Monsieur le président, je suis content, sinon heureux, d'être ici ce matin. L'évasion des capitaux est en effet un sujet particulièrement important, surtout aujourd'hui, puisqu'il explique en partie un manque de compréhension entre l'opinion publique et les acteurs économiques, singulièrement s'agissant de Total, qui est la plus grosse société française, avec toutes les responsabilités et tous les devoirs que cela comporte.
Je me réjouis d'avoir été invité à m'exprimer devant la commission d'enquête, pour répondre à des questions qui me semblent absolument primordiales, sur les interprétations que suscitent nos résultats, nos comptes et nos impôts. Donc, même si l'on peut considérer que je ne fais que répondre à une demande, sachez que je suis content d'avoir l'occasion de m'exprimer devant les sénateurs de la commission d'enquête ici présents et que, oui, je jure de dire toute la vérité.
Je ne suis pas un fiscaliste hors pair, contrairement à certains de mes collaborateurs ici présents. Si des questions techniques sont posées, nous apporterons des précisions sous une forme adéquate. Je ne serai probablement pas toujours en mesure de répondre à des questions trop spécifiques.
Total, qui est présent dans 170 pays, opère réellement dans 130 d'entre eux. Dans les autres, l'entreprise vend les produits qu'elle fabrique.
Notre activité est complètement intégrée dans la chaîne du pétrole, de l'exploration-production au marketing, c'est-à-dire jusqu'au client final. C'est une spécificité de la politique de Total par rapport à ses grands concurrents, qui décident de plus en plus de sortir du marketing. Nous estimons, pour notre part, que la proximité avec nos clients, même si, de temps en temps, cela provoque quelques difficultés, fait partie des responsabilités d'une société. Si celle-ci n'est pas capable ou n'ose pas vendre ses propres produits sous prétexte qu'ils sont trop chers, il faut qu'elle change de métier !
En tout cas, vous ne nous verrez pas adopter, sauf lorsque la situation devient ingérable, une politique consistant à nous désengager de l'aval. J'insiste sur ce point, qui est vraiment une spécificité de la maison.
Nos activités vont de l'exploration production au raffinage, à la pétrochimie et à la chimie. Le groupe a récemment décidé de se restructurer, en regroupant sa pétrochimie et son raffinage, qui sont des métiers tout à fait équivalents et qui permettent, en particulier en Europe, en tout cas nous l'espérons, de redonner une compétitivité à nos grandes installations industrielles.
Bien que le marketing ne soit pas mis à part, il s'agit d'un métier différent, qui entre dans le cadre du commerce international. L'affaiblissement des liens entre le raffinage et le marketing, surtout avec les changements d'acteurs dans le monde - mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui - fait que cette logique de restructuration était évidente à nos yeux. Il s'agit d'un changement assez important pour les employés qui sont amenés à la vivre.
Nous sommes présents dans de nombreux pays, et en France. Permettez-moi de faire passer à ceux qui ne l'auraient pas déjà eue une plaquette présentant l'activité de Total en France. Cela fait maintenant plusieurs années que nous publions un tel document. Pourtant, on a beau distribuer tout ce que l'on veut, il est toujours surprenant de constater que cela ne passe pas ! Je réessaie donc une nouvelle fois.
Cette plaquette est courte, lisible, vérifiable, tous les chiffres ayant été audités par nos commissaires aux comptes. Nous n'avons rien à cacher. Parmi les sociétés internationales et pétrolières intégrées, nous sommes l'une des premières pour ce qui est de la présence dans le pays d'origine, en particulier en matière d'emplois et de personnels, ce dont nous sommes très fiers. De temps en temps revient toutefois un « problème » de désamour, surtout lié, pour moi, à des motivations électoralistes et politiques, face à une entreprise qui gagne beaucoup d'argent. Telle est la raison pour laquelle mon audition revêt une importance particulière.
On prétend très souvent que Total ne paierait pas d'impôts, manipulerait ses prix de transfert pour éviter d'en payer, soit dans les pays producteurs, soit en France.
Notre groupe étant taxé en France à 36,10 %, ailleurs à 80 % et globalement à 53 %, inutile de vous dire que je préfère payer l'impôt en France ! Cette réponse est bien évidemment insuffisante, mais elle devrait tout de même ouvrir les yeux de certains, qui pensent que nous ferions exprès de ne pas payer nos impôts en France.
On dit aussi que Total manquerait de transparence, ce qui empêcherait de savoir où et combien le groupe paie d'impôts. Je reviendrai sur le régime du bénéfice mondial consolidé, ou BMC, dont nous avons été amenés, nous, à demander l'arrêt l'année dernière.
Ce BMC, tout le monde le sait, permettait aux agents du fisc français de vérifier absolument tous nos comptes, dans tous les pays du monde, paradis fiscaux ou non. Nous envoyions nous-mêmes ces fonctionnaires dans un certain nombre de pays qu'ils choisissaient pour parachever leurs vérifications. Aucun pays n'était exclu de la liste ! Je n'irai pas jusqu'à dire que la fin du BMC est une perte de transparence, mais c'est très certainement, pour les inspecteurs du fisc, une perte de contrôle. Quelques personnes, à Bercy, le savent.
Il paraît que le BMC constituait, au bénéfice de Total, une niche fiscale inacceptable. Je vous assure du contraire. En outre, le bénéfice mondial consolidé avait été mis en place par l'Assemblée nationale, donc par les politiques, pour développer les sociétés françaises à l'étranger ; le dispositif a très bien fonctionné. Merci à ces parlementaires courageux ! Apparemment, les temps changent : ce qui était considéré comme un bien pour la France, à savoir le développement à l'étranger, est aujourd'hui, sans vouloir faire de la provocation, dénigré sur le thème des délocalisations. Il ne faut tout de même pas se tromper ! Il existe peut-être des délocalisations, mais il y a aussi une volonté des grandes sociétés de se développer à l'étranger, avec fierté, avec des employés français, avec de la technologie française ! Et tout cela n'a rien à voir avec de la délocalisation.
On nous reproche de nous installer en Tunisie, en qualifiant notre implantation de « délocalisation ». Ensuite, les mêmes personnes viennent nous dire que la seule manière de renforcer la démocratie dans ce pays, c'est d'y investir ! Moi, je ne sais pas faire ! Un jour, c'est de la délocalisation, le lendemain, de l'investissement ! Cette question mériterait un débat un peu moins lapidaire, surtout par les temps qui courent, où chacun est à la recherche de croissance et de création de valeur.
D'aucuns soupçonnent par ailleurs Total d'utiliser des filiales implantées dans des paradis fiscaux et des trusts pour ne pas payer d'impôt. Permettez-moi de revenir sur la notion de bénéfice mondial consolidé. Tous les comptes de ces trusts, ainsi que la raison de leur existence, étaient connus du fisc. De surcroît, toute reconstitution entraînait l'application du taux français. Autrement dit, en l'absence de taux, dans le cadre du BMC, c'est le taux français de 36,10 % qui s'appliquait. C'est moins que 53 %, mais ce n'est pas zéro.
Donc, aucun paradis fiscal ou trust n'est aujourd'hui utilisé par Total pour ne pas avoir à payer d'impôts.
Total ne paierait pas d'impôts ? Je suis au regret de dire que nous sommes l'une des sociétés qui paient le plus d'impôts au monde, avec un peu plus de 14 milliards d'euros en 2011, soit un taux effectif de 53 %, par conséquent supérieur au taux français de 36,10 %.
Indépendamment du fait que nous payons globalement l'impôt, on nous reproche de ne pas acquitter, en France, l'impôt sur les sociétés. C'est faux. Nous avons versé à ce titre environ 300 millions d'euros en 2011. Depuis 2000, c'est-à-dire depuis la fusion de Total et Elf, nous avons acquitté en douze ans environ 2,7 milliards d'euros, soit en moyenne 225 millions d'euros par an.
Bien sûr, par rapport à nos résultats, cela peut paraître faible, surtout aujourd'hui, mais il faut comparer les profits avec les profits. En effet, quand on rapproche les profits que nous réalisons en France avec ceux que nous dégageons dans l'ensemble des pays où nous travaillons, on s'aperçoit que les impôts que nous payons en France sont en ligne avec les résultats que nous y faisons, ce qui paraît tout à fait logique.
En gros, Total paie ses impôts dans les pays où il réalise ses résultats. Il n'y a pas de montages spécifiques qui permettraient de contourner quoi que ce soit. Au cas où cela vous aurait échappé, je rappelle que Total est une société très visible, non seulement en France, mais aussi dans tous les pays où nous sommes présents. Quand nous gagnons beaucoup d'argent en Norvège et en Grande-Bretagne, nous y payons des impôts. En Norvège, le taux est de 78 % ; en Grande-Bretagne, il peut aller jusqu'à plus de 80 %. Ces pays sont très soucieux de s'assurer que nous payions des impôts chez eux, sur des revenus qui viennent de chez eux, afin que nous n'allions pas les payer ailleurs. Cela s'appelle le principe de territorialité de l'impôt, bien connu en France, lié aux conventions fiscales internationales, vues et revues par le Parlement français.
On dit, mais cela n'est pas vraiment entendu, que, si la France n'appliquait pas ce principe de territorialité et taxait les profits de source mondiale, une telle imposition ne pourrait se faire sans déduire de l'impôt français les impôts déjà acquittés à l'étranger. C'est un point important : même si on oubliait le principe de territorialité, les impôts que nous payons à l'étranger viendraient en déduction de l'impôt que nous aurions à payer en France, ce qui reviendrait quasiment au même. Cela découle d'un principe fondamental appliqué dans tous les pays et défendu par l'OCDE, à savoir le principe d'élimination de la double imposition.
Or ce mécanisme de taxation mondiale, avec déduction des crédits d'impôt étrangers, c'était le bénéfice mondial consolidé, que l'on a tant reproché à Total, et qui a été supprimé l'année dernière. Nous avions en fait un système qui permettait au fisc français de tout retraiter, sur une base française, avec un impôt français, dont nous déduisions, avec des certificats, les impôts payés à l'étranger, ce qui est le plus extrême respect de la loi sous toutes ses formes.
On dit aussi que Total et ses filiales françaises paient d'autres impôts. C'est vrai, et nous insistons sur ce point. Bien sûr, l'impôt sur les sociétés est le plus visible, mais c'est surtout le plus utilisé contre nous quand il est nul, parce que cela permet d'éviter de parler des autres impôts. En 2011, nous avons tout de même payé en France 1,2 milliard d'euros d'impôt, non compris bien évidemment toutes les charges sociales que nous acquittons sur nos salariés en France.
Me référant à la brochure que vous avez sous les yeux, j'en citerai très rapidement les chiffres principaux, pour vous montrer l'importance de notre société pour notre pays.
Nous sommes le premier raffineur français, avec près de 50 % des capacités de raffinage, et le deuxième opérateur gazier - c'est le fruit d'une longue histoire, notamment le monopole. Avec plus de 4 000 stations-service, Total est le plus gros distributeur, mais attention, on mélange souvent ici les données : certes, les grandes surfaces réalisent globalement 60 % du volume, contre 20 % pour Total, mais, si l'on considère la taille de chacune des grandes surfaces prises individuellement, nous sommes effectivement le numéro 1.
Avec des investissements s'élevant à 1,5 milliard d'euros, destinés à moderniser notre outil industriel et à le rendre de nouveau compétitif, nous sommes l'un des plus gros investisseurs en France. Notre masse salariale représente 3,2 milliards d'euros, dont 120 millions d'euros sont versés au titre de l'intéressement et de la participation.
La France représente 23 % de notre chiffre d'affaires, 14 % des recrutements mondiaux, 50 % des dépenses de recherche et de développement, soit environ 400 millions d'euros. La France compte 14 % de nos sites industriels, 33 % de l'actionnariat du groupe, avec 520 000 actionnaires individuels.
Globalement, le chiffre d'affaires réalisé avec Total par les fournisseurs français s'élève à plus de 5 milliards d'euros. Voilà pour l'impôt sur les sociétés.
On dit également que Total manipulerait ses prix de transfert pour ne pas payer d'impôts. Parlant aujourd'hui sous serment, je vous dis que c'est faux. Je ne vois pas comment on pourrait le faire ! L'essentiel de nos flux concernent le pétrole brut et les produits pétroliers. Ces prix sont contrôlés de très près par tous les États dans lesquels nous travaillons : c'est en effet leurs propres impôts qui en dépendent. De surcroît, il y a des prix de marché et des cotations, et l'on ne peut pas y toucher. Quand bien même on modifierait une cotation - on n'est pas à un ou deux centimes d'euros près quand il s'agit de prix de transfert, contrairement aux prix à la pompe - parce qu'ils sont vérifiables par des cotations internationales, les prix de transfert sont absolument intouchables ! Tout le monde les connaît, mais, de temps en temps, on fait semblant de les ignorer.
Tous les pays producteurs avec lesquels nous travaillons utilisent exactement les mêmes références, à savoir le Platt's, le marché du Brent ou le celui du WTI. Les formules utilisées sont reconnues dans les États où nous travaillons, en particulier par leurs fiscs. Il ne faut pas croire que ces derniers sont moins intéressés que le fisc français par nos impôts et notre argent !
On pourrait aussi s'amuser à dire qu'il vaut mieux payer des impôts en France plutôt qu'en Grande-Bretagne. En tout cas, tant que le taux français est fixé à 36,10 %, ce serait beaucoup moins cher pour nous ! Mais cela ne correspond pas à la volonté de ces pays.
L'avantage d'une société comme la nôtre, c'est que nos activités sont visibles. Le coût d'une plateforme est de 30 milliards de dollars, voire plus. Il s'agit d'investissements colossaux, qui atteignent plus de 20 milliards par an. Si vous vous demandez où vont nos résultats, ne vous penchez pas sur les dividendes ou les salaires des mandataires sociaux. Il n'y en a d'ailleurs qu'un, c'est moi ! L'investissement est clairement prioritaire. Nos plateformes ne sont ni à Jersey ni au Bermudes. Dans le monde entier, Total est visible, ce qui n'est peut-être pas vrai de toutes les entreprises.
Les 14,1 milliards d'euros d'impôts que nous payons correspondent très exactement à l'impôt sur les sociétés.
Par ailleurs, nous faisons partie d'une association, le EITI, l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives. Total a apporté son franc soutien à cet organisme, né sous l'égide de l'ONU, que le groupe et moi-même respectons beaucoup. J'y ai d'ailleurs pris une part vraiment active. Il se différencie de ce que l'on appelle le Publish What You Pay, défendu par les Anglo-Saxons, en particulier les Américains. Nous estimons cette deuxième formule moins bonne, dans la mesure où, au lieu de pousser les États à changer par toutes sortes de moyens, parfois énergiques, le PWYP impose des solutions. Or nous sommes plus favorables à une évolution des esprits qu'à des changements imposés. Si le EITI n'est pas parfait, il commence cependant à fonctionner. Publish What You Pay remet complètement en cause l'idée selon laquelle on peut faire bouger les choses autrement que par la loi et le droit, c'est-à-dire par la conviction.
Je maintiens que nous défendons le EITI par rapport au PWYP.
Le BMC a permis aux agents du fisc français, qui sont bien évidemment soumis à l'obligation de confidentialité, de connaître toutes les informations concernant les pays dans lesquels nous travaillons, du moins jusqu'à la fin de 2010. Désormais, il faudra procéder de manière un peu différente. Il est vrai que la situation n'est pas identique pour la presse, qui n'a pas accès à ces informations. Mais celle-ci doit-elle avoir accès à toutes les informations dont dispose le fisc français ? Ce n'est pas une décision qui dépend de Total, et encore moins de son président.
On dit que Total utilise des filiales dans les paradis fiscaux et des montages. Je répondrai en donnant quelques chiffres.
Oui, nous sommes dans un certain nombre de paradis fiscaux, mais les montages ne sont pas réalisés à des fins de réduction d'impôt.
A la fin de 2011, nous avions 48 filiales dans des paradis fiscaux, où l'impôt est inférieur à la moitié de l'impôt français, ce qui est la définition du paradis fiscal. Sur ces 48 filiales, 42 réalisent des activités économiques réelles ou remplissent les critères établissant que l'implantation est liée à des raisons autres que fiscales, relatives à une activité industrielle et commerciale normale.
Permettez-moi de prendre l'exemple de Jersey, qui peut paraître quelque peu provocateur. Nous y avons des stations de pétrole. Certes, nous pourrions les retirer, mais il s'agit d'une activité réelle, sans rapport avec les avantages offerts par un paradis fiscal.
Nous avons également des usines de fabrication en Roumanie. Ce pays fait partie des paradis fiscaux, compte tenu de la définition que je viens de vous rappeler. Je pourrais également parler des lubrifiants que nous fabriquons à Hong Kong et de toutes sortes de choses. Il s'agit bien là d'activités réelles.
Pour six filiales, nous ne remplissons pas les critères fixés par les textes pour démontrer que nous ne sommes pas implantés pour des raisons liées aux avantages fiscaux. On applique donc le fameux article 209 B du code général des impôts, et on paye, sur les profits dégagés dans ces six filiales, l'impôt en France, au taux de 36,10 %. Celles-ci ne sont donc pas imposées à zéro, mais bien à 36,10 %. C'est moins que 53 %, mais je suppose que, pour la France, le fait que le contribuable paye 53 % n'est pas une fin en soi ! Ce qui l'intéresse, ce sont les impôts acquittés en France.
En outre, 15 de nos filiales ayant leur siège social aux Bermudes ou ailleurs détiennent des actifs, notamment les champs pétroliers des pays producteurs, où nous sommes fortement taxés. Dans ce cas également, la domiciliation dans un paradis fiscal ne nous donne aucun avantage fiscal par rapport à l'implantation en France. Si ces filiales étaient immatriculées en France, elles ne paieraient aucun impôt, puisqu'elles se contentent le plus souvent de détenir des actifs liés aux acquisitions réalisées.
Aujourd'hui, la vraie difficulté, c'est de rapatrier ces actifs en France ou ailleurs, compte tenu des problèmes juridiques et fiscaux que cela peut poser en termes de plus-values et d'augmentation des valeurs au moment des transferts.
Je le répète, ces sociétés étaient soumises au contrôle de l'administration fiscale française, comme les autres sociétés françaises, dans le cadre du BMC.
Aujourd'hui, très clairement, la politique du groupe est de ne plus créer d'entités dans ces pays et de rapatrier, lorsque c'est possible, les sièges sociaux des entités existantes. Nous avons réalisé, au cours des dernières années, deux rapatriements et une dizaine d'autres sont en cours d'étude. Je sais que ce n'est pas aussi rapide que vous le souhaiteriez, mais ces transferts seront réalisés au fur et à mesure, afin d'éviter une perte de nos droits liée à la liquidation de l'activité. Nous courons en effet le risque d'avoir à justifier de nouveau auprès des pays producteurs que nous n'avons pas perdu nos droits. En temps normal, cela ne pose pas de problème. Dans certains pays producteurs, des négociations sont en cours, ce qui peut nous permettre de sortir gentiment...
S'agissant des fameux ETNC, les États et territoires non coopératifs, la situation est encore plus simple. Nous ne sommes implantés que dans trois pays figurant sur la liste publiée par la France au 1er janvier 2012 : Brunei, le Botswana et les Philippines.
Dans chacun de ces pays, nous exerçons une activité industrielle et commerciale, Brunei étant de surcroît un pays producteur bien connu. On comprend très bien la nécessité de la lutte contre le blanchiment d'argent, mais cela ne peut se faire dans notre cas au détriment de l'activité commerciale que nous exerçons. Dans le cas de Brunei, la plupart des grandes compagnies internationales y sont installées. On y trouve en effet du gaz naturel liquéfié, et une énorme usine de liquéfaction, dont Shell est l'opérateur. Les activités dans ce pays sont donc bien réelles, facilement vérifiables et ne sont en aucun cas menées pour payer moins d'impôt.
J'en profite pour lancer un message au Sénat : pourrait-on envisager une clause de sauvegarde dans les textes sur les ETNC, afin d'éliminer ce type d'effet collatéral, qui ne correspond certainement pas à l'intention du législateur ? Il s'agirait de dissocier la notion de pays « à risques » de celle de pays où sont réalisées, de façon tout à fait légitime et propre, des activités industrielles et commerciales reconnues internationalement.
Enfin, les trusts, sont souvent diabolisés comme étant synonymes de dissimulation. Chez Total, ils existent uniquement pour des raisons juridiques et non pas fiscales.
J'évoquerai un seul exemple, à savoir la remise en état des sites. Dans de nombreux pays, nous sommes amenés à préparer le futur, c'est-à-dire à constituer des provisions, dans certains cas en cash, ce qui permet aussi de récupérer l'argent des partenaires locaux ou des États locaux qui n'ont peut-être pas toujours la même visibilité ni le même esprit éthique que Total. Nous créons donc des trusts, qui sont en fait des comptes séquestres sur lesquels l'argent est déposé et ne peut être utilisé qu'en un temps et un lieu donnés, soit à la fin des concessions. A ce moment-là, on est en mesure de récupérer les sommes en question, pour les utiliser exclusivement à la remise en état des sites ; elles ne peuvent être utilisées à d'autres fins par les États dans lesquels nous travaillons. Cela ne signifie pas que nous ne leur faisons pas confiance. Simplement, nous nous méfions un peu de certains d'entre eux.
Donc, dans la quasi-totalité des cas, ces trusts ne sont utilisés que pour mettre des fonds de côté pour une utilisation future. On peut le vérifier contrats à l'appui, qui expliquent comment ces fonds peuvent être dégagés ou non. Ils servent uniquement à payer des entreprises qui font du commerce et de l'industrie, et non pas du tout des personnes morales ou physiques, qu'elles soient françaises ou étrangères.