Mes travaux portent sur les transformations numériques que connaît notre démocratie et sur la manière dont notre rapport à la citoyenneté se trouve bousculé par l'usage des technologies numériques. Le mouvement de la civic tech, que j'étudie depuis ses débuts, depuis sa « préhistoire », se décompose en trois temps.
Le premier temps, celui de l'euphorie et des promesses, commence avec l'élection de Barack Obama, qui veut s'appuyer sur les technologies numériques et la force des entreprises de la Silicon Valley pour ouvrir la démocratie et maximiser l'utilisation des données de l'administration. Il s'agit de mettre le numérique au coeur de l'administration pour redonner de la place aux citoyens. Cette idée d'un open government, ou gouvernement ouvert, a été rapidement importée en France. Un certain nombre d'activistes, dont Cyril Lage ici présent, ont voulu mettre les technologies numériques au service de cette dynamique d'ouverture. C'est une période de découverte, d'expérimentation. On croit et on espère beaucoup. On entend des discours parfois un peu grandiloquents : on parle de révolution numérique, de révolution démocratique et même d'un nouveau 1789.
Cet engouement repose sur la croyance profonde que les technologies vont permettre de « réparer » la démocratie et de remettre les citoyens au centre du débat. Il s'agit de casser les blocages qui les éloignent de la décision.
On observe plusieurs faits marquants durant cette période, comme l'expérience Parlement et citoyens, portée par Cyril Lage, visant à associer les citoyens à la préparation de projets de loi, ou le comparateur de programme développé par l'association Vox.org, laquelle recevra le prix Google... Une atmosphère assez communautaire prédomine, avec le souci de raccourcir les boucles de décision et d'équiper les contre-pouvoirs.
On voit ensuite émerger des acteurs qui se structurent pour devenir plus visibles et plus efficaces. Je pense notamment à Cap collectif, l'entreprise créée dans la foulée de l'expérimentation Parlement et citoyens, et à l'arrivée en France de Change.org. Ce deuxième temps commence avec la discussion de la loi sur la République numérique, portée par Axelle Lemaire, et s'étend jusqu'au Grand débat national.
Le troisième temps est celui du réalisme : on commence à mieux se rendre compte de ce que l'on peut tirer des technologies numériques. Il y a moins de grands discours et plus de démarches réflexives. Les acteurs perçoivent les risques d'instrumentalisation et les politiques commencent aussi à mieux comprendre les forces et les faiblesses de ces outils. Les menaces liées aux réseaux sociaux sont mieux documentées et identifiées. On comprend que laisser la démocratie numérique à des acteurs comme Facebook ou autres revient à créer une caisse de résonance pour la désinformation et la propagande. On comprend aussi que ces initiatives ont besoin d'être connectées aux corps intermédiaires. Il s'agit aujourd'hui de mettre en place une stratégie beaucoup plus précise de ce qu'on peut réellement faire avec le numérique et non de ce que le numérique peut faire pour nous.