Intervention de Cyril Lage

Mission d'information Culture citoyenne — Réunion du 23 mars 2022 : 1ère réunion
Audition des acteurs de la démocratie participative

Cyril Lage, président de Cap collectif :

Ce que font les entités de civic tech comme Cap collectif, c'est de la digitalisation des processus de décision.

Digitaliser, c'est faire mieux, plus vite, moins cher. Toute l'économie a été digitalisée : aller au restaurant, acheter de l'immobilier, acheter une voiture... Il existe des applis pour tout ! Tous ces actes ont été transformés par le numérique. Un domaine a été moins impacté : les institutions.

Le numérique permet de faire autrement ce qu'on faisait déjà, mais pas seulement. Il permet aussi de « disrupter », d'ubériser, de mettre en mouvement. L'association Parlement et citoyens a ainsi, quelque part, « fracturé les portes » du Parlement en offrant ce que l'institution aurait dû offrir elle-même. Le numérique fait changer les choses depuis l'extérieur. Le succès de la plateforme Change.org vient de là.

Mais cela bouscule systématiquement les habitudes. Si l'on me demandait de fournir un schéma numérisé de production de la loi, je ne suis pas sûr qu'on aurait encore besoin de deux chambres, du Conseil économique social et environnemental (CESE) ou de la commission nationale du débat public (CNDP), toutes ces structures dont le rôle est largement illisible. Le numérique permet de repenser l'intervention de chacun dans le processus, qui devient totalement transparente.

On met la civic tech dans la petite case de la participation citoyenne mais - je vais peut-être vous choquer : je pense que les consultations citoyennes ne servent à rien, sinon à multiplier les conflits de légitimité entre une multitude d'intervenants.

Il n'y a que le numérique qui permette d'ouvrir le débat : sans lui, vous vous enfermez dans vos bâtiments pour des débats qui ne cherchent pas à créer du consensus ou à gérer des dissensus, mais où chacun essaie d'imposer son point de vue à l'autre. Il suffit d'allumer LCP et de regarder les débats du Sénat !

Mais si le numérique permet d'aller beaucoup plus vite, pour moins cher, pourquoi n'y va-t-on pas ?

Le premier frein est à rechercher dans la volonté de ceux qui ont le pouvoir. Chacun, élu ou patron, se dit : c'est moi qui décide.

Il est difficile de faire la différence entre détention du pouvoir et exercice du pouvoir. À force de ne pas vouloir associer les citoyens dans leur pouvoir, les décideurs sont de plus en plus mis en cause dans leur légitimité - comme le président Larcher l'a fait remarquer à propos de l'élection présidentielle. Ce frein vient autant de celui qui décide que de ceux qui l'entourent et qui ne veulent pas perdre du terrain.

Deuxième frein : le manque de compétences. Passer à des outils numériques nécessite des compétences qui font défaut au sein des institutions et des collectivités territoriales ; je suis aussi parfois frappé par la grande obsolescence du matériel et des logiciels qui les équipent.

Troisième frein : le manque d'outils d'analyse. À Cap collectif, nous avons toujours plaidé pour une analyse et une synthèse humaine des contributions. Mais nous sommes arrivés à notre limite lors du Grand débat national, dont nous nous sommes désengagés, car un traitement manuel aurait été impossible. D'autres acteurs s'en sont saisis et ont fait ce qu'on peut faire avec des outils, à savoir des clusters qui, globalement, agrègent des contenus en fonction de leur récurrence ; cette méthode conduit à éliminer les propositions uniques et non répétitives, qui peuvent toutefois être innovantes.

Nous prenons la responsabilité de restituer la parole de ceux qui s'expriment - c'est une grande responsabilité.

Un point de vigilance important : le financement. Nous sommes financés par du capital public, à travers la Caisse des dépôts et consignations ; c'est important, car il ne faudrait pas que cela passe aux mains du capital privé.

Il faut aussi parler de la fracture numérique. On peut y voir un frein en pensant qu'elle empêchera certains de participer. Mais il faut comparer avec la situation sans le numérique, que je résumerai par l'acronyme TLM : « toujours les mêmes ». Aux réunions publiques à 17 heures, il n'y a guère que Papi et Mamie qui viennent...

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