Intervention de Gilles Mentré

Mission d'information Culture citoyenne — Réunion du 23 mars 2022 : 1ère réunion
Audition des acteurs de la démocratie participative

Gilles Mentré :

Le vote est central ; c'est ce qui nous a fait créer Electis. Quand on demande aux jeunes ce qui caractérise la République, ce qui vient en premier, c'est le vote. Être citoyen, c'est pouvoir voter. Quand on analyse les ressorts de l'abstention, on voit que les gens ne veulent pas participer à ce qu'ils considèrent comme un faux vote, un vote inutile.

On vote tous les cinq ans, mais le rythme de l'actualité s'accélère. Le Covid pour ce quinquennat, les attaques terroristes pour le précédent, la crise financière pour celui d'avant, à chaque fois un événement fait que le programme sur lequel le président a été élu ne peut pas être complètement appliqué.

Entre voter une fois tous les cinq ans, comme en France, et une fois tous les trimestres, comme en Suisse, il y a certes de la marge. D'autres endroits, comme la Californie, ont une culture de la démocratie directe qui date de la fin du XIXe siècle.

Il faut bien sûr des votes à enjeu. Le plus grand risque serait de procéder à des consultations qui ne servent à rien, sinon à donner l'impression aux citoyens qu'ils participent - ou des consultations ne donnant pas lieu à un vote décisif. C'est un des traumatismes des participants à la Convention citoyenne sur le climat. Cela risquerait de creuser encore plus la crise démocratique.

Le vote électronique n'est qu'un des éléments de cette chaîne : il faut construire le débat, permettre une co-idéation... Mais cela ne vaut rien sans la dernière brique : le vote.

Il permet un vote plus inclusif - c'est le moteur de son développement aux États-Unis. On y considère en effet que ne pas pouvoir voter car on a du mal à se déplacer - je pense par exemple aux malades du Covid - est une atteinte aux droits fondamentaux.

Le vote électronique permet aussi un vote plus fréquent, sur de grandes questions locales ou nationales. Nous sommes deux tiers des Français à considérer que les grandes questions devraient être tranchées par référendum.

Le référendum est aujourd'hui fossilisé dans une logique plébiscitaire, et certains croient que cela ne peut pas changer. Ce n'est le cas que parce qu'il est rare. S'il y avait, une fois par an, un référendum sur un grand sujet, cela ne le serait plus. Cela le serait encore moins s'il était provoqué par une initiative citoyenne. En dépit de quelques déclarations récemment dans la campagne, ce sujet n'a jamais été posé clairement dans le débat public.

Enfin, le vote en ligne permettrait d'autres modalités de vote, telles que le jugement majoritaire ou le vote préférentiel, entre autres. Nos systèmes démocratiques n'ont pas bougé en deux cents ans. Il faut expérimenter !

La ville de New York a décidé de passer au vote préférentiel. Avec le vote papier, cela a évidemment été un cauchemar : il a fallu dix jours pour dépouiller ; cela n'aurait pas été le cas avec le vote électronique.

Un point de vigilance est l'illectronisme. Pour les grandes élections, il faut bien entendu maintenir, comme c'est le cas en Estonie, un vote papier en parallèle.

En Estonie, le choix entre les deux modalités de vote ne correspond plus à une fracture générationnelle, comme c'était le cas au début. Les primo-votants choisissent même souvent le papier : ils veulent faire un selfie pour ce rituel auquel ils tiennent.

Il est aussi important de conserver le vote papier pour avoir une solution en cas de fraude. Nous en sommes en effet arrivés au point de sécurité où l'on ne peut pas garantir l'absence de fraude, mais où l'on peut garantir qu'on la voie quand elle existe.

Deuxième point de vigilance : la sécurité. On commence à voir les premières sorties de route, les premières plateformes hackées, celles qui ne peuvent donner des garanties de confidentialité... C'est normal, au début du développement d'une technologie. Il faut imposer des codes open source, comme c'est désormais le cas en Suisse et en Estonie.

Deuxièmement, il faut que le vote soit vérifiable. Aujourd'hui, la présence des scrutateurs donne confiance au citoyen ; mais on peut avoir des e-scrutateurs. C'est crucial.

Il faut donc investir ces instruments par la co-élaboration entre le public, le privé et l'associatif. L'open source est le meilleur terrain. Si nous ne le faisons pas collectivement, les citoyens le feront de leur côté. Sans parler du contenu politique de cette initiative, la « primaire populaire », créée par deux personnes qui n'ont rien demandé à personne, a rassemblé 400 000 citoyens.

C'est l'image même du numérique qui fracture la porte de l'institution dont parlait M. Lage. Il y a un risque que cela se fasse en dehors des institutions. Comme pour la monnaie, l'État risque alors de rester sur le bord du chemin.

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