Intervention de Christine de Mazières

Mission d'information Sous-utilisation des fonds européens — Réunion du 10 juillet 2019 à 15h00
Audition de Mme Christine de Mazières conseillère-maître à la cour des comptes rapporteure générale de la formation décentralisation de la gestion des fonds européens

Christine de Mazières, conseillère-maître à la Cour des comptes, rapporteure générale de la formation décentralisation de la gestion des fonds européens :

Merci Madame la Présidente. Je souhaite rapidement rappeler nos conclusions sur le sujet, puisque les FESI constituent une question technique difficile à appréhender. J'ai participé à deux missions consécutives, l'une sur l'outre-mer, qui a donné lieu à une insertion au rapport annuel de la Cour en février 2019 ; et l'autre consistant en la publication d'un rapport, à la demande de l'Assemblée nationale, sur le bilan du transfert aux régions de la gestion de ces fonds européens. Ce rapport est paru en mai dernier.

Nous avons travaillé sur quatre régions : la Bretagne, les Hauts-de-France, l'Auvergne-Rhône-Alpes, et la Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui représentent près d'un tiers de ces fonds européens. Ces travaux ont essentiellement été menés à l'automne dernier.

Nous avons, d'une part, retracé le déroulement de la mise en place de la programmation 2014-2020, assez compliquée, en raison d'un problème d'organisation et d'un manque d'anticipation. Nous avons, d'autre part, voulu prendre une photographie, à un instant t, de l'état de cette décentralisation des fonds européens aux régions. En troisième lieu, l'idée était d'en tirer des recommandations, ce qui est le but de l'exercice.

À l'automne 2012, une décision de principe, l'acte III de la décentralisation, a été prise. Il s'agissait de placer ces fonds européens dans la corbeille de décentralisation, décision purement politique, mais qui s'est ensuite traduite, dans les faits, par de longs délais pour prendre les textes d'application, début 2014, voire 2015 et 2016 pour les derniers textes.

Ces discussions ont été très complexes, les négociations se sont avérées difficiles sur les transferts d'effectifs, et les systèmes d'information ont été victimes d'une grande négligence à partir des premières recommandations qui avaient été formulées sur le sujet, et qui avaient alors privilégié la logistique. Or, ces systèmes d'information sont véritablement indispensables, mais n'étaient pas du tout adaptés à une gestion décentralisée. Ils ont tardé à l'être, mais le sont tous plus ou moins désormais.

Actuellement, le FEADER est celui des quatre fonds qui pose le plus de questions, après avoir été décentralisé à 97 %. Le FSE, quant à lui, été divisé en trois, l'État en conservant un tiers, délégant aux départements un autre tiers et donnant autorité aux régions pour un dernier tiers. Les résultats montrent que cette gestion fonctionne relativement bien.

En revanche, le FEADER n'a pas été jusqu'au bout de sa démarche ; c'est pourquoi nous avons qualifié ce transfert de gestion en « trompe-l'oeil ». En effet, ce transfert de gestion souffre d'un manque de clarté dans sa répartition. En principe, la gestion du FEADER devait être totalement transférée aux régions, mais, en réalité, l'État conserve de nombreuses prérogatives, notamment par les cofinancements et par un cadre national facteur de complexité, et non de simplification, comme il pourrait l'être. Il persiste également un enchevêtrement de compétences entre trois parties, à savoir l'État, l'Agence de services et de paiement (ASP), organisme payeur, et les régions, désormais autorités de gestion.

Des comparaisons internationales ont été réalisées, notamment avec l'Espagne et l'Allemagne, pays largement décentralisés et fédéraux, et dont le cadre national est totalement négocié entre le niveau central et le niveau décentralisé, ce qui permet une certaine simplification par l'adoption commune de critères de mesure. Il ne s'agit pas du tout de la limitation des libertés des administrations locales, mais bien du produit d'une concertation, ce qui a manqué en France, où nous avons en réalité additionné la complexité de la réglementation européenne et la diversité extrême des mesures locales, et ce sans réel cadrage. En France, le cadre national est donc presque inexistant, et entraîne une forte complexité. Par exemple, pour les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), il existe près de 9 000 types de mesures différentes, ce qui est difficilement gérable.

Pourtant, sur la question de l'enchevêtrement des compétences, des conventions tripartites ont certes été signées, mais les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) restent finalement sous une triple autorité : autorité hiérarchique du ministère de l'agriculture, autorité fonctionnelle de l'ASP, qui conserve l'instruction des dossiers FEADER, et autorité de gestion des régions.

Cette situation a conduit à un manque de clarté totale dans la responsabilité financière, puisqu'en cas d'éventuelles sanctions, à ce jour, nous ne savons pas qui serait responsable d'un hypothétique refus de paiement.

À cela s'ajoutait un transfert assez limité de l'expertise étatique vers les régions, puisque seuls deux postes en moyenne étaient transférés de l'État par région sur le FEADER, postes qui restaient de surcroît vacants pour un grand nombre d'entre eux. Face à un sujet considérablement technique, les régions ont grandement peiné à s'en saisir au démarrage, notamment pour celles n'ayant pas bénéficié de ces transferts d'expertise.

Aujourd'hui, nous pouvons toutefois affirmer que les régions se sont globalement dotées des moyens nécessaires, et ont beaucoup recruté. En revanche, il persiste des dysfonctionnements majeurs au niveau des deux systèmes d'information du FEADER, dont Osiris, système déficient et non adapté à une gestion décentralisée, puisque son seul objectif est la sécurité juridique au détriment de la facilité d'utilisation.

En dehors de la difficulté de gestion du FEADER, d'autres constats ont émergé, sur les aspects budgétaires et financiers. Nous avons constaté que les flux financiers et les préfinancements venant de la Commission européenne ne sont ni spécialisés ni provisionnés, et sont utilisés par les régions pour leurs dépenses générales, ce qui laisse présager d'un prochain retournement de trésorerie. Nous avons signalé cette observation aux régions qui devront donc veiller à prévoir ce besoin de trésorerie. Cette question devrait pouvoir être anticipée, puisque les fonds européens ne pèsent pas beaucoup sur le budget des régions.

L'Assemblée nationale avait, par ailleurs, retenu une question particulière sur la contractualisation dite « Cahors » relative au plafonnement des dépenses de fonctionnement des principales collectivités territoriales. Nous avons constaté, à l'heure actuelle, que ce risque restait très potentiel et théorique. Le fonds européen le plus impacté par ces dépenses de fonctionnement plafonnées est le FSE, et le problème ne concernerait que les contreparties nationales, puisque, dans le cadre de ces contrats, il est acquis que les fonds européens ne devraient pas avoir d'incidence. Mais il est vrai que des contraintes nationales persistent, même limitées, ce qui pourrait, en théorie, conduire à une moindre mobilisation, essentiellement du FSE. En revanche, cela ne concerne pas du tout le FEADER, qui ne transite pas par le budget des régions.

Enfin, nous avons constaté que l'articulation entre les FESI et les contrats de plan État-région a régressé ; la coordination entre ces fonds est insuffisante, ce qui nous semble dommage.

En termes de performance, les résultats de la décentralisation des fonds européens montrent que la France se situe dans la moyenne en Europe, d'après les chiffres de fin 2018.

La moyenne européenne est elle-même relativement médiocre. Nous nous sommes également comparés aux pays les plus performants et exemplaires, à savoir la Finlande et l'Irlande, pays affichant d'assez fortes particularités.

Malgré les difficultés liées à ces transferts de gestion, et d'autres difficultés encore, la France reste donc dans la moyenne européenne. Cela étant, le transfert de gestion aux régions a multiplié le nombre de programmes opérationnels (ou de programmes de développement rural s'agissant du FEADER) ; or, plus il existe de programmes opérationnels, plus les coûts de gestion sont élevés. Il se trouve que la France est le pays d'Europe qui détient le plus de programmes opérationnels et présente donc des coûts de gestion relativement élevés, constat qui motive l'une de nos recommandations visant à essayer de limiter le nombre de ces programmes, auxquels sont attachées des obligations de contrôles très lourdes, nécessitant des recrutements assez importants.

D'une manière générale, on ne peut que répéter que les aides européennes ne sont pas vouées à financer de petits dossiers, mais sont relativement complexes et doivent donc être concentrées, le plus possible, sur des projets d'ampleur financière forte, du moins en termes d'efficience. Les projets d'importance moindre peuvent, quant à eux, être réorientés vers des financements nationaux.

Nous avons, enfin, réalisé un sondage auprès de 700 bénéficiaires du FEDER et du FSE pour savoir s'ils avaient remarqué des différences par rapport à la programmation précédente depuis la gestion des fonds européens par les régions. D'après les résultats, il n'y a pas eu de différence dans la perception des bénéficiaires, mais les délais de paiement sont perçus comme excessifs et sont préjudiciables, notamment aux plus petits porteurs de projets, qui n'ont pas les capacités d'assumer les financements et ces retards de paiement.

Plusieurs conclusions ont donc été tirées de cette enquête. Il faut anticiper le plus possible la future programmation des fonds européens, dont le démarrage aura lieu dans dix-huit mois. Le plus important n'est pas tant la répartition institutionnelle plus ou moins décentralisée, que la capacité pour la France à définir des priorités et, surtout, parvenir à des coopérations entre différents niveaux d'administration, en tous les cas entre l'État et les régions, coopération qui a souvent fait défaut et qui a plutôt été remplacée par une concurrence.

Par ailleurs, il convient de toucher le moins possible au fonctionnement de cette architecture de gestion institutionnelle, car tout changement dans la répartition des compétences représente un coût considérable mobilise des énergies importantes au détriment de la gestion des fonds et entraîne retards et délais de paiement accrus. Ces ressources et ces énergies sont certainement mieux employées dans l'accompagnement des porteurs de projets et l'instruction de leurs projets.

Néanmoins, le FEADER, dont la répartition des compétences n'est pas nette, doit absolument être clarifié selon trois scénarios alternatifs. Sans présager de la décision finale, qui sera politique et qui n'appartient pas à une juridiction, nous avons toutefois identifié trois scénarios possibles.

Le premier scénario correspond à la proposition de la Commission européenne, qui consiste en une recentralisation totale du FEADER au profit d'une seule autorité de gestion. Ce scénario est possible, dans la mesure où il correspond à la situation existant dans 20 États membres sur 28, même si, pour le moment, en France, la demande n'a pas eu d'issue favorable. Deuxième scénario : ne pas toucher à la répartition actuelle, mais simplement améliorer le cadre national qui doit être décidé de manière concertée entre l'État et les régions et qui doit faire en sorte que les spécificités régionales soient prises en compte, sous réserve que cela n'aboutisse pas à une infinité de modulations, ingérable. Troisième scénario : procéder à une légère réorganisation des compétences entre l'État et les régions. Schématiquement, à l'État seraient dévolues les aides qualifiées de surfaciques, dans la mesure où l'État gère déjà les mesures surfaciques du FEAGA. Il pourrait donc être logique d'y ajouter les mesures surfaciques du FEADER, répondant à une logique similaire, gérées selon les mêmes systèmes d'information et en appelant à une certaine solidarité nationale (indemnités compensatoires de handicap naturel -ICHN-, mesures agro-environnementales et climatiques - MAEC - et aides à l'agriculture biologique). Les régions conserveraient, quant à elles, la gestion des mesures en faveur des investissements dans les exploitations, l'installation des jeunes agriculteurs, le développement d'activités rurales, les services et la qualité de vie en milieu rural, les mesures LEADER, etc.

J'en arrive à la conclusion. Plusieurs recommandations ont été émises : primo, anticiper dès maintenant les futurs systèmes d'information de la prochaine programmation, remplacer Osiris, interfacer tous les systèmes d'information afin d'avoir des moyens de pilotage et de suivi performants ; secundo, sur le plan financier, nous recommandons une plus grande transparence des flux de trésorerie en région, pour anticiper les aléas de trésorerie, éventuellement en sanctuarisant la trésorerie du FEDER et du FSE. Nous proposons d'encourager les portails et les guichets communs entre l'État et les régions dans la mesure du possible pour l'instruction des projets. Nous préconisons de rationaliser l'organisation de la gestion des fonds : il faut réduire, autant que possible, le nombre de programmes opérationnels, même si ce n'est pas toujours évident, pour diminuer les coûts de gestion et les risques ; fixer des priorités d'emploi des fonds européens en petit nombre et en fonction limitée du nombre de mesures, comme c'est le cas dans d'autres États membres mieux organisés ; fixer des seuils d'aide, dans la mesure où les aides européennes sont très compliquées à réaliser. Par ailleurs, il convient de clarifier l'architecture du FEADER. Enfin, il serait opportun de s'emparer des outils de simplification proposés par la Commission européenne.

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