Intervention de Valérie Peugeot

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 15 avril 2014 à 14h35
Audition sous forme de table ronde de mmes céline castets-renard professeur à l'université toulouse i capitole co-directrice du master 2 « droit et informatique » jessica eynard docteur en droit auteur de les données personnelles quelle définition pour un régime de protection efficace ? 2013 et valérie peugeot vice-présidente du conseil national du numérique présidente de l'association vecam et prospectiviste à orange labs et de M. Francesco Ragazzi chercheur associé au centre d'études et de recherches internationales ceri de sciences po paris et maître de conférences à l'université de leiden pays-bas.

Valérie Peugeot :

Il existe un droit ascendant, qui n'est pas sorti du chapeau du législateur ou de la jurisprudence, mais de la communauté agissante. Je pense aux Creative Commons, à l'ODBC (Open DataBase Connectivity) ou aux licences historiques du logiciel libre. Il existe déjà une boîte à outils juridique qui ouvre des brèches. Au-delà, il faudra bien reconnaître une place aux échanges non marchands. Sur Internet, les contenus circulent instantanément. On ne peut pas stigmatiser 70% de la population en l'accusant de piraterie. Mieux vaut accompagner des pratiques sociales d'une telle ampleur que chercher à les réprimer. Je vous renvoie aux travaux de Philippe Aigrain sur la contribution créative. Pour préserver les échanges non marchands, il faut trouver d'autres formes de rétribution des auteurs et sortir de la vision binaire dans laquelle nous sommes enfermés depuis le début de l'ère industrielle, où l'on se contente de déplacer le curseur entre puissance publique et marché, pour laisser place à un espace de Communs où les ressources sont gérées sur le mode du partage, dans la lignée de la réflexion née des travaux d'Elinor Ostrom. L'idée émerge ainsi d'un « bundle of rights », un faisceau de droits dans lequel on pourrait imaginer un découplage du droit d'usage.

Enfin, dernier axe stratégique, et non le moindre, celui de la confiance et des libertés dans une société numérique. La confiance est une pierre de soutènement de notre économie. On ne saurait laisser se déployer une économie autour des masses de données sans construire, dans le même temps, les conditions de la confiance. Les acteurs, qui voient miroiter, dans le big data, un nouvel Eldorado, font allègrement la confusion entre données produites par les industriels eux-mêmes et données coproduites avec leurs clients et utilisateurs. Il est indispensable de disjoindre les deux approches. Que les premières fassent l'objet de commercialisation ne pose aucun problème. Mais avec les secondes, coproduites, on entre dans le champ des données personnelles, ce qui suppose une réflexion beaucoup plus poussée. Ces données coproduites font aujourd'hui l'objet de deux modes de commercialisation. Dans le premier, que l'on appelle l'économie de l'attention, l'entreprise offre un service dit gratuit en échange de quoi elle collecte des données qui vont servir à pousser des publicités vers l'internaute ou être revendues sur les marchés de traces. Le second peut, plus utilement, servir à créer de nouveaux services, au bénéfice de l'utilisateur. Il me semble que nous devons décourager la dérive de notre économie vers une économie de l'attention, où le marketing prédictif occupe une place prédominante, car c'est structurellement encourager la captation plus ou moins licite de traces et le renvoi de l'utilisateur à sa condition de consommateur captif. Il faut, au contraire, encourager le développement d'une économie servicielle, dans laquelle les données pourront constituer une ressource, sous contrôle strict de l'utilisateur, mis en mesure de contrôler, modifier, déplacer, effacer les données qu'il a coproduites, ce qui lui reste aujourd'hui impossible. Certes, l'Union européenne travaille, avec le règlement en préparation, à un nouveau cadre juridique, mais qui restera en partie inopérant si la question n'est pas portée à l'échelle mondiale.

Quelle peut être l'enceinte d'une discussion mondiale sur ces sujets ? Il est clair que ce doit être un espace politique, découplé des espaces proprement techniques. Forum de la gouvernance de l'Internet aux compétences et moyens renforcés ou autre cadre à inventer ? En tout état de cause, ce cadre devra être multipartenarial. Le Sommet mondial pour la société de l'information a, entre 2003 et 2005, posé les premières briques d'une telle approche, qui échappe au modèle onusien traditionnel. C'est un laboratoire d'innovation démocratique dont on n'a pas encore tiré le bilan. Toujours est-il qu'il faudra, autour de la table, asseoir, bien sûr, les Etats - même si tout le monde n'est pas d'accord - mais aussi les instances représentatives des collectivités locales, car elles ont un rôle essentiel à jouer dans notre futur numérique, les acteurs de la société civile et les acteurs économiques, petits et grands.

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