Intervention de Jacques Garau

Mission d'information Sous-utilisation des fonds européens — Réunion du 10 juillet 2019 à 15h00
Audition de M. Jacques Garau directeur général de cma france

Jacques Garau, directeur général de CMA France :

Les fonds européens sont importants pour notre réseau pour plusieurs raisons : ils apportent une aide financière aux artisans et vous avez rappelé dans vos propos introductifs l'importance de l'artisanat pour la vie des territoires. Nos artisans sont des acteurs économiques et assurent aussi des services de proximité.

Par ailleurs, les fonds européens permettent aux chambres des métiers et de l'artisanat de mettre en place une ingénierie spécifique à destination des artisans. Je souhaite le rappeler : la plupart de nos entreprises sont de petite taille - plus de 50 % d'entre elles sont unipersonnelles. Elles ne disposent pas de l'ingénierie ni des compétences internes d'une grande entreprise pour mobiliser les fonds européens.

Près de 1 330 projets ont été cofinancés par les fonds structurels pour accompagner la création et le développement des entreprises artisanales ou former des apprentis, des salariés, ainsi que des dirigeants de notre secteur. L'ensemble de ces projets représentent un montant de 384 millions d'euros, dont 177 millions en provenance du Fonds social européen (FSE) ou du Fonds européen de développement régional (FEDER).

Aujourd'hui, nous sommes inquiets pour la prochaine programmation en raison du Brexit, mais aussi de la possible réaffectation des fonds. Or, nos territoires ne sont pas tous des métropoles ou de grandes aires urbaines. Certains territoires ont besoin d'être accompagnés par les fonds structurels.

Quel est le rôle des chambres de métiers et de l'artisanat ? Comme vous l'avez souligné, Madame la Présidente, nous sommes la première entreprise de France, mais avec un nombre important de succursales. Il est donc nécessaire pour les artisans de pouvoir se sentir soutenus par un organisme qui puisse les accompagner. En outre, les chambres de métiers et de l'artisanat éclairent les collectivités territoriales sur la réalité de l'artisanat sur leur territoire. La situation n'est pas la même à Toulouse et à Bar-le-Duc. Notre capacité d'analyse des territoires et de l'évolution des métiers est importante.

Entre 2007 et 2013, environ 20 millions d'euros ont été mobilisés chaque année au titre des fonds européens. Entre 2014 et 2019, ce montant annuel s'élevait à plus de 23 millions d'euros. Le déficit d'ingénierie reste cependant important. Le 1er janvier 2021, nous régionalisons notre réseau, ce qui devra nous permettre de disposer de capacités d'ingénierie ne pouvant exister au niveau départemental. Bien évidemment, nous gardons toutes nos chambres départementales qui nous permettent d'avoir plus de 300 points de contact sur le territoire.

Nous souhaitons renforcer la présence des développeurs économiques. Pour cela des économies sont nécessaires sur les fonctions support. En outre, cette réforme permettra de disposer d'une chambre régionale capable de répondre aux attentes du conseil régional, autorité de gestion des fonds européens, et de lui proposer une ingénierie pouvant soutenir des projets. L'État l'appelle d'ailleurs de ses voeux. Dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, a été introduite l'obligation pour le conseil régional de conventionner avec les chambres consulaires pour permettre une cohérence des actions avec le projet de schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation, qui constitue le cadre du développement économique dans les régions. Aussi nous restructurons-nous pour offrir une meilleure offre de services.

Lorsque l'on observe la mobilisation des fonds européens et la façon dont les conseils régionaux pensent à l'artisanat, force est de constater que sa prise en considération est marginale. L'artisanat n'est pas vu comme une filière. La loi PACTE a créé une filière artisanale, avec des entreprises qui se créent en tant qu'entreprise artisanale - c'est-à-dire avec moins de 11 salariés, mais qui pourront aller jusqu'à 250 salariés. Le besoin de formation, de développement économique, d'exportation, et donc de fonds européens, sera plus important pour les entreprises qui ont un poids accru. Certes, toutes nos entreprises ne sont pas dans cette situation, mais nous avons tous des « pépites » dans nos départements.

Outre l'ingénierie, le besoin de cofinancement est réel, mais peut très rarement être mobilisé par une entreprise artisanale seule. Nos entreprises ont besoin d'être accompagnées. En effet, l'usage des fonds européens est complexe - l'ancien secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR) que je suis ne prétendra pas le contraire - et une entreprise ne peut être laissée seule aux prises avec les problèmes de délai d'instruction ou de paiement.

Les chambres des métiers et de l'artisanat constituent donc un guichet unique pour solliciter des fonds, en jouant le rôle de back office des entreprises artisanales, en apportant du marketing, des services de ressources humaines, en créant des groupements d'entreprises. Nous sommes légitimes pour jouer ce rôle d'interface entre les entreprises artisanales et les enjeux territoriaux définis par chaque conseil régional.

Dans la prochaine programmation et la future architecture de gestion, les chambres des métiers et de l'artisanat pourraient être positionnées en appui au montage de projets des entreprises artisanales afin de faire face à la complexité administrative. Nous avons également un rôle de conseil auprès des autorités de gestion. Je trace ainsi un parallèle entre la montée en puissance du fait régional et la capacité que nous aurons à professionnaliser certaines fonctions afin de répondre aux besoins de l'autorité de gestion, dans l'analyse des territoires, puis dans la mise en oeuvre des programmes.

Certes, nous avons déjà ce rôle de conseil aujourd'hui, mais nous travaillons davantage avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi qu'avec les conseils régionaux. Aussi, dans la prochaine programmation, les régions doivent intégrer des financements spécifiques à l'artisanat, en tant que filière et pas uniquement sous l'aspect de la revitalisation d'un territoire. Certains territoires ont des spécificités : l'aviation dans la région toulousaine, la construction navale autour de Saint-Nazaire. Les régions doivent s'en emparer et mettre en place des fonds dédiés. Elles doivent également apposer des indicateurs de réalisation appropriés. Dans cette optique, les règles de gestion pour les petites entreprises doivent être simplifiées.

La charge administrative est un véritable sujet pour nos bénéficiaires. Il existe pourtant de bonnes pratiques, comme la création d'un dossier unique pour l'ensemble des bailleurs de fonds, le fait de supprimer ou de limiter les attestations de minimis pour les faibles montants ou encore la forfaitisation. Ce taux pourrait d'ailleurs être augmenté afin d'atteindre 50 %. Le risque pour l'autorité de gestion est en effet faible. Ainsi, un ensemble de règles plus adaptées à l'entreprise artisanale pourraient être adoptées. Nous ferons des propositions en ce sens. Nous proposons par exemple d'intégrer dans le budget le montant des recettes liées à la réalisation de l'opération au montant des dépenses éligibles, base sur laquelle est calculée la subvention.

En outre, sur le plan juridique, il est important de clarifier la réglementation et la responsabilité des organismes gestionnaires. L'entreprise a besoin d'un cadre adapté, avec des modalités de contrôle connu, respecté par le bénéficiaire des fonds et le contrôleur. Par ailleurs, il faut pérenniser une interprétation stable des règles sur le territoire.

Permettez-moi de reprendre mon ancienne casquette de SGAR. Dans la région Grand Est, nous avons dû harmoniser les règles de trois conseils régionaux, trois programmes opérationnels et trouver des règles stables qui s'appliquent à chaque territoire sur la durée de la programmation, ne laissant pas de marge d'interprétation au moment même où les corps de contrôle étaient en pleine mutation. Je le reconnais, la programmation actuelle a été difficile. Être autorité de gestion n'est pas une compétence qui s'acquiert en un jour, mais, pour la prochaine programmation, nous devons nous fixer comme objectif la définition de règles stables facilitant leur appropriation par les bénéficiaires.

Il pourrait également être intéressant de créer une chambre partiaire de conciliation, accessible aux porteurs de projets dans les phases d'instruction et de contrôle. Elle permettrait des échanges entre l'autorité de gestion et les bénéficiaires, et le respect des conventions d'attribution signées entre le bénéficiaire et l'autorité de gestion. Les chambres de métiers et de l'artisanat peuvent être le pivot de ce type d'organisation. Les bénéficiaires pourraient faire appel des décisions prises par le service instructeur ou contrôleur, sans préjudice d'accès aux fonds européens par la suite. Il faut comprendre que l'on s'adresse à une entreprise artisanale.

Enfin, il faut être particulièrement vigilant sur les délais de paiement. Nous cherchons toujours à réduire les délais pour améliorer l'efficacité des programmes européens. Cela peut être fait par le système d'avances automatiques. Beaucoup de collectivités le font à la signature de la convention, à hauteur de 20 % du montant demandé ou par tranche dans la limite de 80 %. Le solde est versé après le contrôle du service fait.

Enfin, il faut des règles très claires permettant au porteur de projets d'évaluer la faisabilité de ce dernier grâce aux fonds européens. À défaut, il se tournera vers une autre source de financement ou, plus surement, il abandonnera son projet.

On peut également réfléchir à un élargissement des critères d'éligibilité des participants au titre du FSE et l'Initiative pour l'emploi des jeunes (IEJ) afin de prendre en compte un public considéré comme non prioritaire aujourd'hui.

Le déficit d'ingénierie des entreprises artisanales est un vrai problème. Les chambres de métiers et de l'artisanat devront jouer pleinement leur rôle, mobiliser les cofinancements et mettre en place un système de conventionnement permettant une notification rapide, simple et lisible pour tout le monde. Vous le savez, les fonds européens nécessitent une ingénierie qui est longue, chronophage. Il faut en tenir compte. Nous considérons que l'autorité de gestion se déresponsabilise en faisant porter au bénéficiaire tout le poids du contrôle, lorsqu'elle lui demande plusieurs fois les mêmes pièces justificatives. Pour INTERREG, la situation est pire encore car il y a plusieurs autorités, chacune ayant sa propre vision des programmes et des pièces à fournir. Nous devons collectivement nous améliorer.

Très récemment, nous avons participé à un appel à projet portant sur les jeunes en difficulté. Nos chambres, qui y consacrent un budget de 3,4 millions d'euros, et ont obtenu une subvention européenne de 3,1 millions d'euros, se sont engagées à accompagner 1 900 jeunes. Les métropoles ne sont pas les seuls territoires concernés. J'étais hier à Blois dans une chambre qui participe à ce projet intitulé Cap Artisanat. Elle a déjà identifié 62 jeunes à accompagner. Elle était très satisfaite du déploiement de ce projet. Plus on élargit le champ des publics cibles, plus on se conforme aux attentes de la Commission européenne.

En outre-mer, de très nombreux fonds européens sont disponibles. Toutefois, nous en captons trop peu. La Réunion y arrive bien car l'ingénierie y est excellente. Nous sommes en train de développer l'ingénierie des autres chambres. À Mayotte, les projets sont également importants. À La Réunion, la structuration de la filière du bâti tropical bénéficie d'une subvention du FEDER, avec un pôle d'innovation. Les collègues de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et de la Guadeloupe ont été heureux de profiter de l'expérience de ce pôle pour reconstruire leurs îles après les cyclones dont elles ont souffert. Les exemples sont nombreux.

Je n'oublie pas l'apprentissage. Les chambres mettent trop peu en valeur le programme Erasmus +, dont les budgets ont triplé. Nous utilisons le FSE pour financer les développeurs de l'apprentissage - ceux qui vont chercher des apprentis et des entreprises sur le terrain, dans une démarche commerciale. Le FSE est important car les conseils régionaux n'ont plus l'apprentissage dans leurs compétences obligatoires. Or, souvent, elles finançaient ces développeurs de l'apprentissage. Il va falloir que l'on prenne le relais. Les fonds structurels peuvent nous y aider. Sur la période 2016-2019, la subvention du FSE était de 1,7 million d'euros sur un budget de 2,8 millions d'euros. L'ex-chambre des métiers et de l'artisanat du Nord-Pas-de-Calais a sensibilité 20 000 entreprises et signé 4 900 contrats d'apprentissage en deux ans.

En conclusion, nous souhaitons nous positionner sur deux points : travailler à un outil financier adapté à l'entreprise artisanale, voire expérimenter la gestion de subventions globales dans le cadre d'une contractualisation spécifique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion