Intervention de Yves Nicolas

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 29 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Yves Nicolas vice-président de la compagnie nationale des commissaires aux comptes

Yves Nicolas, vice-président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes :

Pour ce qui est des obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, elles sont définies au chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier.

La définition de « faits délictueux » retenue par la loi est la suivante : des faits ou irrégularités susceptibles de recevoir des tribunaux une qualification pénale et des faits susceptibles de présenter un caractère suspect au regard de la loi pénale. Il s'agit d'une définition pénale assez large. C'est la raison pour laquelle nous avons souvent un échange oral avec le substitut du procureur dans la mesure où la qualification pénale n'est pas toujours évidente pour nous.

Que faisons-nous lorsque nous sommes confrontés à une telle problématique ?

La base de notre métier, c'est le scepticisme et le jugement professionnel. Notre code de déontologie nous pousse à être le plus indépendant possible à l'égard de l'entreprise. Nous ne pouvons avoir personnellement des prêts, des emprunts, des contrats d'assurance, des liens personnels avec le chef d'entreprise. Tout cela est bien défini et contrôlé par le H3C, qui a aussi, j'ai oublié de vous le dire, un rôle important en matière de contrôle qualité : il contrôle nos cabinets, pour certains tous les ans et pour d'autres tous les trois ou six ans, afin de s'assurer de la bonne application de ces normes d'indépendance.

Comme je l'ai dit, les missions de conseil sont, pour la plupart, interdites, et le code de déontologie français est le plus strict qui soit ; on s'en enorgueillit même dans le monde entier. Il a d'ailleurs inspiré - peut-être en avez-vous entendu parler ? - le Livre vert qui a été dernièrement publié, sur l'initiative de Michel Barnier, commissaire européen, pour tenter d'homogénéiser notre profession au niveau européen.

Lorsque nous sommes confrontés à des faits qui nous semblent bizarres, nous devons conduire de plus amples investigations. Toutefois, nous n'avons pas à mener de recherche active des faits délictueux : notre travail ne consiste pas, je le répète, à rechercher une fraude fiscale ou des faits délictueux.

Au demeurant, s'il ne révélait pas de tels faits ou s'il les révélait de façon tardive, le commissaire aux comptes pourrait bien sûr être poursuivi pénalement. Il encourt également un risque disciplinaire - avertissement, blâme, interdiction temporaire, voire radiation de la liste - dans la mesure où il peut être poursuivi devant la chambre de discipline de la compagnie régionale des commissaires aux comptes, qui est pilotée par des magistrats du ressort des cours d'appel. Heureusement, ces poursuites ne sont pas très courantes !

Pour ce qui concerne la déclaration à TRACFIN en cas de suspicion ou de blanchiment de capitaux, prévue à l'article L. 823-12 du code de commerce, nous avons une NEP spécifique, une « norme d'exercice professionnel relative aux obligations du commissaire aux comptes relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ». Cela montre qu'il s'agit non pas d'une question subsidiaire, mais d'une diligence normale du commissaire aux comptes, homologuée par le garde des Sceaux.

Pour accomplir notre mission, nous devons nous acquitter d'un certain nombre de tâches obligatoires.

Tout d'abord, nous devons bien identifier l'entité : nous assurer que la société que nous auditons est évidemment inscrite au registre du commerce, identifier ses actionnaires et ses dirigeants, leur nationalité et, en cas de nationalité étrangère, nous renseigner sur leur lieu de résidence et sur les liens qu'ils peuvent avoir avec d'autres entreprises ou avec lesquelles leur propre entreprise peut avoir des liens commerciaux ou juridiques.

Ensuite, nous examinons les opérations réalisées par l'entité et vérifions la cohérence de celles-ci avec la connaissance que nous avons de l'entité. Toutes les transactions ou opérations exceptionnelles, qui ne relèvent pas de l'activité habituelle de la société, attirent évidemment notre regard et sont de nature à nous conduire à des investigations plus poussées.

Il nous est également demandé, ce qui n'est pas chose aisée, de rechercher le bénéficiaire effectif d'une transaction exceptionnelle, ainsi que l'actionnaire majoritaire ou l'actionnaire qui dirige cette entreprise.

Or nous pouvons être confrontés à des cascades de sociétés : l'actionnaire majoritaire peut être une société inscrite à l'étranger, qui est elle-même détenue par une autre. Vous voyez les difficultés que nous pouvons rencontrer. Pourtant, nous devons tout faire pour identifier le bénéficiaire effectif ultime.

J'en viens à la nature des opérations à déclarer à TRACFIN.

D'une part, nous devons déclarer les opérations portant sur des sommes dont nous soupçonnons, ou avons de bonnes raisons de soupçonner, qu'elles proviennent d'une infraction, hors fraude fiscale, passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou qu'elles participent au financement du terrorisme.

D'autre part, nous devons déclarer les sommes ou opérations dont nous soupçonnons, ou avons de bonnes raisons de soupçonner, qu'elles proviennent d'une fraude fiscale, uniquement lorsque nous sommes en présence d'au moins un critère défini par le décret du 16 juillet 2009.

Je résume : nous avons donc une obligation de révélation au procureur de la République de façon urgente. Il existe un délai de tolérance du parquet d'un mois environ, pour la bonne raison que nous devons poursuivre nos investigations avant de procéder à la révélation des faits afin d'être le plus précis possible.

Il faut savoir qu'il n'y a aucun niveau de significativité dans la déclaration des faits délictueux : nous devons déclarer tous les faits délictueux que nous rencontrons quel que soit le montant ou l'importance de ceux-ci. Nous devons même déclarer si le fait délictueux a été corrigé ou s'il a déjà été déclaré par l'entreprise, ce qui arrive souvent. En effet, les faits délictueux concernent non pas seulement le chef d'entreprise, mais également les employés de l'entreprise.

En la matière, nous avons une pratique assez ancienne, et nous avons d'ailleurs un dialogue continu avec chaque procureur de la République du ressort de la CRCC.

Concernant TRACFIN, cette procédure est plus récente. Nous avons eu des discussions avec les responsables de cette cellule. Ils veulent que nous soyons beaucoup plus rapides dans nos déclarations de soupçon. Toutefois, cette problématique ne faisant pas partie de nos objectifs, il est clair que c'est plutôt par hasard que nous tombons sur de tels faits. Nous devons alors examiner plus précisément la situation pour voir si les sommes d'argent visées font vraiment l'objet d'une transaction frauduleuse. Sinon, nous abreuverions TRACFIN de déclarations inutiles !

Telles sont les obligations extrêmement importantes auxquelles nous sommes soumis et sur lesquelles nous sensibilisons beaucoup nos confrères.

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