûr, ils vont prêter les voitures, le bureau, le matériel informatique, ... Mais ils vont également apporter leurs connaissances territoriales : en amont, ils auront procédé aux recherches d'antécédents sur les personnes, ils se seront rapprochés de leur inspecteur des impôts, en poste à la BNEE, détaché à Bordeaux. C'est un travail d'équipe et il ne faut pas négliger le soutien des agents territoriaux qui est très important : la BNRDF, ce n'est pas vingt-deux fonctionnaires perdus à Paris, qui partent en province tout seuls ! Ils bénéficient du soutien de la police judiciaire.
Par ailleurs, quels sont les liens entre cette sous-direction et les services chargés du budget ?
Le premier lien, très ancien, remonte à 1948 : c'est la BNEE qui, depuis cette date, a déployé ses effectifs au sein de la DGPJ. Comme je vous l'ai indiqué, leur chef et un de leurs adjoints sont basés à Nanterre, au sein même de ma sous-direction, deux étages au-dessus du mien, tandis que le reste des effectifs est réparti dans tous les SRPJ, les DRPJ, les directions interrégionales de police judiciaire, DIPJ, et les antennes de police judiciaire. Ils constituent autant de points de contact sur les enquêtes. Depuis 1948, nous avons l'habitude de travailler avec la BNEE, qui constitue le pont avec la DGFiP. Il y a donc longtemps que nous travaillons avec les services des impôts, à travers la BNEE.
La BNRDF est placée exactement dans la même situation puisque les officiers fiscaux judiciaires, c'est-à-dire les inspecteurs des impôts détachés par Bercy au sein de cette unité, font, eux aussi, le lien avec Bercy, et sont notamment en contact avec la DGFiP.
À ce titre, permettez-moi d'apporter un petit détail, qui sera sans doute évoqué par d'autres que moi. De manière assez surprenante, les agents de la BNEE peuvent consulter les fichiers aux impôts, effectuer les recherches en direct. Ils disposent ainsi d'une réactivité et une efficacité remarquables, d'autant qu'ils savent très bien ce que nous cherchons. En revanche, ceux de la BNRDF ont encore un petit boulet au pied, puisqu'ils ne peuvent pas consulter les fichiers des impôts. Ils ne sont donc pas dans la même situation que la BNEE : il leur faut se tourner vers leurs collègues de la direction nationale d'enquêtes fiscales, la DNEF, à Bercy, pour procéder à la consultation du fichier.
Vous êtes à la BNEE à Nanterre, au milieu des offices, vous consultez les fichiers ; vous êtes à la BNRDF, vous-même inspecteur des impôts, vous ne pouvez pas consulter directement ces données, vous devez demander à des collègues de Bercy qui procèdent aux recherches pour vous. C'est un détail, qui figure au titre des imperfections propres aux créations d'organismes nouveaux.
Enfin, vous m'avez demandé d'aborder les pistes d'amélioration dans le fonctionnement de ces réseaux administratifs. Il me semble avoir déjà signalé deux points qu'il serait possible assez aisé d'améliorer. Je vais m'efforcer de ne pas être trop long.
À mon sens, un point est capital : c'est le principe de polyvalence, que nous avons mis en oeuvre. Lors des enquêtes, l'OCRGDF demande systématiquement à la BNRDF d'affecter un représentant à l'examen de ses dossiers, afin de déterminer si, pour le fisc, il n'y a pas une activité à contrôler, des redressements à opérer.
Dans les affaires de stupéfiants, l'OCRDGF place un observateur pour repérer un éventuel blanchiment ou une possible fraude. Si cet observateur constate un blanchiment, des placements à l'étranger, il s'y intéressera bien évidemment. Il sera cosaisi pour mener à bien les investigations avec l'Office central des stupéfiants. Mais si le dossier comporte quelque chose qui concerne les impôts, on appelle la BNEE ou la BNRDF : la BNEE s'il s'agit simplement de signaler à Bercy des points où des redressements peuvent être envisagés ; la BNRDF si on a affaire à un dossier que l'on pressent relever d'une fraude organisée, avec des circuits complexes.
Ce principe de polyvalence, ce travail en task force constitue un point primordial : dans ma sous-direction, cette méthode est systématique et, actuellement, elle se répand de plus en plus en province.
Les liens entre les personnels, les officiers fiscaux judiciaires et les officiers de police judiciaire travaillant au sein de la BNRDF sont très étroits. Sans doute la DGFiP sera-t-elle également entendue sur le sujet et vous apportera-t-elle la même réponse : la BNRDF est une très belle unité, qui fonctionne très bien, qui s'est mis au travail immédiatement. Les agents issus des deux administrations, de cultures différentes, s'entendent très bien : à mon sens, les personnels des impôts éprouvent beaucoup de satisfaction à travailler dans cette unité qui permet de porter l'investigation à son terme, d'aller « au bout du bout » sans jamais être bloqué par un refus de coopération internationale. C'est très important, mentalement, pour les membres de cette brigade.
Nos agents disposent de moyens modernes et opérationnels. Ils sont, à mes yeux, très satisfaits et, je le constate à travers des demandes tout à fait anecdotiques, l'alchimie opère entre ces personnes. C'est, je le répète, une très belle unité.
L'un des adjoints de M. Parini, M. Gautier qui, sauf erreur de ma part, était numéro 2 à la DGFiP, jusqu'à son départ, récemment, m'indiquait qu'il souhaitait affecter de nouveaux personnels des impôts au sein de la BNRDF, car cette unité présente une grande rentabilité.
Mme Valérie Pécresse, lors de sa venue, a également annoncé qu'elle entendait augmenter les effectifs de la BNRDF. La police judiciaire sera bien évidemment amenée à mettre au pot, si je puis m'exprimer ainsi. Le tout est de nous donner le temps d'analyser les résultats obtenus, les imperfections et les petits points à améliorer, même si, j'insiste sur ce point, cette brigade est très prometteuse.
Néanmoins, cette unité ne peut pas être prospective : elle ne peut que réagir à une plainte émanant de la DGFiP, au terme d'un processus assez long, qui est détaillé dans ce document. (M. Bernard Petit tend un papier dactylographié.)
Ce point mérite d'être souligné. La DGFiP commence une enquête, elle amorce un contrôle fiscal. Au moment où elle estime qu'elle fait face à une fraude très complexe, qui ne permettra pas d'aboutir dans des délais raisonnables ou qui, peut-être, n'aboutira pas du tout, faute de coopération avec le pays étranger concerné, elle présente le dossier devant la commission des infractions fiscales, la CIF, qui donne son accord pour le dépôt d'une plainte au pénal.
Il faut noter que ce dépôt de plainte au pénal est effectué par le service territorial des impôts du lieu du domicile du mis en cause, étant entendu, comme je vous l'ai indiqué, qu'il y a une plainte par mis en cause. Cette plainte est déposée par les agents des impôts auprès du parquet du lieu du domicile.
Fort heureusement, nous disposons d'une circulaire de la chancellerie et tout un travail est mis en oeuvre pour faire connaître la BNRDF sur le territoire. En principe, le procureur saisit la BNRDF qui dispose des outils, des moyens, des personnels qui ont les connaissances. Mais rien n'empêcherait un procureur de saisir un commissariat, une section de recherches de gendarmerie, un service de sûreté départementale ! Le procureur n'a pas d'obligation absolue de faire appel à nous.
D'ores et déjà, il conviendrait de canaliser cette procédure : il serait normal que ces plaintes assez extraordinaires - si vous me permettez cette expression - de la DGFiP, soient traitées quasi automatiquement par notre unité. Lorsque nous apprenons qu'un dossier est passé en CIF, qu'un des adjoints de la DGFiP nous indique que « le procureur de Nice est saisi », nous ne devrions pas être obligés de « bétonner », de contacter ledit procureur pour lui rappeler qu'il existe une brigade nationale. La DGFiP fait de même, par ses réseaux territoriaux, mais ce processus n'est pas automatique, ce qui nous demande, malgré tout, un effort.
Quand bien même aurions-nous des renseignements sur une fraude fiscale d'envergure avec des circuits financiers complexes - j'ai évoqué il y a quelques instants une unité spéciale, le SIRASCO, qui fait du renseignement, ainsi que le CIAT, qui gère l'ensemble des ressources humaines de la police judiciaire et qui, surtout, enregistre ces sources pour l'ensemble de la police nationale - la BNRDF ne pourrait pas se saisir de ces renseignements pour enquêter. Il nous faudrait sans doute suivre un circuit spécifique, habiller cela par un blanc ou par l'amorce d'une enquête préliminaire nous permettant de dénoncer les faits via la BNEE afin que la DGFiP soit saisie. Cette dernière pourrait alors décider de porter plainte au pénal ou bien tenter, par ses propres moyens, une investigation aboutissant à une proposition de redressement.