Intervention de Éric Guéret

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 28 novembre 2018 à 14h00
Audition conjointe de M. éric Guéret réalisateur du documentaire « enfance abusée » et de Mme Christine Pedotti directrice de la rédaction de témoignage chrétien

Éric Guéret, réalisateur du documentaire « Enfance abusée » :

Toutes les questions butent sur le manque de données statistiques fiables en France. Une société qui ne veut pas voir un problème se débrouille toujours pour ne pas le quantifier. Il n'y a jamais eu d'enquête fiable en France pour déterminer le pourcentage d'incestes intra-familiaux, ni le nombre de crime pédophiles commis par les entraîneurs sportifs, les prêtres, etc. Il est indispensable de mieux cerner les problèmes si l'on veut mettre en place une politique de prévention et d'accompagnement des victimes qui feront que la France sera non seulement le pays des droits de l'homme mais aussi celui des droits de l'enfant.

Je me suis appuyé sur plusieurs sources, dont la plus officielle est le baromètre santé et sexualité de l'Agence de santé publique. Il distingue les violences sexuelles que les gens ont subies, puis celles que les gens ont subies avant dix-huit ans. Si l'on fait une règle de trois, on en déduit qu'il y a 4 millions de victimes de viol et tentative de viol en France avant dix-huit ans, 3 millions de femmes et un million d'hommes, soit 6 % de la population. Le Conseil de l'Europe va jusqu'à dire qu'un enfant sur cinq est victime d'une forme de prédation sexuelle, ce qui donnerait en France une estimation à 12 millions de victimes. Outre les 4 millions de victimes de viol et tentative de viol, les études s'accordent à chiffrer entre 6 et 7 millions le nombre des victimes de violences sexuelles, ce qui revient à dire que trois enfants sur une classe de trente élèves sont touchés. Si l'on inclut les prédateurs sur Internet, on atteint les 12 millions de victimes.

Ces chiffres donnent le vertige et pourtant rien n'est fait. Il faudrait commencer par mener des études. Certaines associations en font, l'Association internationale des victimes de l'inceste (AIVI) par exemple, mais leurs moyens sont limités et il faudrait que les pouvoirs publics s'emparent du problème comme ils le font pour d'autres fléaux.

Face aux 4 millions de victimes de viol et tentative de viol, soit 1,8 enfant par classe sur une classe de trente, on constate le déni le plus complet. J'ai des enfants à l'école. Personne ne m'a prévenu de la situation. On ne peut qu'être en colère lorsqu'on apprend que 6 % de cette population est victime d'abus sans que personne n'en parle ni ne s'y intéresse.

Les victimes sont dans un sentiment d'abandon et de solitude extrêmes qui pousse certaines d'entre elles à se suicider ou à garder le silence. Elles partagent le sentiment que les institutions ne leur viennent pas en aide.

Le déni a pour conséquence que les parents ne décèlent pas les signes, lorsqu'un enfant de cinq ans se remet à faire pipi au lit, ou bien lorsqu'un enfant commence à se masturber à un âge précoce. Ce sont pourtant des signes forts qui indiquent la possibilité d'une forme d'attouchements. Il faudrait informer davantage les parents pour qu'ils puissent identifier le problème. Ceux que j'ai filmés étaient désespérés de découvrir que leur enfant avait été abusé pendant parfois dix ans sans qu'ils aient rien vu. Or personne ne leur a dit ce qu'il aurait fallu voir, ni ne les a guidés dans la manière d'identifier le problème. Ce silence est criminel, car il ne donne pas aux parents, à l'encadrement scolaire ou sportif les moyens de lire ces petits signes qui sont des alertes.

Il ne peut y avoir ni politique de prévention, ni politique publique, en l'absence de chiffres. Par conséquent, vous nous offrez un énorme espoir. Lorsqu'on constate que les accidents de la route font 3 500 morts par an, on passe toutes les routes de France à 80 kilomètres à l'heure. Et on ne ferait rien alors que l'on sait qu'il y a 4 millions de victimes de la pédophilie ? Pas une affiche dans le métro, pas un spot à la télévision, pas un petit fascicule de formation pour les enseignants, pour les prêtres, pour les accompagnateurs sportifs, pour les colonies de vacances, absolument rien ou si peu.

Enfin, énorme écueil, la loi « Villefontaine » impose au ministère de la justice de transmettre les fichiers des membres du personnel de l'Éducation nationale, condamnés pour pédocriminalité. Cependant, les recteurs sont seuls avec ces informations, sans que personne ne leur indique comment réagir. Faut-il renvoyer, réintégrer, ou bien éloigner ces personnes des enfants ? Il serait intéressant que vous entendiez un recteur à ce sujet. On a fait une loi sans donner aux recteurs les clés pour l'appliquer.

Autre problème considérable, cette loi concerne le personnel de l'Éducation nationale, mais pas les personnels de mairie et de cantine qui exercent une activité dans les écoles. Ces personnes peuvent donc avoir été jugées pour pédocriminalité et continuer à être proches des enfants. C'est la même chose pour les personnes qui exercent dans le monde du sport. Dans mon documentaire, l'un des témoins, Kévin, a été violé pendant dix ans par son entraîneur sportif à la Fédération française de football. Cet homme va sortir de prison dans quatre ans. Il changera de district et il aura le droit d'entraîner des gamins au foot en toute impunité. De mon point de vue, une personne qui a été jugée pour pédocriminalité doit être écartée des enfants dans tous les milieux et de toutes les manières possibles. Mais ce n'est pas ce que dit la loi.

Enfin, le 119 est un numéro indispensable. Il devrait figurer sur les pages de garde des manuels scolaires, comme le préconise l'AIDI. Il devrait être inscrit partout, puisque c'est un numéro d'urgence à destination des enfants victimes de violence. Cependant, le 119 ne fonctionne qu'avec 45 personnes. Nous les avons rencontrées et elles savaient qu'après la diffusion du film, elles risquaient d'être submergées d'appels et de ne pas pouvoir faire face. Le 119 manque de moyens pour former les écoutants et pour pouvoir intervenir en cas de situation d'urgence. Puisqu'il s'agit de la première main tendue aux victimes, donnons des moyens au 119. Les personnes qui y travaillent sont les acteurs d'une possible libération de la parole.

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