Oui, les États océaniens sont très intéressés par la question, notamment Nauru, qui a déposé la première demande d'exploitation en juillet 2021. Les ressources de ces États proviennent essentiellement de la mer. Ils ont donc un intérêt tout particulier à ce que l'exploitation puisse commencer dans les meilleurs délais, puisqu'ils seront parmi les premiers bénéficiaires de cette exploitation.
Certains groupes d'États ont des positions quelque peu ambiguës, notamment les États d'Amérique centrale. Par exemple, le Costa Rica, qui porte une très grande attention à toutes les questions de protection de l'environnement, essaye de faire flèche de tout bois au sein de l'AIFM pour retarder le processus d'adoption du règlement d'exploitation. Le Chili, en revanche, y est plutôt favorable puisqu'il sera l'un des premiers bénéficiaires de l'exploitation si celle-ci commence par les nodules de la zone de Clarion-Clipperton, qui seront très probablement débarqués sur la côte ouest du Pacifique.
Quelques nuances sont donc à noter mais, globalement, la répartition en trois grands groupes correspond à la réalité.
Par ailleurs, il existe un groupe informel, dit groupe des investisseurs-pionniers, réunissant les sept premiers États qui ont lancé l'exploration des nodules polymétalliques dans les années 1970 : la France, l'Allemagne, la Corée, la Chine, la Russie, la Pologne et la Grande-Bretagne. Des réunions informelles entre investisseurs-pionniers ont lieu une fois par an à Kingston, car nous avons des intérêts communs. Ce fut notamment le cas, il y a cinq ans, lorsqu'il a fallu renouveler les premiers permis d'exploration. En effet, ces permis ne sont accordés, notamment pour les nodules, que pour une première période de quinze ans. Ensuite, ils sont renouvelables tous les cinq ans. À l'issue de chaque période, une revue générale est réalisée par la commission juridique et technique, suivie d'une approbation par le Conseil. Si ce dernier considère que les États n'ont pas rempli leurs obligations en termes d'exploration, de protection de l'environnement, de renforcement des capacités des États en développement etc., le renouvellement peut être refusé. Il y a cinq ans, lors de ma dernière année en tant que sous-directeur, le renouvellement de ces premiers contrats au bout de quinze ans, notamment du contrat sur les nodules de l'Ifremer, a été extrêmement compliqué à obtenir, car un certain nombre d'États nous ont reproché, notamment au sein du G77, de n'avoir pas été assez vite dans l'exploration et de ne pas commencer l'exploitation assez rapidement. Le groupe des investisseurs-pionniers a alors été amené à expliquer les raisons pour lesquelles l'exploitation n'avait pas encore commencé.
Ces positions ont varié avec le temps. En effet, la période de cinq ans étant écoulée, nos contrats ont dû être à nouveau renouvelés. A la réunion plénière de l'automne 2021, je m'attendais donc encore à une négociation difficile, comme cinq ans auparavant mais, finalement, le renouvellement a été acquis au sein du Conseil très rapidement et sans aucune polémique. La position des États du G77 avait donc évolué. Ils ont compris que l'exploitation des grands fonds marins n'était pas encore mûre sur les plans technique, financier et juridique.
Les principaux partenaires de la France au sein de l'AIFM sont des États membres de l'Union européenne comme la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne. Toutefois, sur la trentaine d'ambassades étrangères ici à Kingston où l'ambassadeur bilatéral est aussi le représentant auprès de l'AIFM, peu s'intéressent à ce sujet si particulier et si juridique, souvent géré entièrement par les capitales. Mon cas est particulier car j'étais sous-directeur du droit de la mer et je connaissais déjà bien ces questions qui m'intéressent tout particulièrement. Je suis donc très actif et, lorsque mes collègues de Paris ne peuvent pas venir à Kingston, je peux me charger du dossier.
Les États-Unis n'ont pas ratifié la convention de Montego Bay. Donc, ils ne sont pas membres de l'assemblée. En revanche, ils sont observateurs et peuvent s'y exprimer. Au Conseil, ils sont présents via un accord avec l'Italie, qui exprime les positions des États-Unis. Néanmoins, les États-Unis sont bien souvent les premiers défenseurs de la convention de Montego Bay dans le monde, notamment en mer de Chine. Alors qu'ils pourraient en théorie se lancer dans l'exploration et dans l'exploitation, ils s'en abstiennent et respectent toutes les dispositions de la CNUDM.
L'Union européenne n'est pas présente au Conseil et s'exprime très peu à l'assemblée. Cette année, avant la réunion de novembre, elle a voulu prendre le lead sur ces questions, comme elle l'avait fait dans la négociation sur la Convention cadre sur la protection de la biodiversité marine au-delà des zones de juridiction nationale (BBNJ). Elle a donc tenté de s'exprimer au nom des États membres, mais cette tentative a été rejetée par les États membres et par le service juridique du Conseil.