Intervention de Vincent Champain

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 10 avril 2014 à 9h00
Audition de M. Vincent Champain directeur des opérations de general electric france

Vincent Champain, directeur des opérations de General Electric France :

Les usages de l'Internet sont multiples, ce qui complique la tâche en matière de régulation. Il y a bien sûr les usages grand public que tout le monde connaît, mais il en est également d'autres, dont on entend moins parler. Le récent crash de l'avion Malaisien en a donné un aperçu, puisque l'on a appris, à cette occasion, que les dernières informations envoyées au sol étaient celles qui provenaient du moteur, que les fabricants équipent de capteurs pour savoir comment il se comporte selon la température et l'altitude, afin d'en optimiser le fonctionnement. Et ces informations passent par Internet. Il s'agit là de données qui n'ont aucun caractère individuel, mais dont la collecte et l'utilisation génèrent de la valeur et du progrès technique.

Si j'ai cité cet exemple, c'est pour illustrer combien il importe de distinguer les usages, pour trouver, sur chaque segment, le bon équilibre entre les exigences du progrès technique et de l'efficacité et le droit à la protection de la vie privée. Le segment de l'Internet industriel est peu connu, mais c'est pourtant sur ce relai que le combat industriel va se mener.

Les géants qui brassent de gros volumes de données individuelles se sont développés parce qu'ils pouvaient s'appuyer sur des masses critiques linguistiques. Avant que n'apparaisse un acteur de la taille de Google, les initiatives ont été nombreuses, tant en Europe qu'aux États-Unis. Je pense à celle de François Bourdoncle, qui, après avoir travaillé dans la Silicon Valley, pour affiner les résultats renvoyés par le moteur Alta Vista, a créé un moteur de recherche français, Exalead, dont le développement a certainement souffert de ce défaut de masse critique. Aux États-Unis, en revanche, les entreprises ont pu s'appuyer sur une communauté linguistique de 300 millions de locuteurs, qui leur a donné l'avantage. Nous aurions pu gagner la bataille si nous avions raisonné non à l'échelle nationale mais à celle de la francophonie, pour gagner en masse critique.

Il en va de même en matière de gouvernance, ou dans les accords de libre-échange : nous ne valorisons pas cette plaque francophone. On gagnerait à faire pencher le curseur du côté de la francophonie numérique, sans donner l'exclusive aux questions culturelles, car certaines applications du big data en font aussi un sujet industriel. Je pense notamment aux analyses qui peuvent être conduites sur ce qui se dit des marques dans les blogs en français : il est plus facile de se développer autour d'une clientèle qui parle la même langue que d'avoir à franchir des barrières linguistiques. Joël Rubino, un ancien d'IBM, a créé une start-up, Apicube, qui travaille là-dessus, avec l'idée que les technologies qui fonctionnent en français peuvent se développer en s'appuyant sur la francophonie.

Le deuxième enjeu industriel concerne ce que l'on appelle, en bon français, la data competitiveness. S'il est plus facile d'être localisé à Gibraltar qu'en France, cela suscitera rapidement des difficultés... Ceci pour dire combien il importe de prendre en compte, dans le débat sur la sécurité des données personnelles, les enjeux industriels, et par conséquent de mener un dialogue dynamique avec tous les acteurs, y compris avec le monde français des hackers. En matière de régulation législative, on ne peut pas partir de l'idée que ce que l'on va édicter vaudra pour cent ans... Jusqu'à présent, dans les organes de consultation appelés à se prononcer sur le web, sur le web 2.0, on a largement privilégié l'architecture institutionnelle, sans donner assez de place au monde industriel. Un rééquilibrage serait bienvenu.

S'agissant de la protection des données personnelles, les choses sont plus complexes qu'on ne le croit. Il y a quelques années, des packs énormes de requêtes effectuées sur Yahoo se sont retrouvées sur Internet. Il a été démontré que ces données, quand bien même elles ne comportaient aucune indication personnelle, permettaient d'identifier des individus, parce qu'il s'agissait de données très intimes. Peut-être certains sites miroirs autorisent-ils encore aujourd'hui de telles explorations.

Quelles solutions ? Je crois qu'au-delà des modes de régulation classiques, on gagnerait à être plus humbles et plus dynamiques dans le dialogue, car les innovations industrielles deviennent vite caduques. Les technologies n'apportent pas que des menaces, elles peuvent aussi apporter des solutions pour protéger le partage de l'information.

N'oublions pas que nous sommes dans un cadre mondial, où les effets d'échelle sont très rapides. Voyez comment WhatsApp, démarrée avec quarante personnes, est devenue, en quelques trimestres, aussi puissante que nos champions de l'automobile.

L'Europe souffre d'un petit retard, pour deux raisons. L'une est positive, elle tient à notre souci de la protection des données individuelles et du droit à l'intimité numérique, mais l'autre ne l'est pas, et c'est le manque de coordination entre États membres. Certes, les textes en préparation visent à faire face à cet enjeu mais pour l'heure, une start-up qui cherche à grossir se trouve confrontée à vingt-sept droits différents.

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