enseignant-chercheur au centre de géosciences de l'École des Mines de Paris, et membre, en 2012, du comité de pilotage sur « Les ressources minérales profondes - Étude prospective à l'horizon 2030 ». - Combien avons-nous encore de ressources ? Combien d'années pourrons-nous encore vivre en exploitant les ressources terrestres ? La question est délicate. Dans l'industrie minière, on distingue en effet les ressources et les réserves, ce qui n'est pas le cas dans le langage courant. On ne classe dans les réserves que ce qui est techniquement et économiquement exploitable. Les ressources sont classées en différentes catégories selon le niveau de connaissances et la densité d'information dont on dispose. Une fois les ressources indiquées ou mesurées, si une étude technique et économique a montré qu'elles étaient exploitables, on peut alors parler de réserves probables ou prouvées.
Très souvent, les gens se contentent de diviser le niveau minimum des réserves par la production annuelle de la substance pour fixer l'échéance de son épuisement. Par exemple, pour le cuivre, on compte 880 millions de tonnes de réserves connues, et 20 millions de tonnes de production annuelle, de sorte que l'échéance d'épuisement du cuivre est estimée à quarante-quatre ans. Les chiffres sont à peu près les mêmes pour le cobalt. Pour le nickel on est autour de quarante ans. Pour le manganèse, on est au-delà des quatre-vingts ans.
Or ce type de calcul n'a pas de sens, dans la mesure où il faut aussi prendre en compte l'évolution de la production mondiale et celle des réserves connues. Pour le cuivre, ces réserves ne cessent d'augmenter. Par conséquent, la durée de vie statique de quarante-quatre ans est restée la même depuis 1950 jusqu'à aujourd'hui. Les réserves ne sont donc pas un indicateur d'épuisement des substances, car elles sont un élément dynamique qui se réalimente au fur et à mesure.
Quant aux ressources, elles peuvent servir de base pour le calcul des réserves - ce sont les ressources économiques -, ou bien être non économiques, même si elles peuvent le devenir, être inférées ou encore non découvertes.
Les ressources peuvent-elles servir à évaluer un horizon d'épuisement ? Cela vaut sans doute pour certaines substances, mais pas pour d'autres. Par exemple, au milieu des années 2000, alors qu'on développe les véhicules électriques, il apparaît que pour équiper 1 milliard de voitures hybrides, il faudrait 3 millions de tonnes de lithium, les réserves n'atteignant que 4 millions de tonnes. Dès lors que l'industrie constate ce besoin en lithium, les études économiques qui permettent de reclasser les ressources en réserves sont réalisées rapidement, de sorte que les réserves de lithium sont portées à 13 millions de tonnes. En outre, depuis 2008, les ressources de lithium n'ont cessé de croître, sous l'effet des efforts de l'industrie minière. Par conséquent, les ressources identifiées sont elles aussi sujettes à évolution, en fonction de la maturité du métal.
Si donc, l'on sait que certaines ressources manqueront à terme, on se heurte toujours à l'impossibilité de prévoir l'échéance de cet épuisement, car personne ne peut déterminer la quantité de ressources qui n'a pas encore été identifiée. On estime toutefois que cette quantité équivaudrait à trois fois plus que les réserves. Ainsi, selon l'Institut d'études géologiques des États-Unis (USGS), le potentiel de cuivre non identifié à ce jour est de 3 500 millions de tonnes qui s'ajoutent aux 2 100 millions de tonnes de ressources identifiées. L'horizon d'épuisement oscille entre cinquante et trois cents ou quatre cents ans selon les substances.
Des modèles plus sophistiqués de prévision ont été développés récemment, notamment par Olivier Vidal au sein de l'Institut des sciences de la terre (ISTerre) de Grenoble, ou bien au sein de l'Institut français du pétrole-Énergies nouvelles (IFPEN), qui consistent à empiler, d'un côté, un scénario d'évolution économique, un scénario d'évolution des usages et un scénario de mix énergétique et, de l'autre, un modèle de renouvellement des gisements. Grâce à ces modélisations complexes, on obtient un ordre de grandeur des échéances d'épuisement de certaines substances. Il n'est toutefois pas très différent de celui que j'ai précédemment cité, la difficulté étant qu'en superposant tous ces modèles, on multiplie les facteurs d'incertitude.
On sait donc que l'épuisement interviendra à long terme. À plus court terme, dans cinquante, cent ou deux cents ans, il est délicat d'envisager précisément l'échéance du manque de telle ou telle substance.
La question du recyclage se pose nécessairement en ce qui concerne les matières qu'on ne consomme pas, par exemple le cuivre que l'on ne brûle pas à la différence du pétrole.
Le taux de recyclage en fin de vie intervient dès lors que l'on a des pertes liées à un usage dispersif, par exemple celui du sulfate de cuivre pour traiter les vignes ou bien encore celui du nano-fil de cuivre utilisé comme bactéricide dans les chaussettes. Le taux de cuivre que l'on ne récupérera pas reste très faible, à 4 %.
En revanche, les défauts de collecte sont extrêmement forts pour le cuivre, puisque l'on perd 58 % de la substance à cette étape. Par exemple, lorsqu'une maison est démolie, les tuyauteries d'eau et les câbles électriques partent à la décharge à gravats et le cuivre est alors définitivement perdu.
Aujourd'hui, il ne reste que 38 % du cuivre après les usages dispersifs et les pertes en collecte. Seulement 28 % reviendront dans les procédés de fabrication, car la métallurgie secondaire n'est pas forcément simple, de sorte que l'on perd encore de la substance au cours du processus.
Autre élément à prendre en compte, le cuivre a une durée de vie dans le système. En trente ans, la consommation de cuivre a doublé. Si, dans le même temps, on ne récupère que 28 % du cuivre initialement utilisé, cette part ne représente plus que 14 % de cuivre secondaire dans la consommation de cuivre. En l'occurrence, ce chiffre est de 17 % selon les études menées par la Commission européenne.
S'il est indéniable que le potentiel de recyclage est important, il reste à réaliser d'importants progrès. Pour les terres rares, le taux de recyclage est minime, de l'ordre de quelques unités de pourcentage.
Le poids du recyclage reste donc faible. Tant que l'on sera dans un monde en croissance, il faudra toujours injecter des ressources nouvelles, de sorte que la question de l'échéance de leur épuisement continuera de se poser. On peut repousser l'échéance, mais pas la faire disparaître.
Quelles sont les substances où les tensions sont les plus fortes ? La question est là aussi délicate, car la situation change très vite. Les produits sont cotés sur des bourses internationales et les prix sont instables. Le prix du cuivre est passé en vingt ans de 2 000 à 10 000 dollars la tonne, selon une courbe très irrégulière. Celui du cobalt a oscillé entre 20 000 et 80 000 dollars la tonne. Celui du lithium a récemment explosé, multiplié par cinq en l'espace d'un an. Les prix des terres rares ont subi les conséquences des taxes puis des quotas à l'exportation imposés par la Chine.
Aujourd'hui, le marché en tension est celui du lithium ; demain, celui du cobalt le sera peut-être davantage. Les marchés sont très différents, d'abord par leurs tailles : 100 000 tonnes par an pour le lithium ou le cobalt, mais 20 millions de tonnes pour le cuivre. Plus de 50 % de la consommation de lithium-cobalt est liée à des technologies de transition, tandis que celles-ci sont minoritaires pour le cuivre. Enfin, la consommation de gallium-indium, par exemple, est inférieure à 1 000 tonnes par an, mais il se pourrait fort bien que l'apparition d'une nouvelle technologie ait pour conséquence un accroissement de la demande, laquelle serait alors supérieure à la production.
Autre élément : le produit est-il exploité pour lui-même ou est-il exploité en sous-produit ? C'est important pour ce qui concerne les ressources minérales marines. Ainsi, les tensions sur le marché du cobalt sont liées à la production de batteries lithium-ion, le cobalt étant un des éléments constitutifs de la cathode. Or le cobalt est un sous-produit du cuivre ou du nickel ; une seule mine au monde l'exploite pour ce qu'il est. Aussi, même si son prix augmente, la production minière n'augmentera pas pour autant, les mines vivant essentiellement du nickel. Seules les mines de cuivre avec le cobalt comme sous-produit, essentiellement situées en République démocratique du Congo, sont sensibles au prix du cobalt et peuvent donc orienter leur production à la hausse. Il peut donc y avoir de fortes tensions sur les métaux qui sont des sous-produits.
Les réserves de cobalt sont faibles. Ses ressources connues sont de 25 millions de tonnes en milieu terrestre, ce qui est également faible, et c'est un sous-produit. Les conditions sont donc réunies pour qu'il y ait, à un moment ou à un autre, des difficultés avec le cobalt. Or celui-ci fait partie des métaux fortement présents dans les ressources minérales marines. On estime à 120 millions de tonnes les ressources de cobalt en milieu marin. Les ressources marines de cobalt représentent donc un vrai enjeu.
La seule évaluation des ressources ultimes en milieu marin, issue de l'USGS, porte sur le cobalt. Pour les autres substances, si l'on considère les teneurs que l'on trouve classiquement dans les ressources minérales marines, et compte tenu de ce que l'on sait du cobalt, on peut en déduire qu'il y aurait des ressources marines significatives pour le nickel - deux fois les ressources terrestres soit 600 millions de tonnes. Les ressources seraient en revanche loin d'être significatives pour le cuivre, avec 600 millions de tonnes, en s'appuyant uniquement sur les nodules.
Pire que les sous-produits : les sous-produits à l'état de traces, utilisables pour certaines technologies. Un exemple : celui du gallium, sous-produit de la bauxite, dont le marché mondial représente environ 400 tonnes, ce qui nécessite d'exploiter 400 millions de tonnes de bauxite. L'une de vos questions porte sur la transition énergétique, qui nécessite de développer, en particulier, le photovoltaïque, avec deux solutions : solution silicium-argent ou solution dite des « couches minces » - cuivre, indium, gallium, sélénium. Or, avec une substance telle que le gallium, on ne peut envisager que des marchés de niche.
Je reviens sur la question des marchés en tension. Les lignes sont mouvantes, pour des raisons géopolitiques, mais aussi en raison de l'évolution des technologies. Par exemple, on trouve dès à présent des batteries lithium-ion dont les cathodes sont exemptes de cobalt. Il faudrait dans l'absolu 24 millions de tonnes de cobalt pour pouvoir équiper toutes les voitures en circulation de batteries employant une technologie lithium-cobalt, ce qui correspond aux ressources terrestres actuellement connues. Des technologies se développent pour réduire la part du cobalt. La technologie qui a le vent en poupe en Europe, c'est celle dite « NMC », pour nickel-manganèse-cobalt, qui nécessite dix fois moins de cobalt.
Une autre technologie est disponible, celle du lithium-fer-phosphate, qui ne nécessite pas de cobalt. Par conséquent, la tension sur le cobalt va-t-elle perdurer ? La différence majeure entre ces technologies, c'est la quantité d'énergie qu'il est possible de stocker dans la batterie. Pour un court trajet, une batterie lithium-fer-phosphate fait l'affaire, mais pour un plus long trajet, il faut une batterie NMC, à moins de faire le trajet en plusieurs étapes. Les questions technologiques s'accompagnent donc de questions d'usage.
En un mot, il est difficile de caractériser une situation de tension à court terme sur un marché, car tout évolue très vite.
Si l'on considère les ressources présentes en milieu marin, c'est le cuivre qui pose problème à un horizon proche, d'autant que ce produit est indispensable à la transition vers l'électrique. Le seul conducteur dont nous disposons pour fabriquer les voitures électriques, les éoliennes, les câbles électriques décentralisés... est le cuivre. Le marché du cuivre va donc se développer, les ressources terrestres étant à ce jour encore assez confortables.
Le marché du nickel représente 7 millions de tonnes par an. Mais le nickel qui entre dans la composition des batteries est du nickel de qualité chimique, alors que l'essentiel du nickel produit aujourd'hui l'est sous forme de ferronickel pour faire de l'acier inox. Se pose donc plus, potentiellement, un problème de transformation.
Les ressources terrestres en manganèse sont significatives et, même s'il est utilisé pour la fabrication des batteries, on ne perçoit aucune problématique d'approvisionnement.
Quid des questions géopolitiques ? Des questions géopolitiques peuvent se poser du fait de la géologie, lorsque les réserves sont très concentrées : les réserves mondiales de phosphates sont de 67 milliards de tonnes, dont 50 au Maroc ; 90 % des réserves mondiales de platinoïdes sont en Afrique du Sud (2008) ; la RDC détient quant à elle la moitié des réserves mondiales de cobalt.
La géopolitique peut également se manifester à travers les choix d'exploitation. Ainsi, la RDC représente 72 % de l'exploitation primaire du cobalt, ce qui est supérieur à sa part dans les réserves mondiales (50 %).
S'agissant des terres rares - on parle de terres rares, car elles sont faiblement concentrées -, la Chine domine la production, même si des pays comme le Vietnam ou l'Australie occupent une place croissante, étant entendu que ce sont des entreprises essentiellement chinoises qui contrôlent la production du premier.
En revanche, les réserves mondiales de terres rares ne sont pas concentrées géographiquement. Aux États-Unis, le gisement de Mountain Pass peut être à tout moment remis en exploitation. La Finlande, le Groenland, l'Afrique, le Canada possèdent des terres rares.
Ce qui est concentré en Chine, c'est simplement la production. C'est un choix industriel. Ce n'est qu'en 2011, quand ce pays a commencé à fermer le robinet, que les pays occidentaux se sont mis à prospecter. Ces gisements, très nombreux, ne sont pas exploités à ce jour, la Chine ayant entre-temps mis fin à sa politique de quotas.
Dernier point : l'effet de la chaîne aval. S'agissant du cobalt, la Chine représente 64 % de la production de ce métal, pourtant majoritairement produit en RDC.
En définitive, aucun pays, à mon sens, ne pourra être totalement autonome tout au long de la chaîne.
En la matière, qu'en est-il de la France ? En Nouvelle-Calédonie, on exploite 200 000 tonnes de nickel par an, ce qui est très largement supérieur aux besoins de la France. Le cobalt issu de cette exploitation disparaît dans le ferronickel (pyrométallurgie) ou est récupéré (hydrométallurgie). Si l'on parvenait à récupérer le cobalt présent dans les minerais produits en Nouvelle-Calédonie, il serait donc possible de produire à peu près 20 000 tonnes de cobalt, ce qui ferait de la France le deuxième producteur mondial de cobalt.
Pour résumer, nous maîtrisons la production de nickel et de manganèse - même si, s'agissant de ce dernier, nous ne disposons pas des ressources - grâce à Eramet. Il reste la question de la maîtrise de la chaîne aval du cobalt. Concernant le cuivre, nous n'avons pas la maîtrise de la chaîne aval, mais l'Europe l'a : ainsi, on trouve des gisements et une fonderie en Espagne et en Suède.