C'est vrai, Antonio Tajani parle très bien le français. S'agissant de la session de l'APCE à Strasbourg, je vous rapporte quelques éléments d'ambiance, notamment une très forte tension entre les délégations russe et ukrainienne. Des sanctions vont être prises par le Bureau à l'encontre d'un membre en raison d'injures personnelles : un drapeau ukrainien taché de sang a été exhibé. Je connais la sensibilité des parlementaires ukrainiens mais on a parfois l'impression, et de plus en plus dans cette Assemblée, d'être pris en otage par des conflits - tel celui qui oppose les Azéris et les Arméniens -, qui monopolisent très largement les débats. Pour n'importe quel texte présenté dans la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, nos amis ukrainiens ajoutent dix amendements qui contournent le texte pour parler spécifiquement de la situation ukrainienne. Tout cela montre la difficulté à travailler sereinement dans cette Assemblée.
En outre, comme nous l'avons vu hier lors de l'audition au Sénat par la délégation française du Secrétaire d'État chargé des affaires européennes, M. Clément Beaune, tout le monde veut étendre le domaine d'action de l'Assemblée à de nouveaux droits, comme les droits environnementaux. Pour ma part, je suis partisan que nous nous concentrions sur l'État de droit et les droits de l'homme. Or, nous avons plutôt tendance en tant que parlementaires, y compris en France, à essayer de faire entrer aux forceps tout sujet de prédilection dans le cadre du Conseil de l'Europe. Lors de la présidence française du Comité des ministres il y a deux ans, il avait été dit spécifiquement que nous devions nous recentrer sur nos sujets.
Nous faisons face à un problème de financement - même si les Russes ont réintégré le Conseil de l'Europe, ils sont loin d'avoir payé leurs cotisations en retard - d'où une gestion de plus en plus serrée de cette Assemblée pourtant ô combien essentielle. L'APCE doit également mettre en avant ses travaux face au Parlement européen avec qui il existe une complicité néanmoins doublée d'une concurrence de plus en plus forte. En effet, le Parlement européen traite de plus en plus la question de l'État de droit et des libertés publiques. Nous pouvons parfois avoir l'impression d'un doublon, ce qu'a affirmé hier le Secrétaire d'État aux affaires européennes. Nous préférerions qu'il y ait une collaboration et une complémentarité pour éviter le risque de dégrader et d'user cette institution.
Les Russes ont réagi violemment d'autant que, lors de la première partie de session en janvier, nous avions évité tout débat d'urgence sur la situation de M. Navalny. Le rapporteur Jacques Maire, extrêmement diplomate dans ses relations avec les Russes, a été obligé de porter une résolution tant il devenait difficile de proroger sur trois ou six mois le traitement de la question - comme il comptait le faire initialement -, alors qu'Alexeï Navalny était en grève de la faim.
La réaction russe montre qu'aujourd'hui, les autorités ne sont pas nécessairement en train de se rapprocher de l'Europe. Il faut y aller doucement. Jacques Maire est aujourd'hui incriminé en raison de sa participation à une réunion du Parlement européen avec l'ambassadeur lituanien, en visioconférence. J'ai également participé à cette réunion. Jacques Maire a été sanctionné au prétexte de sa participation, mais non sur les propos particulièrement diplomates et modérés qu'il a tenus lors de cette réunion et dont je peux témoigner. Étant rapporteur des deux rapports en cours sur l'affaire Navalny (mais aussi du groupe de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe - ALDE), Jacques Maire a été mis en cause. C'est un moyen de faire passer un message à l'institution.
L'autre question réside dans l'observation et le contrôle des élections. Dans quelques mois, des élections générales importantes auront lieu en Fédération de Russie. Il semblerait que nous ne soyons pas autorisés à former une délégation de contrôle de ces élections. Pourtant, nous allons bien contrôler les élections aux États-Unis, en France et absolument partout. Certes, dans certains pays, nous renonçons à ces contrôles en considérant qu'il n'y a pas de problème, comme en Islande, mais il me semblerait quelque peu inquiétant que ces élections se passent sous huis clos international.