Intervention de Christophe de Margerie

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 29 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Christophe de Margerie président directeur général de total

Christophe de Margerie, président directeur général de Total :

La première question est probablement la plus facile.

Les assurances font partie des activités historiques du groupe. Elles se trouvent de temps en temps implantées dans des paradis fiscaux, que je maintiens surtout pour des raisons de facilité de fonctionnement. Il faut bien le rappeler, les paradis fiscaux présentent tout de même un certain nombre d'intérêts - je ne parle pas sur le plan fiscal -, en particulier juridiques, puisqu'ils permettent de plus grandes facilités d'opération. Surtout, ne l'oublions pas, si Total est certes une société française, avec des comptes en euros, la formation de nos résultats se fait quasi exclusivement en dollars. Par conséquent, le fait de bénéficier d'une comptabilité en dollars nous aide.

Si la France pouvait, comme certains pays européens, envisager que ses sociétés puissent avoir une comptabilité en dollars, cela permettrait peut-être aussi d'éviter l'utilisation de paradis fiscaux.

De toute façon, les activités d'assurance, qui, comme toutes les autres, relèvent de l'article 209 B du code général des impôts, sont soumises à l'impôt en France, au taux de 36,10 %. Il n'y a donc absolument aucun avantage fiscal de ce côté-là pour Total.

S'agissant de la stratégie fiscale du groupe, si vous m'entendiez soutenir, monsieur le rapporteur, que notre but est de payer le plus d'impôt possible, vous seriez sans doute surpris. Ce n'est donc certainement pas notre objectif, encore que nous sommes présents dans des pays producteurs qui sont très souvent dans un état de pauvreté nettement supérieur à celui de la France. Je suis un peu gêné - c'est d'ailleurs l'un de mes griefs à l'égard de certaines personnes - que l'on ne cesse de mettre en avant les intérêts de la France, alors que l'argent vient d'autres pays dans lesquels les habitants, que l'on ne peut pas oublier, sont plus nombreux et moins riches que nous.

La notion de redistribution est très importante à nos yeux, en particulier pour ce qui concerne le pétrole et le gaz, parce qu'elle va bien au-delà de la seule dimension du revenu et qu'elle implique le futur d'une nation, le futur de ces pays. Allez leur expliquer que le groupe doit payer des impôts à l'étranger sur des profits qui viennent de chez eux... A plusieurs reprises, j'ai demandé à des parlementaires de venir avec moi sur place pour faire comprendre la situation, mais je peux vous dire qu'ils n'en ont rien fait. Or les États dont nous parlons ont un peu de mal à accepter que la France récupère plus de 50 % d'impôts sur leurs produits à la pompe, alors qu'aucun argent n'est dégagé par la France, hormis le fait que Total est l'opérateur. Que nous disent-ils, ces pays ? Occupez-vous de vos vaches, nous nous occupons de nos moutons, et si Total gagne trop d'argent, nous pouvons régler le problème, par exemple en augmentant les impôts sur nos produits, puisque l'argent vient de chez nous ! Je vous assure que ce n'est pas une blague, et cela m'attriste parfois.

Oui, notre objectif est de payer le moins d'impôts possible, tout en veillant, dans le cadre de l'acceptabilité, à en payer suffisamment dans les pays où nous opérons. Ces sommes doivent être versées à qui de droit, c'est-à-dire dans le respect de notre code de conduite et d'éthique : nous ne payons que des organismes officiels, et jamais des personnes physiques, sous quelque prétexte que ce soit... Nous vérifions tout. S'ils ne sont pas d'accord, on ne paie pas. Je peux vous assurer que les choses ont bien changé ces dernières années. Ce qui a malheureusement existé à une époque n'a plus cours, mais on voudrait nous faire croire que tel est encore le cas. Non, désolé, cela n'existe plus, en particulier pour ce qui concerne Total.

Nous vérifions que nos impôts sont bien payés, et nous passons notre temps, surtout lorsque le prix du brut augmente, à négocier avec les États, qui veulent taxer toujours plus. Assez curieusement, plus ils gagnent, plus ils veulent gagner, observant plus notre assiette que la leur. Avec un taux d'imposition à 70 %, quand les prix du brut augmentent, ils gagnent beaucoup plus d'argent ! Nous aussi, mais cela les agace. Ils cherchent donc à en récupérer chez nous.

Notre politique, c'est la négociation contractuelle, et l'impôt en fait partie. Aujourd'hui, nous payons chaque année un peu plus d'impôts que l'année précédente. Sur l'amont pétrolier, notre taux moyen d'imposition doit atteindre 57 %, soit un taux supérieur à celui de notre imposition globale, de 53 %.

Ce qui est un peu compliqué, c'est que l'impôt ne représente pas la totalité de ce que nous payons dans les pays producteurs. Nous leur versons aussi des royalties, qui viennent s'ajouter à l'impôt sur les sociétés, lequel s'élève à 14 milliards d'euros. N'oublions pas non plus le partage de production : nous donnons une partie de la production directement à l'État de production. Ainsi 80 % à 85 % de la rente minière va aux États producteurs. Par conséquent, le premier bénéficiaire est le pays producteur où nous opérons, ce qui est normal.

Enfin, concernant la responsabilité des paradis fiscaux dans la déstabilisation du système financier en cours, si leur existence peut sans doute faciliter certains mouvements, ce serait bien trop simple d'y voir la cause de tous nos maux.

Le cas de Total est très clair à cet égard : notre implantation dans les paradis fiscaux n'est pas motivée par des motifs fiscaux et ne change en rien les impôts que nous payons. Cela est vrai pour la plupart des très grandes sociétés comme Shell, Exxon ou BP, qui représentent la plus grosse partie des flux mondiaux. Peut-on dire la même chose de toutes les sociétés internationales ? La réponse est non !

Ainsi, compte tenu des volumes en cause, je ne peux pas affirmer que les paradis fiscaux constituent la raison majeure des difficultés actuelles de l'économie mondiale. Toutefois, ils y participent sûrement.

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