Intervention de Rodolphe Alexandre

Mission d'information Sous-utilisation des fonds européens — Réunion du 10 juillet 2019 à 15h00
Audition de M. Rodolphe Alexandre président de la collectivité territoriale de guyane

Rodolphe Alexandre, président de la collectivité territoriale de Guyane :

Je suis très heureux d'être parmi vous. Votre mission pose la question de la sous-utilisation chronique des fonds européens. Vous avez souligné que c'était un sujet de débat. Il me semble que cette sous-utilisation constitue une image d'Épinal médiatique, qui laisserait à penser que nous ne consommons pas nos crédits. En guise de réponse, je dirais qu'il n'y a jamais eu des dégagements d'office en Guyane. Ensuite, le transfert de l'autorité de gestion des fonds européens a été décidé de concert avec l'État en 2014. Cela n'a pas été très facile, mais le rapport de la chambre régionale des comptes reconnaît que la collectivité territoriale de Guyane dispose d'un personnel compétent, en provenance à la fois du département, de la Région et de l'État, sur la base du volontariat. Notre organisation est mutualisée, permettant un suivi adapté de la gestion des dossiers, depuis le pilotage et l'instruction, jusqu'au mandatement et à la certification par l'Agence de services et de paiement (ASP) ou la DFIP. Quant à savoir si la gestion est meilleure selon qu'elle est exercée par la collectivité ou par l'État, je n'y répondrai pas car nous intervenons à flux tendus, dans des contextes totalement différents, et j'incline à penser que nous gérons correctement les fonds européens. Les pourcentages de consommation des crédits du FEDER, du FSE ou du FEADER le prouvent. Je voudrais ajouter que nous n'avons pu commencer à utiliser les fonds européens que tardivement, avec plus d'un an de retard par rapport au début de la programmation. J'ai dû interpeller Georges Patient, sénateur de la Guyane, pour que le législateur intervienne. Avec Serge Letchimy, nous avons saisi le gouvernement parce que nous voulions assumer cette compétence. Ensuite, lorsque nous avons enfin pu agir, avec un an de retard, nous avons rencontré les mêmes problèmes que l'on connaît partout avec les logiciels Osiris, Isis ou Synergie, qui nous ont pénalisés.

Nous avons une vision territoriale. L'État souhaitait, par exemple, coûte que coûte, investir pour réhabiliter et étendre des sites hôteliers autour de la base spatiale de Kourou. Nous avions refusé parce que nous estimions qu'Ariane Espace et les grands groupes installés autour de la base pouvaient le faire. En revanche, nous avons aidé six investisseurs locaux pour créer des centres hôteliers de haut niveau dans l'ensemble de la Guyane, aussi bien à Saint-Laurent-du-Maroni qu'à Sinnamary, Kourou ou Cayenne. Il y a eu un cas atypique qui était la construction d'un réservoir d'eau potable dans une commune très enclavée. L'État souhaitait réaliser un réservoir avec un tonnage d'environ 1 000 hectolitres. Nous avions refusé. Le maire souhaitait que l'on passe à plus de 1 600 hectolitres. Nous avions fait valoir les résultats de notre recherche en hydrologie. Entre-temps, l'ancien site s'est effondré et la population s'est retrouvée sans réservoir d'eau potable pratiquement pendant près de cinq mois. Donc, la question n'est pas de savoir qui gère le mieux, entre l'État et les collectivités, les crédits européens ; ce qui m'intéresse c'est de faire en sorte que ces politiques aient des effets concrets pour la population, de soutenir les porteurs de projets et de réduire la durée des procédures. En ce qui concerne le FEDER, nous sommes à 51 % (en coût UE) en termes de programmation, et à 72 % pour le FSE, quand la moyenne nationale avoisine 60 %.

J'ai été président de la conférence des régions ultrapériphériques de l'Union européenne. J'ai donc travaillé avec tous mes collègues de Guadeloupe, de Martinique, de la Réunion et je peux dire que la Guyane a contribué à apaiser les querelles de clocher, les divergences. Ainsi, pendant notre présidence, nous avons déposé un mémorandum auprès du Président Juncker.

Pour le FEADER, nous sommes à plus de 45 % en termes de programmation, mais à 43 % d'engagement et environ à 18 %pour le paiement. Les régions métropolitaines ont un fort taux de consommation parce qu'elles ont beaucoup de mesures surfaciques qui sont reconduites chaque année et qui constituent des aides directes plus ou moins automatiques : les indemnités compensatrices des handicaps naturels (ICHN) ou encore les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC).En Guyane, nous avons plutôt des aides à l'installation ou à la modernisation de l'exploitation. En effet, si en métropole, les fermes se revendent clef en main, chez nous, en cas de nouvelle installation, il faut souvent défricher, couper des arbres, installer l'eau courante et l'assainissement, l'éclairage, etc. Nos agriculteurs sont pénalisés car ils doivent attendre deux ans en moyenne entre la signature du bail d'installation avec France Domaine -car en Guyane 95 % du foncier appartient à l'État, et c'est France Domaine qui cède le bail emphytéotique -,et le moment où le jeune peut commencer à planter. L'instruction des dossiers prend du temps. Le taux de 18 % de paiement se comprend aisément ; il est lié à de nombreux problèmes. Aucune banque en Guyane ne suit un jeune agriculteur car elles sont frileuses. L'agriculteur a du mal à présenter des préfinancements. Une fois l'agriculteur installé, il faut encore prévoir le plan de bornage des parcelles, définir les cultures, le matériel. Tout cela explique le décalage entre l'engagement et le paiement. En cas de cession agricole, l'Établissement public d'aménagement de la Guyane (EPAG)a le pouvoir d'intervenir. Nous voulons mettre en place une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER). On comprend donc aisément, pour le FEADER, le décalage d'un an si l'on analyse les parcours des porteurs de projets. Les problèmes sont encore accrus du fait que ces derniers manquent souvent de trésorerie.

J'en viens aux difficultés. Comme l'a reconnu la chambre régionale des comptes, les transferts de personnels de la part de l'État ont été sous-évalués au moment du transfert de compétence : il n'y a pas eu de transfert d'agents du rectorat, de la direction de la mer, de la direction de la recherche, etc. On a donc commencé avec des effectifs restreints et cela explique une partie des difficultés que nous avons rencontrées. L'accès aux formations est aussi plus onéreux car il est coûteux d'envoyer nos agents en métropole. Nous faisons donc souvent venir les formateurs et ouvrons d'ailleurs souvent, dans ce cas, les formations aux agents de l'État.

Certains aspects de la décentralisation nous pénalisent aussi. Lors de la fusion entre le département et la région, nous n'avons pas eu de problème car nous avions anticipé, et les personnels du département et de la région ou de l'État, sur la base du volontariat, ont rejoint le pôle européen (avant même la fusion). Donc la fusion s'est passée dans d'excellentes conditions. Dès le départ, nous avons souhaité faire un budget annexe, ce qui a été gage de régularité budgétaire, souligné dans le rapport cours des comptes, et qui nous permettent de tracer les crédits et de ne pas les utiliser pour des actions courantes de la CTG.

Nous travaillons avec l'État sur les fonds européens : mais par exemple nous sommes l'autorité de gestion pour le FSE ; parfois nous sommes organismes intermédiaires de l'État sur ce même fonds. La responsabilité financière entre l'État et la région n'est pas toujours bien définie en cas de sanctions liées aux contrôles. En revanche, pour le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) impose des critères qui ne sont pas toujours adaptés à nos artisans-pêcheurs qui ont parfois des difficultés à constituer un corpus budgétaire et comptable, à faire remonter les factures, à noter les contrôles de la pesée, etc. D'où parfois certaines difficultés sur le plan de compensation des surcoûts en matière de pêche. Il est à noter que nous sommes la deuxième région de France pour le paiement des marins-pêcheurs. Il faudrait toutefois trouver un cadre dérogatoire, pour quelques années afin de prolonger pendant ce temps les pratiques qui étaient admises hier, sur la remontée des factures, les charges de comptabilité, le contrôle des pesée lorsque le navire rentre au port, etc.

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