Tout d'abord, je vous remercie de m'avoir sollicité dans le cadre de cette mission. Comme vous l'avez évoqué, Monsieur le Président, je connais bien le domaine, puisque j'ai occupé le poste de sous-directeur du droit de la mer pendant quatre ans et, à ce titre, je représentais la France auprès de l'AIFM. Je suis actuellement ambassadeur de France en Jamaïque, donc le représentant bilatéral en Jamaïque et le représentant de la France auprès de l'AIFM. Les questions maritimes, de droit de la mer, et de protection de l'environnement marin me passionnent. Je suis donc très heureux aujourd'hui d'avoir cette discussion avec vous.
Avant de commencer, je souhaiterais préciser qu'en tant que Représentant de la France auprès de l'AIFM, je suis l'exécutant de la politique française, mais je n'en suis pas l'initiateur même si, avec mes collègues du Quai d'Orsay, nous entretenons un dialogue permanent sur toutes ces questions. Je suis donc ici à Kingston pour appliquer les instructions du gouvernement auprès de l'AIFM.
Je voudrais juste revenir sur la notion de patrimoine commun de l'humanité que vous avez présentée, Monsieur le Président, comme une notion utopique. Il faut nuancer un certain nombre d'expressions communes dans la presse : la « ruée vers les grands fonds marins », par exemple, car nous n'en sommes pas encore là aujourd'hui.
La notion de patrimoine commun de l'humanité provient du grand discours prononcé par Arvid Pardo devant les Nations unies en 1970. Elle a ensuite été déclinée, sur le plan juridique, par la convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM), plus communément appelée convention de Montego Bay. Cette notion de patrimoine commun de l'humanité des grands fonds marins s'applique aux minéraux et non aux organismes vivants. Ces minéraux sont de trois natures : les nodules polymétalliques, les encroûtements cobaltifères et les sulfures polymétalliques. Leur exploitation doit être réalisée au nom et au bénéfice de l'humanité tout entière. L'AIFM a été créée pour gérer ce patrimoine commun de l'humanité et interdire toute exploration ou exploitation libres par les États.
Il faut savoir que l'accès à la haute mer, c'est-à-dire à la zone maritime au-delà des zones économiques exclusives des États, est en principe libre tant pour la navigation que pour l'exploitation des ressources naturelles. La pêche en haute mer est donc libre. Ce statut pose un certain nombre de problèmes, notamment de gouvernance de la haute mer, qui seront traités lors du One Ocean Summit.
Les ressources minérales, placées sous le régime juridique du patrimoine commun de l'humanité, ne sont donc, quant à elle, pas accessibles à tous les États, bien qu'elles se trouvent en haute mer. Cette notion juridique permet d'interdire aux États, comme les États-Unis, par exemple, qui ont été les premiers à se lancer dans l'exploration, d'exploiter ces ressources de manière libre. Pour pouvoir d'abord explorer, puis à terme exploiter, les États doivent d'abord obtenir l'autorisation de l'AIFM. Ce premier garde-fou est essentiel contre une exploitation déraisonnée, non durable et débridée des ressources des grands fonds marins.
Je vous remercie pour les questions que vous m'avez envoyées, que je vais reprendre dans l'ordre.
La France dispose d'une expertise reconnue et de longue date. En effet, l'Ifremer a été l'un des pionniers de l'exploration des grands fonds marins, notamment des nodules polymétalliques dans la zone Clarion-Clipperton qui a fait grand bruit dans les années 1970. Lorsque j'étais enfant, j'ai reçu à Noël un demi-nodule qui est peut-être à l'origine de ma passion pour les questions maritimes et de droit de la mer...
La France est présente dans tous les organes de l'AIFM depuis sa mise en place en 1996. Elle est présente à l'assemblée, organe suprême qui valide les décisions du Conseil. Dès lors qu'un État a signé la convention de Montego Bay, il est membre de l'assemblée. De plus, la France a été continuellement présente au Conseil constitué de 36 membres répartis en cinq chambres. Le Conseil est l'organe décisionnel de l'AIFM. Il est renouvelé par élection tous les quatre ans. La France y a toujours été réélue et elle y exerce son influence politique en évaluant les différentes propositions qui sont émises. L'AIFM dispose encore de deux autres organes essentiels que sont la commission juridique et technique (CJT) et la commission des finances. La France est également présente au sein de ces deux commissions techniques depuis leur création.
Aujourd'hui, la CJT est composée de 30 membres, dont un expert français, Elie Jarmache. La CJT élabore tous les règlements de l'AIFM ? les trois règlements d'exploration existants et le futur règlement d'exploitation ? et joue également un rôle important de contrôle des contractants. Un État ou une société qui voudrait explorer les fonds marins doit être patronné par un État lié par la convention de Montego Bay. La France, par exemple, patronne l'Ifremer avec ses deux contrats d'exploration. Ce système de patronage implique de passer un contrat avec l'AIFM. Le rôle de la CJT est de rédiger ces contrats et d'en contrôler l'exécution. De plus, les États qui patronnent et les entreprises qui entreprennent l'exploration doivent remettre tous les ans un rapport à la CJT sur toutes leurs activités, y compris les dépenses financières mises en oeuvre. Ensuite, la CJT rédige également un rapport qui sera examiné par le Conseil.
Quant à la commission des finances, elle contrôle les finances de l'AIFM, dont les dépenses de secrétariat et le budget. Elle émet une recommandation au Conseil pour l'adoption du budget. Elle est également chargée de la rédaction des règles financières des contrats d'exploration et des futurs contrats d'exploitation et a commandé un rapport sur la question du partage équitable des bénéfices, notion qui découle de celle de patrimoine commun de l'humanité. Il est stipulé, dans la convention de Montego Bay, qu'une partie des revenus dégagés par l'exploitation devra être partagée par l'humanité tout entière et notamment les États en développement.
En tant que Représentant français à l'AIFM, je reçois mes instructions du ministère des Affaires étrangères. En effet, même si j'ai des contacts de travail réguliers avec le ministère de la Mer, c'est la Direction des affaires juridiques et la sous-direction du droit de la mer au Quai d'Orsay à Paris qui élaborent la synthèse des positions des différents ministères, dont celui de la Mer, celui de l'Environnement et Bercy, en charge des mines. La sous-direction du droit de la mer organise des réunions interministérielles rassemblant les différents ministères et parties prenantes, l'Ifremer ainsi que les chercheurs afin de préparer les instructions à partir desquelles je travaille avec mes collègues pour défendre les positions de la France au sein de l'AIFM.