Intervention de Christophe de Margerie

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 29 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Christophe de Margerie président directeur général de total

Christophe de Margerie, président directeur général de Total :

Mon propos n'était pas sans lien avec la question relative à l'implantation géographique, car le premier pays, à nos yeux, c'est la France. Est-il normal que Total y exerce une activité ? Ce n'est pas par hasard que je me suis ainsi exprimé.

Effectivement, compte tenu de la manière dont cela se passe en France, de nombreux actionnaires trouvent que nous y faisons trop de choses. C'est la première fois depuis quelques années que nous sommes fortement questionnés - je n'irai pas jusqu'à dire « attaqués » - par nos actionnaires étrangers. Globalement, dans la mesure où ils constatent que certains n'arrêtent pas de nous traiter de « voyous », de « machins », ils ne comprennent pas pourquoi nous continuons à investir sur le territoire national, alors que nous n'y gagnons pas d'argent.

Je suis amené à leur répondre que Total peut gagner de l'argent en France. Notre entreprise y compte d'excellents employés, y développe des technologies de première classe : nous avons pu, dans la douleur, engager les restructurations nécessaires ; cette condition étant réalisée, nous devrions être en mesure d'investir des sommes importantes.

Notre premier pays est donc bien la France, d'où mon explication initiale.

Par ailleurs, nous sommes forcément amenés, compte tenu de notre métier, à aller dans des pays qui ne sont pas considérés comme les plus démocratiques de la planète. En même temps, de temps en temps, nous y observons des avancées.

Je prendrai volontairement un exemple qui me fait plaisir, celui de la Birmanie. Total y a pris des risques importants, en montrant une capacité à rester travailler là-bas tout en respectant un code de conduite. La Lady, prix Nobel, que je connais, n'a jamais prononcé depuis des temps immémoriaux - 1997 - les propos qu'on lui a prêtés : non, on n'allait pas voir ce qu'on allait voir, elle n'allait pas demander à Total de partir lorsqu'elle serait aux responsabilités !

Non seulement nous sommes toujours présents en Birmanie, mais tout le monde y revient, les Anglo-Saxons en force, notamment les Américains. J'espère que la France aura le courage de ne pas simplement jouer les redresseurs de conscience pour assumer le rôle qui lui revient, travailler à l'international.

Je suis très fier que Total ait pu contribuer à une certaine forme d'apaisement dans un pays dont la situation, sur le plan politique, s'améliore mais reste compliquée. J'ai un petit scoop à livrer : je dois rencontrer la Lady bientôt, ce qui est un grand bonheur personnel.

Nous irons toujours dans les pays où il faut aller. Mais nous ne pouvons pas quitter les régions où nous sommes installés. Notre activité, faite de lourds investissements, ne se résume pas ainsi : « J'entre, puis je m'en vais. » Un exportateur ou un importateur a la possibilité d'arrêter ses relations commerciales avec tel ou tel pays. Total ne peut pas ainsi laisser une plateforme au milieu de la nature, en disant : nous reviendrons dans deux ou trois ans, lorsque l'opinion publique, pour reprendre cette expression à mon compte, l'aura décidé. Cela nous pose effectivement des problèmes importants. Malgré tout, in fine, si nous n'y arrivions pas, nous serions amenés à partir.

Le Yémen est aujourd'hui l'un des plus gros soucis de Total. Nous avons de très grosses opérations en cours là-bas. Vous savez ce qui s'y passe sur le plan physique : deux de nos employés ont été touchés, l'un tué, l'autre blessé. Nous sommes à la limite de l'acceptabilité.

Pour autant, le pétrole vient de là, tout comme le gaz. Je le dis avec beaucoup de conviction, n'y voyez pas l'indice d'un capitalisme mal éclairé : quitter de tels pays, c'est aussi les priver d'une partie de leurs possibilités d'accéder à terme à la démocratie.

Nous ferons en sorte de peser systématiquement le pour et le contre et d'expliquer les raisons pour lesquelles Total ne peut pas simplement partir. Pourtant, en termes de communication, il pourrait paraître parfois plus facile - cela arrangerait beaucoup de monde - de décider que, si tel pays n'est pas bien, nous le quittons. En plus, je le dis très honnêtement, compte tenu de nos résultats, nous pourrions souvent nous permettre de le faire pour nous simplifier la vie, sans que cela touche en rien nos résultats ou notre éthique.

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