Je ne suis pas un expert mais j'exerce le métier de documentariste de sorte que je travaille de manière très approfondie sur les sujets dont je me saisis, souvent pendant une année entière, car je ne réalise, en moyenne, qu'un film par an. En ce qui concerne le documentaire que vous avez mentionné, le tournage a été très rapide mais nous avons passé neuf mois à enquêter et à rechercher les témoins, en rencontrant le milieu associatif mais aussi de nombreuses victimes susceptibles de témoigner. Je porte donc un regard transversal sur la question des infractions sexuelles commises sur les mineurs, moins informé que celui d'un expert, mais sans doute plus large.
Mes films portent de plus en plus souvent sur les violences, qu'il s'agisse des violences faites aux femmes, des discriminations ou des traumatismes, mais aussi sur la démarche de résilience, car j'essaie toujours de filmer les solutions plus que les problèmes et j'aime choisir des personnages tournés vers la lumière plutôt que vers l'autodestruction. J'essaie ainsi de montrer par l'exemplarité comment certaines personnes pourraient trouver un avenir possible malgré les violences qu'elles ont subies. Tel a été l'objectif du documentaire « Les Insoumises » que j'ai réalisé pour Canal Plus sur les violences faites aux femmes à travers le monde, ou bien encore « Homos, la haine » sur l'homophobie, « Trans, c'est mon genre » sur les personnes transgenres et dernièrement « 13 novembre, vivre avec » qui suit la reconstruction de cinq personnes victimes des attentats de Paris.
Quant à mon documentaire « Enfances abusées », il a obtenu le record d'audience de la case « Infrarouge » de France Télévision, avec 650 000 spectateurs, malgré une heure de diffusion assez tardive à 23 heures 20. Nous attendons les chiffres du replay et j'espère que ce film sera vu par plus d'un million de personnes. Le film a fait l'unanimité chez les victimes, comme me l'a confirmé l'ancienne sénatrice Corinne Bouchoux qui a décidé de révéler son histoire dans ce film. À cela s'ajoute le succès de l'appel que nous avons lancé dans un article de Libération qui a été numéro un des articles téléchargés sur le site du journal, lorsqu'il a été publié le 20 novembre. La demande du public est donc forte sur ce sujet rarement traité.
Je tiens à vous remercier et à saluer l'initiative du Sénat. Les chiffres sont choquants, mais ce qui l'est plus encore c'est le déni généralisé que l'on constate face au nombre des victimes. L'absence totale de réponse organisée pour lutter contre ce type de violences est incompréhensible. Corinne Bouchoux en parle dans le film, et regrette que l'action qu'elle a tenté de mener durant son mandat de sénatrice n'ait pas abouti. Cette mission d'information soulève un énorme espoir, car chacun caresse le voeu que ce sujet devienne une urgence politique, avec le déploiement d'une campagne de prévention et la mise en place d'une grande politique publique impliquant la création d'un volet législatif. Il faudrait aussi cadrer la manière d'entendre et d'accueillir les victimes. Le champ de travail est large et nous sommes peut-être à l'aube d'un nouveau mouvement comparable à celui qui est à l'oeuvre en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
N'oublions pas que les violences faites aux enfants sont comme la racine de toutes les violences. L'inceste en fait partie avec ses 4 millions de victimes en France. En évitant pudiquement de traiter le problème, on ignore 75 % des victimes. Pourquoi ne pas créer une seconde mission d'information spécifiquement consacrée à ce sujet ?