Intervention de Laurent Cytermann

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 8 avril 2014 à 16h05
Audition de Mm. Jacky Richard rapporteur général et laurent cytermann rapporteur général adjoint de la section du rapport et des études du conseil d'état

Laurent Cytermann, rapporteur adjoint :

S'agissant de la territorialité de la norme, il importe tout d'abord de se défaire de plusieurs idées fausses mais profondément ancrées. Ainsi, Internet serait, par nature, a-territorial. Toutefois, dès qu'une entreprise et un particulier nouent des contacts sur la toile, des rapports de droit international privé se créent, même s'il faut définir le juge et le régime juridique applicable, celui du pays où est installé l'entreprise ou celui du pays de l'internaute. Comme beaucoup d'entreprises sont installées hors de l'Union européenne, elles sont susceptibles d'échapper à la compétence de nos juridictions. C'est parfois compliqué, mais le droit s'applique. Dans l'affaire des enchères d'objets nazis, Yahoo, qui avait été condamnée par la justice française, a été déboutée par la justice américaine qui a explicitement reconnu la compétence de la justice française pour prononcer des sanctions. De même, le juge français s'est reconnu compétent pour demander à Twitter de supprimer le hashtag « Un bon juif » ; Twitter a obtempéré et un mécanisme de signalement des insultes antisémites a été mis en place. Ces exemples montrent que le juge peut faire évoluer le droit.

Il convient ensuite de distinguer la responsabilité pénale ou civile délictuelle ou quasi-délictuelle et la responsabilité contractuelle. Dans le premier cas, l'enjeu est de déterminer la loi à appliquer, celle du pays de l'entreprise ou celle du pays de l'internaute. Les jurisprudences française et européenne ont évolué. Initialement le juge se déclarait compétent dès lors que le site était accessible depuis la France, ce qui lui donnait potentiellement une très large compétence. Désormais prévaut le critère de l'activité dirigée du site, appréciée selon un faisceau d'indices (langue du site, existence ou non d'une version française, monnaie utilisée, etc.).

En matière contractuelle, une grande liberté est reconnue aux parties pour choisir leur juge et le droit applicable. Les entreprises qui vendent des services sur Internet accompagnent souvent leurs prestations de clauses prévoyant la compétence de la législation américaine et à l'égard desquelles l'internaute est démuni. Toutefois, cette prédominance de la volonté des parties n'est pas sans limites. Les règlements européens Bruxelles I et Rome I empêchent une entreprise de priver un consommateur de la protection de sa législation nationale. La cour d'appel de Pau, dans un arrêt Sébastien R. contre Facebook, estimant que les clauses de Facebook n'étaient pas claires et que, dès lors, le consentement de l'internaute n'était pas valable, s'est reconnue compétente et a écarté la compétence de la justice américaine. Le règlement Bruxelles I bis, qui remplacera en janvier 2015 Bruxelles I, élargit le régime, puisqu'il s'appliquera aux consommateurs, même si l'entreprise est située hors de l'Union européenne. En outre, le projet de règlement sur les données personnelles, déjà voté par le Parlement européen, sera applicable aux responsables de traitement établis hors de l'Union européenne qui vendent leurs services à des consommateurs européens ou observent le comportement d'internautes européens - c'est l'application du critère de l'activité dirigée. Il apparaît important que les États de destination fassent prévaloir leurs normes.

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