Intervention de Christine Pedotti

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 28 novembre 2018 à 14h00
Audition conjointe de M. éric Guéret réalisateur du documentaire « enfance abusée » et de Mme Christine Pedotti directrice de la rédaction de témoignage chrétien

Christine Pedotti, directrice de la rédaction de Témoignage chrétien :

À l'initiative de Témoignage chrétien, nous avons demandé qu'une commission parlementaire enquête sur les abus et leur dissimulation dans l'Église catholique. Pourquoi cette drôle d'idée ? Les scandales de pédophilie dans l'Église surgissent de façon permanente un peu partout dans le monde. Depuis la lettre du 20 août 2018 du pape François au peuple de Dieu, nous attendions que les évêques s'emparent de la question et réagissent, comme le leur suggérait le pape. Nos propositions de rencontre se sont heurtées à une fin de non-recevoir, voire à une absence de réponse, jusqu'au communiqué du 12 septembre émanant de la conférence des évêques, dont la teneur restait très en dessous de la lettre du pape. La France serait indemne et, tout comme le nuage de Tchernobyl, la pédophilie dans l'Église s'arrêterait à nos frontières !

Or de nombreux témoignages attestent que, partout dans l'Église de France, sévit ce que le pape appelle une « culture de l'abus » qui se décline en trois termes : abus de pouvoir, abus de conscience et abus sexuels. Il est donc clair que la pédophilie dans l'Église et sa dissimulation par l'institution ne relèvent pas de l'accident mais d'une crise majeure. Faute d'être entendus par une institution muette et sourde, nous avons fait ce à quoi le pape nous encourageait, à savoir prendre nos responsabilités de baptisés, c'est-à-dire de citoyens et citoyennes ordinaires de l'Église. Et puisque nous avons le privilège de vivre dans un État de droit, nous avons considéré qu'il était nécessaire qu'une commission d'enquête parlementaire s'intéresse à ceux qui sont des enfants de la République avant d'être des catholiques. Nous avons été entendus puisque me voici, cet après-midi, devant votre mission d'information dont le champ ne se restreint pas à l'Église catholique mais qui la prend en compte.

L'appel que nous avons lancé a recueilli 30 000 signatures et un sondage a montré que 88 % des Français, dont 90 % des catholiques pratiquants, approuvaient l'idée d'une commission d'enquête extérieure à l'Église. C'est dire qu'il ne s'agit pas d'enquêter contre l'Église, mais pour sortir l'Église de l'ornière.

En quoi la question des abus sexuels dans l'Église est-elle spécifique ? Sans doute d'abord à cause des auteurs des faits. Nous ne savons pas si le taux de pédophilie chez les prêtres est supérieur à celui d'autres catégories professionnelles en contact avec les enfants, faute de cartographie réalisée en France. Cependant, selon la Commission royale d'Australie qui a mené d'importants travaux fondés sur des appels aux victimes, le taux de pédophilie des prêtres approche les 7 %. Aux États-Unis, la commission John Jay a établi en 2004 un taux de 4,5 %. Enfin, selon les chercheurs indépendants de la Commission allemande, qui reconnaissent cependant ne pas avoir eu accès à la totalité des sources et des archives, ce taux avoisinerait les 4,5 %. Nous pouvons donc établir une moyenne oscillant entre 4 et 7 %.

Nous ne disposons pas d'éléments comparatifs avec d'autres catégories professionnelles et nous ne pouvons pas déterminer par exemple si les maîtres-nageurs sont plus souvent coupables que les prêtres. En revanche, il est bien établi que 80 % des enfants qui sont agressés par des prêtres pédocriminels sont des garçons, dont 80 % encore ont plus de dix ans. Il s'agit donc d'une pédocriminalité spécifique visant des garçons qui ne sont plus tout à fait dans l'enfance, âgés de douze, treize ou quatorze ans, soit à l'aube de la puberté. Soyons clairs : l'argument développé dans les milieux catholiques conservateurs, selon lequel la pédocriminalité des prêtres serait liée à l'homosexualité relève d'une grande absurdité, car les homosexuels normalement équilibrés ne violent pas les enfants.

En revanche, la particularité de la pédocriminalité dans l'Église tient au rôle symbolique très particulier que jouent le prêtre et l'évêque, rôle de paternité spirituelle que l'on ne retrouve dans aucune autre institution. Elle tient aussi à la sacralité des prêtres qui représentent Dieu, savent ce que Dieu veut, connaissent ce qui est bien ou mal, peuvent pardonner les péchés, et vont jusqu'à faire Dieu quand ils célèbrent la messe. J'ai été stupéfaite de voir très récemment sur YouTube le Padre Amar, jeune prêtre de 35 ans, expliquer que le prêtre devient Jésus et est lui-même le corps de Jésus, lorsqu'il célèbre la messe. C'est théologiquement faux et cela ouvre la voie à toutes les formes d'abus. Les victimes le disent : « Le curé, c'est comme si c'était le bon Dieu.» Il se fait appeler « Mon père ». Or le père c'est symboliquement celui qui dit la loi.

À côté de ceux qui ont commis les crimes, il y a ceux qui les ont dissimulés, à savoir les évêques qui disent aussi qu'ils sont « les pères » de leurs prêtres. Dans un entretien publié le 30 octobre 2018 dans le journal La Croix, l'évêque de Gap, Xavier Malle, s'explique ainsi à propos de la dénonciation des prêtres pédophiles : « Le pape m'avait dit après mon ordination : `soyez un père pour vos prêtres.' Comment un prêtre peut-il aller dénoncer son fils à la police ? J'ai discuté avec un évêque émérite qui m'a dit : `Tu es aussi le père des victimes' et cela m'a éclairé. » On nage en plein délire symbolique, car si l'on pousse jusqu'au bout la logique selon laquelle le père est celui qui dit la loi, il peut aussi devenir celui qui brandit l'intérêt de son fils, prêtre criminel, en le faisant prévaloir sur celui du fils qui n'est pas prêtre, quand bien même il serait la victime.

La lettre de félicitations que le cardinal Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour les évêques, adresse à l'évêque Pierre Pican, condamné en septembre 2001 pour non-dénonciation dans l'affaire du prêtre Bissey à Caen est particulièrement explicite. Il le félicite de ne pas avoir dénoncé le prêtre en arguant du lien sacré de protection entre l'évêque et son prêtre. La citation est glaçante.

Une autre particularité de la pédocriminalité dans l'Église tient au lien particulier qui unit les évêques entre eux selon le principe de la succession apostolique qui dispose qu'un évêque est ordonné par l'imposition des mains de trois autres évêques appelant l'Esprit Saint sur sa tête. Selon la tradition catholique, les mains et les fronts se succèdent dans ce geste depuis les origines de l'Église. Cette idée, très belle d'un point de vue spirituel, a un revers terrible, dès lors que tout évêque intimement, profondément et spirituellement lié à son prédécesseur, jugera bon de ne pas dénoncer un cas de pédophilie dont son prédécesseur n'aura pas fait état, car ce serait juger son propre père qui l'aura fait évêque.

Il faut en outre prendre en compte le regard extrêmement péjoratif que la doctrine catholique porte sur la sexualité presque toujours entachée par le péché, puisqu'elle n'est licite que dans le cadre d'un mariage unique, stable et ouvert sur la procréation. Le péché est partout ailleurs, y compris dans le simple acte de masturbation. Dès lors qu'il n'existe pas de principe de gradualité, il est difficile de comprendre que certains actes peuvent tomber sous le coup du péché alors que d'autres, qualifiés de crimes, sont redevables du régime de la justice et non de celui de la pénitence et du pardon. Cette confusion a été longtemps entretenue dans l'Église de France, notamment par le cardinal Barbarin qui disait encore au début du mois de novembre, dans une interview à Radio Notre-Dame, à propos de l'affaire Preynat dont il doit répondre devant la justice le 7 janvier : « Dès que j'ai su, j'ai dit à Rome, et Rome m'a répondu. J'ai fait ce que Rome avait dit. » Le cardinal Barbarin est-il redevable à Rome ? Ne doit-il pas être soumis à la justice française, en tant que citoyen français ? De fait, il va l'être. Cependant, l'idée même d'un régime du droit canonique dépendant de Rome explique l'impossibilité longtemps entretenue dans l'Église de faire la lumière sur cette question.

Les évêques ont décidé de réunir une commission indépendante confiée à Jean-Marc Sauvé dont nous connaissons la droiture. Nous attendons de voir ce qu'il en sortira. Souhaitons que cette commission soit à l'image de la vôtre, publique et enregistrée, et que les travaux que les évêques entreprendront aient ce caractère de publicité, puisque c'est précisément le silence qui a été à l'origine de tant d'abus.

Vous m'avez demandé quelles mesures il faudrait prendre. Je suis navrée d'entendre des évêques nous expliquer qu'on formera mieux les séminaristes et que l'on invitera des familles à leur table pour qu'ils voient ce que c'est qu'une vraie famille. Les séminaristes ne sont-ils pas eux-mêmes issus de familles, de sorte qu'ils ont sans doute une vague idée de ce qui s'y passe ?

Une mesure efficace consisterait à renforcer l'éducation des enfants, chaque début d'année scolaire, dans les institutions qui les accueillent, catéchisme ou scoutisme. Après tout, qui peut mieux défendre les enfants qu'eux-mêmes ? C'est en les éveillant à l'idée qu'ils ont un corps auquel personne ne doit toucher qu'on les rendra capables de se protéger eux-mêmes. Autant vous dire qu'une telle mesure ne sera pas facile à faire passer dans l'Église catholique où l'on tient qu'il ne faut pas parler de ces choses-là aux enfants innocents sous peine de leur donner des idées.

Je ne suis pas juriste mais je suis une observatrice de ce monde particulier dont je crois pouvoir dire sans prétention que je le connais très bien. Ce qui est certain, c'est que les prêtres et les évêques ne peuvent pas juger eux-mêmes de la prescription de ces crimes. La commission Christnacht a été réunie en 2016 dans le but d'éclairer les évêques sur la conduite à tenir à l'encontre des prêtres ayant purgé leur peine et sur les cas où il y aurait prescription. De toute évidence, les cas prescrits doivent être présentés à la justice car c'est à elle d'établir si la prescription s'applique ou pas.

Une autre question reste de savoir ce que nous devons faire des innombrables témoignages que nous avons reçus. Je ne suis que la directrice d'un microscopique journal et je n'ai aucune compétence pour accueillir tous ces mots, toutes ces souffrances, toutes ces confidences.

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