Intervention de Jean Claude Boulard

Mission commune d'information sur la taxe professionnelle — Réunion du 31 janvier 2012 : 1ère réunion
Audition de représentants de collectivités locales

Jean Claude Boulard, président de la communauté urbaine du Mans, représentant l'AMGVF et l'Association des Communautés urbaines de France (ACUF) :

maire du Mans, président de la communauté urbaine du Mans, représentant l'AMGVF et l'Association des Communautés urbaines de France (ACUF) - Il va bien falloir apprendre à vivre sans la taxe professionnelle, personne ne proposant de la rétablir ! J'ai lu le programme des uns et des autres : je n'ai trouvé aucune proposition en ce sens ! Il faut donc essayer de tenir compte des erreurs de la réforme pour ne pas en commettre de nouvelles. C'est sur ce point que je voudrais insister à travers six points.

Le premier prendra la forme d'un constat : quelles que soient les collectivités, à des degrés différents, la réforme de la taxe professionnelle s'est traduite par une perte ou une réduction très forte de l'autonomie fiscale des collectivités locales : 41 % pour le bloc communal on n'ose citer le pourcentage des autres ! Il est intéressant de rappeler que cela s'inscrit dans un mouvement historique. Depuis quarante ans, l'Etat ne cesse de remplacer des impôts locaux par des dotations ! Cela a commencé par la réforme de la taxe locale et par l'extension de la TVA au commerce de détail, qui est à l'origine de la DGF, remboursement et non dotation d'Etat. On a perdu la bataille culturelle le jour où on a oublié ce dernier point. L'extension de la TVA au commerce de détail ressemblait beaucoup à la TVA sociale et l'Etat a inventé la DGF pour nous rembourser. Il a ensuite prétendu qu'il s'agissait d'une dotation, puis l'a réduite régulièrement.

Ce mouvement, toutes les majorités l'ont accompagné. Je ne sais plus qui a décidé la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle...mais, dès lors qu'un des deux piliers a été supprimé, on a craint que le second ne le soit également. On pourrait tirer un premier message de ce constat et cesser, à l'avenir, de remplacer des impôts locaux par des dotations. Toutes les collectivités devraient demander que ce processus cesse dans le futur. Il ne s'agit pas de nous rendre nos impôts encore que ce débat n'est pas inutile mais de sanctuariser ceux qui existent car je crains que le vieux rêve que la direction du budget fait depuis quarante ans ne continue à cheminer !

On sait que cela commence par une compensation. On la déclare sanctuarisée pendant deux ans ; elle est quelquefois indexée sur les salaires puis sur l'inflation, avant d'être gelée avant de devenir un outil de péréquation.

Le deuxième constat n'est pas sans importance : la structure du prélèvement local s'est déplacée vers les ménages, ce qui n'est pas une mince affaire. Pour ce qui est du bloc communal, on est passé, s'agissant du foncier bâti et de la taxe d'habitation, de 58 % à 74 % ; en même temps, l'impôt économique est passé de 41 % à 22 %. C'est un sujet qui va compliquer le débat sur l'évolution des valeurs locatives du bloc communal et rendre extrêmement dangereux celui qui est en train de naître sur les dégrèvements.

Si un processus de remise en cause des dégrèvements se met en place au profit d'exonérations qui ne seront plus compensées, le bloc communal, qui dépend à 70 % de l'impôt sur les ménages, va souffrir. C'est un dommage collatéral de la réforme de la taxe professionnelle mais il faut être vigilant.

Le troisième constat a été peu dressé : la réforme a produit une différenciation relativement dangereuse des territoires au plan fiscal, au détriment des territoires industriels et au profit des territoires résidentiels. Je ne suis pas sûr qu'on ait mesuré ce que voulait dire, pour l'avenir d'un pays comme le nôtre le fait qu'au plan fiscal, les territoires résidentiels sont et seront mieux traités que les territoires industriels.

Pour un territoire résidentiel dont la ressource provient pour l'essentiel de la taxe d'habitation et du foncier bâti, l'effet de l'évolution de la richesse fiscale est plus fort ; cependant, les territoires industriels bénéficient des dotations de compensation les plus importantes et d'une part de dotation supérieure par rapport à leur part de ressources fiscales.

En second lieu, l'affectation des territoires en faveur de l'habitat et les effets de la DGF en matière de population conduira à privilégier l'affectation résidentielle par rapport à l'affectation industrielle. La différenciation fiscale entre territoires industriels et résidentiels, peu prise en compte dans les débats, constitue un danger potentiel considérable.

Le quatrième constat nécessite peut être un ajustement. Même les tenants de la réforme admettent qu'ils sont allés trop loin : 3,6 milliards d'euros de dégrèvement et un dommage collatéral, qu'on n'a pas pu réparer s'agissant des Bénéfices Non Commerciaux (BNC), peu délocalisables.

J'ai la conviction que la réforme freine peu les délocalisations ; il n'empêche que certains secteurs non délocalisables ont bénéficié d'un effet d'aubaine. Lorsque les professionnels du BTP se plaignent de leur plan de charge, je leur rappelle qu'ils se sont peu battus, au sein du Mouvement des Entreprises De France (MEDEF), pour rappeler qu'ils ne sont pas délocalisables et que l'essentiel des financements vient du budget des collectivités locales !

Il faut donc prendre garde à l'évolution des seuils de dégrèvement. C'est un débat gagnant gagnant, aussi bien pour l'Etat que pour les collectivités locales. Pour l'instant, l'Etat compense les dégrèvements. Pour combien de temps ? Personne ne le sait mais un travail d'ajustement du périmètre de l'impôt économique pourrait constituer un compromis entre l'Etat et les collectivités locales.

Cinquième observation : peut-on rétablir un peu d'autonomie sur l'impôt économique ? Certes, le rapport Fouquet a prévu des différenciations de taux. On peut également moduler les taux des bases non délocalisables puisqu'il n'existe pas d'effets pervers.

Enfin, c'est un bénéficiaire de la péréquation qui vous le dit : celle ci est dangereuse ! On m'écoutera peut être davantage... Pourquoi ? Moyennant deux ou trois petits amendements, on passe de 500.000 euros de prélèvement à 700.000 euros de bénéfices. Qu'un curseur aussi faible puisse provoquer un tel effet ne peut qu'appeler à la prudence !

Le Parlement, dans sa sagesse, a eu raison de limiter à 150 millions d'euros le montant de la péréquation. Il en est du plaisir comme de la douleur : il vaut mieux les répartir dans le temps ! Il a d'ailleurs fallu instaurer un plafonnement à 10 % sur certains territoires. S'agissant d'un impôt de répartition, tous les plafonnements retomberont sur les autres ! Toutes ces dispositions relativement difficiles à contrôler appellent à poursuivre prudemment et en réalisant beaucoup de simulations, face aux conséquences des différents scénarios.

J'ajoute qu'une ressource nationale destinée à alimenter une partie de la péréquation, notamment dans le cas du réexamen des dégrèvements de l'impôt économique, éviterait à l'avenir, quels que soient ceux qui l'animeront, que l'Etat ne réponde péréquation lorsque les collectivités locales viendront expliquer à ce dernier qu'elles ont un problème d'adéquation entre leurs moyens et leurs dépenses. Compte tenu des allégements massifs d'impôts qui se sont produits depuis des années, la péréquation ne peut constituer une réponse pour l'avenir, sauf à opposer les territoires entre eux ce qui est le rêve de l'Etat !

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