J'ai participé à Tel-Aviv à un colloque sur la cybercriminalité, et j'ai constaté, en discutant avec des représentants d'autres pays, que nous avons un fort retard. Je serai en tout cas ravi de faire un rapport sur le sujet, si les électeurs le permettent !
Nous avons travaillé sur la question de la mobilité des professionnels de santé au sein de l'Union européenne. Celle-ci découle de la libre circulation des personnes qui est l'un des principes fondateurs de la construction du marché intérieur. Depuis les années 70, la Commission européenne a cherché à favoriser cette mobilité. La directive 2005-36-CE modifiée en 2013 définit les conditions de reconnaissance des qualifications d'un État membre à l'autre pour permettre cette mobilité. Il existe deux régimes de reconnaissance mutuelle des qualifications : un régime de reconnaissance mutuelle automatique et un régime général.
Le premier, la reconnaissance mutuelle automatique, concerne les professions dites sectorielles que la directive énumère. Il s'agit des médecins généralistes ou spécialistes, des dentistes, des infirmiers de soins généraux, des pharmaciens et des sages-femmes. Pour ces professions, la directive 2005-36-CE fixe le niveau des diplômes requis pour suivre les formations permettant l'exercice de ces professions. De plus, elle détermine la durée minimale de ces formations, ainsi que les connaissances et compétences qu'elles doivent permettre d'acquérir. Enfin, l'annexe V de la directive détermine, pour chaque État membre, la liste des établissements autorisés à délivrer un diplôme pour exercer ces professions sectorielles. Les professionnels qui souhaitent faire jouer la reconnaissance de leurs qualifications n'ont pas de stage à accomplir ou d'examens à passer.
Le régime général, lui, s'applique aux autres professions médicales. Il s'applique également aux professions sectorielles lorsque les conditions de la reconnaissance mutuelle automatique ne sont pas remplies. C'est le cas notamment lorsque le diplôme ne figure pas à l'annexe V de la directive déjà évoquée. Dans le cadre du régime général, les autorités de l'État membre d'accueil examinent l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, et comparent, d'une part, les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale. Les autorités peuvent ensuite proposer des mesures compensatoires, qui peuvent être un stage ou une épreuve d'aptitude.
Ce n'est qu'une fois la qualification reconnue que l'État membre d'accueil peut procéder à des tests de langue, afin de vérifier que les professionnels de santé pourront communiquer avec les patients.
La mobilité de ces professionnels est évidemment corrélée à la maîtrise de la langue du pays d'accueil et à sa proximité géographique, mais elle est souvent liée aussi aux conditions socio-économiques : les professionnels migrent généralement vers les États où le budget de la santé est le plus élevé.
Ces mouvements modifient l'offre de soins dans les États membres. Dans les pays de départ comme la Bulgarie ou la Roumanie, l'offre de soins diminue dangereusement. À l'inverse, dans les États membres d'accueil comme le nôtre, l'arrivée de praticiens étrangers a permis de limiter l'impact de la diminution du nombre de professionnels de santé. En effet, ces praticiens venus d'autres États membres et notamment de Roumanie ont contribué à maintenir l'offre de soins dans certaines zones rurales, ce dont on peut se féliciter. Toutefois, on observe que, passé un certain temps, les professionnels venus d'autres États membres ont tendance à s'installer dans les mêmes zones que les professionnels formés en France, et qu'ils préfèrent en outre travailler en libéral plutôt qu'à l'hôpital où les besoins ne sont pas comblés. Dans ma région du Sud-Ouest, de nombreuses agences proposent à des généralistes qui ne trouvent pas de successeurs de faire venir des médecins roumains, et c'est souvent la collectivité qui va payer les frais d'agence, autour de 12 000 euros. Dans ma ville, c'est un chef-lieu de 1500 habitants, on avait six médecins il y a trente ans, aujourd'hui ils sont cinq, dont deux Roumains et un Hollandais.
Bien qu'elle ait facilité la mobilité, l'application de la directive 2005-36-CE pose un certain nombre de difficultés.
Tout d'abord, on note des différences notables dans les formations. En premier, les durées de formation, que ce soit dans le cas du régime général ou de la reconnaissance automatique, ne sont pas harmonisées. Dans le cas de la reconnaissance automatique, la directive ne fixe qu'une durée minimale de formation. Ainsi, pour les sages-femmes, elle est de trois ans. En France comme en Suède, la durée de formation est de 5 ans alors qu'en Espagne, les sages-femmes obtiennent la qualification d'infirmière spécialisée en soins obstétricaux après seulement trois années d'étude validées. De plus, ces différences se retrouvent également dans le contenu des formations et dans les actes autorisés à la pratique à l'issue de la formation. Ainsi, les infirmières peuvent faire des injections intraveineuses en France, alors que cet acte est réservé aux médecins en Allemagne et aux Pays-Bas.
Les tentatives d'harmonisation dans ce domaine se heurtent au fait que l'éducation demeure une compétence nationale et que les organismes de formation et les organisations professionnelles souhaitent garder leurs spécificités.
Par ailleurs, il apparaît difficile de faire respecter les exigences de la directive. Selon l'ordre des chirurgiens-dentistes, certains praticiens diplômés dans d'autres États membres n'ont reçu aucune formation pratique alors que celle-ci est expressément prévue par la directive. Il est donc nécessaire que les États membres assurent dans la durée un contrôle des établissements de formation pour s'assurer qu'ils respectent toujours les exigences de la directive 2005-36-CE. L'ordre plaide pour une révision de la directive 2005-36-CE afin que soit mis en place, dans chaque État membre, un système obligatoire d'évaluation publique, régulière et indépendante de tous les établissements délivrant un diplôme conforme à la directive 2005-36-CE. Il faut bien comprendre que l'État membre d'accueil n'a pas de pouvoir de contrôle sur ce qui se passe dans les établissements des autres États membres. En cas de doute sur la validité d'un diplôme, il doit se référer à l'autorité compétente de l'État membre d'origine. Ainsi, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé que l'État membre d'accueil n'a pas à vérifier par lui-même le respect de la condition de durée d'une formation prévue pour l'exercice d'une profession dite sectorielle. Il peut toutefois solliciter l'État membre d'origine, à qui il appartient d'effectuer cette vérification. Dans la réalité, les contrôles effectués par les États membres d'origine sont inégaux.
De même, lorsque l'inscription à un ordre n'est pas obligatoire, il est difficile de vérifier que le professionnel de santé maîtrise bien la langue du pays d'accueil. Lorsqu'ils sont embauchés dans un établissement de santé, cette vérification peut se faire facilement mais lorsqu'ils exercent en libéral, c'est plus compliqué.
Enfin, il faut évoquer les conditions pratiques dans lesquelles se déroule la reconnaissance mutuelle des diplômes au sein des États membres. Les délais sont précisés dans la directive 2005-36-CE et apparaissent particulièrement contraints pour permettre un véritable examen de chaque cas. En outre, il est souvent difficile de vérifier la qualité des stages pratiques prescrits comme mesure compensatoire.
Ces difficultés rencontrées dans le cadre de l'application de la directive 2005-36-CE suscitent des inquiétudes quant à la sécurité des patients. Si la mobilité des professionnels de santé doit être facilitée pour permettre leur libre circulation, cela ne peut se faire au détriment de la sécurité des patients. En effet, délivrer des soins n'est pas assimilable à un commerce.
L'assimilation des professions de santé à n'importe quelle autre activité économique et commerciale inquiète les professionnels de santé : ils la jugent incompatible avec l'exercice de leurs missions d'intérêt général au profit des patients. Ces craintes se sont renforcées lorsqu'en 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que « l'interdiction générale et absolue de toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires est incompatible avec le droit de l'Union européenne », ouvrant la voie à une banalisation commerciale de ces prestations de santé.
De plus, une directive de 28 juin 2018 soumet à un examen de proportionnalité toute disposition nationale qui limite l'accès à des professions réglementées ou leur exercice. Les professions de santé sont soumises à cette directive. Elle illustre la volonté de la Commission européenne de restreindre les entraves à la mobilité et son adoption a renforcé l'inquiétude des professionnels. En effet, les ordres craignent d'être remis en cause et de ne plus pouvoir exercer leur rôle de régulateur face aux évolutions des leurs professions.
Lors de la présentation de la proposition de directive en juin 2017, le Sénat, sur proposition de la commission des affaires européennes, avait adopté un avis motivé dans lequel il indiquait que le projet de directive ne respectait pas le principe de subsidiarité. Il estimait que tel était le cas dans le domaine de la santé où l'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose que l'action de l'Union est menée dans le respect et la responsabilité des États membres.
Toutefois, cette inquiétude doit être relativisée. En effet, la directive prévoit que toute nouvelle réglementation peut être justifiée par un motif d'intérêt général, notamment garantir un haut degré de protection de la santé humaine. De plus, pour transposer cette directive, les autorités françaises ont prévu de procéder à cet examen de proportionnalité à l'occasion de l'étude d'impact qu'elles doivent joindre à chaque projet de disposition législative ou de la fiche d'impact prévue pour tout projet de décret. C'est donc dans ce cadre que la proportionnalité sera examinée par les services du Gouvernement, préservant ainsi les initiatives du Parlement et des ordres en la matière. Une circulaire précisera les modalités de ce contrôle.
Par ailleurs, la jurisprudence tend également à prendre en considération l'impératif de protéger la santé humaine. Ainsi, en 2008, la Cour de justice de l'Union européenne a estimé qu'exiger qu'une pharmacie soit implantée dans l'État membre pour pouvoir approvisionner un hôpital de cet État est compatible avec le droit européen puisque cette mesure a pour objectif de garantir un approvisionnement optimal, nécessaire pour assurer un niveau élevé de protection de la santé publique.
Un autre phénomène que l'on peut aborder est celui de la grande mobilité des étudiants. 15 % des masseurs-kinésithérapeutes exerçant en France ont fait leurs études à l'étranger et beaucoup d'étudiants français font leurs études de médecine en Roumanie, ou en Espagne - je vois beaucoup de jeunes qui traversent le frontière, ou encore en Belgique pour les formations au métier de vétérinaire. Aujourd'hui beaucoup d'étudiants évitent les concours nationaux. Et les formations n'ont tout de même pas le même contenu, la même durée.
Quoi qu'il en soit, il s'agit de rester vigilant et de s'assurer que la mobilité ne se fasse pas au détriment de l'intérêt des patients. C'est le sens de la proposition de résolution européenne qui vous est soumise aujourd'hui.