Intervention de Jacky Richard

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 8 avril 2014 à 16h05
Audition de Mm. Jacky Richard rapporteur général et laurent cytermann rapporteur général adjoint de la section du rapport et des études du conseil d'état

Jacky Richard, président adjoint et rapporteur général de la section du rapport et des études du Conseil d'État :

Tous les ans, notre institution détermine un thème pour le seul de ses travaux qui dépend de son choix. Cette année, après le droit souple, les agences et « consulter autrement, participer effectivement », le Conseil d'État a décidé de travailler sur le numérique et les droits et libertés fondamentaux. Ce thème, que la section des études avait déjà proposé il y a quelques années, a fini par être jugé de la plus grande importance.

Depuis cet été, nous avons procédé à une soixantaine d'auditions, d'hommes et de femmes de l'art, mais aussi de juristes, de chercheurs, de représentants de grands groupes numériques, de fiscalistes. Au-delà, nous avons constitué un groupe de contact - et non un groupe de travail - d'une vingtaine de personnes très intéressées par le sujet, d'horizons très divers (acteurs de l'économie numérique, représentants de grandes associations de défense des droits de l'homme ou des consommateurs, chercheurs ou techniciens) auxquels nous avons présenté nos intuitions, puis nos orientations, et à qui nous soumettons maintenant nos propositions. Nous avons été deux fois à Bruxelles, pour rencontrer des représentants de la Commission, du Conseil européen, du Parlement européen et des lobbys installés à Bruxelles. Enfin, cette étude thématique cessera d'être le travail de notre section ou de son rapporteur général pour devenir celui du Conseil d'État tout entier : elle passera par le filtre de l'assemblée générale, ce laminoir qui offre toutes les garanties en termes juridiques et de diversité des angles de réflexion. Nous présenterons notre travail fin mai à l'assemblée générale, puis début juillet aux autorités.

Deux sujets sont à l'articulation de la problématique autour de laquelle se déploie le plan général de l'étude adopté en janvier par l'assemblée générale : la gouvernance de l'Internet et la territorialité de la norme. Puisqu'il s'agit de droits fondamentaux, le Conseil d'État porte une attention très forte à la protection des données personnelles ; cependant cette problématique doit être vue dans sa complétude : Internet et le numérique en général offrent des potentialités en termes économiques et de liberté qu'il ne faudrait pas mettre sous le boisseau, sous prétexte de risques avérés d'atteintes aux droits fondamentaux.

La gouvernance présente des difficultés majeures ; il ne s'agit pas seulement d'ICANN et de ses satellites, ni uniquement de la domination d'un modèle multipartite de plus en plus contesté, mais aussi d'initiatives à l'échelle régionale ou nationale.

Il y a aussi des tensions au sujet de la gouvernance d'Internet. À cet égard, il ne faut pas sous-estimer l'effet des prises de position des États, même si cela va à l'encontre des idées reçues. Certes l'ICANN a une gouvernance souple, multipartite, qui fonctionne selon un rapport de forces établi, sans reposer sur du droit dur, mais des dispositions de droit peuvent modifier les structures d'Internet. Le traité de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle de 1996 a incité les États-Unis à prendre, en 1998, le Digital Millennium Copyright Act (DMCA). De même, en Europe, la directive sur le commerce, les directives sur le commerce électronique en 2000 et sur le droit d'auteur en 2001, ou la directive sur les données personnelles de 1995 ont eu des effets.

Cessons de nous lamenter sur une gouvernance d'Internet qui nous échapperait ; il est possible d'agir. Le modèle multipartite, s'il reste très présent, suscite des controverses, car le déséquilibre en faveur des États-Unis est fort. La Chine développe son propre standard pour échapper à cette gouvernance. Les sujets techniques comme la migration de l'Internet Protocol (IP) sont source d'évolutions. Un nouveau cadre est à définir. Il est possible de faire des propositions. Encore faut-il être présent ! Les Européens sont absents. Mme Revel, dans son rapport, le soulignait déjà. La conférence de Sao Paulo sera l'occasion de poser des jalons en vue d'une nouvelle gouvernance, pas seulement multipartite mais aussi intergouvernementale. L'idée défendue par la France et l'Allemagne d'une agence mondiale multipartite qui intégrerait toutes les composantes d'Internet est une piste intéressante. Nous ferons des propositions en ce sens.

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