Je fonderai mon intervention sur l'expérience de Change.org, en partant d'un exemple, celui d'Alexandre Briolais, 27 ans, originaire du Béarn. En janvier 2019, il est scandalisé par un reportage de l'émission Capital sur les invendus d'Amazon - objets neufs systématiquement détruits. Il décide de lutter contre le gaspillage. Sans expérience politique préalable, il lance une pétition sur le site. Comme c'est un sujet dans l'air du temps, il rencontre une certaine popularité qui lui a permis, en quelques mois, de s'exprimer dans les médias, d'échanger avec la secrétaire d'État Brune Poirson, qui préparait sa loi contre le gaspillage, et d'entrer en contact avec des associations. Il a remis la pétition au ministère avec Les Amis de la Terre. Aujourd'hui, l'entreprise a changé ses pratiques et la loi anti-gaspillage a été adoptée.
La plateforme offre ainsi un outil qui permet de dépasser la frustration et le fatalisme de certains citoyens éloignés de l'engagement politique.
Change.org se voit comme une plateforme qui produit des changements. Alexandre Briolais a construit une communauté autour de lui, il peut communiquer avec les signataires ; Brune Poirson a échangé avec eux sur la plateforme.
On fait souvent un procès à cette forme de militantisme qu'on appelle « clictivisme », ou slacktivism en anglais : il serait trop facile de cliquer. Certes, mais c'est la manière dont les gens s'engagent aujourd'hui. Tout le monde n'est pas Greta Thunberg.
L'outil pétition a été plutôt une porte d'entrée vers l'activisme pour Alexandre Briolais, qui devenu expert sur le sujet. On a beaucoup d'exemples de personnes comme lui, souvent touchées personnellement. Je pense à Stéphane Ravacley, boulanger bisontin dont l'apprenti étranger allait être expulsé, ou à Stéphanie Jacquet, dont la fille est atteinte de trouble de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et qui avait lancé une pétition il y a quatre ans : elle a aujourd'hui fondé une association et lutte pour la mise en place d'une journée nationale du TDAH.
Y a-t-il des difficultés ? J'ai cité des exemples où cela fonctionne, mais il y en a beaucoup où la mobilisation des citoyens ne touche pas les institutions. Il y aurait donc des progrès à faire dans l'articulation entre la civic tech et les institutions. Change.org est capable de rassembler les gens, mais il faut faire le lien avec les institutions.
Je sais que le Sénat a un site de pétitions, sur lequel le collectif Un jour, un chasseur a obtenu 100 000 signatures. Cela va dans les bon sens.
La civic tech a réussi à développer des outils au plus proche des pratiques actuelles. On pourrait imaginer une labellisation, un mécanisme par lequel les élus consultent les pétitions qui prennent de l'ampleur. En résumé, il faut créer des débouchés pour ces mobilisations.