En règle générale, de nombreux États exploitent déjà les ressources de leurs ZEE, notamment le pétrole. De nombreux États côtiers, comme la Norvège, exploitent leurs ressources pétrolières.
Quant aux ressources minérales, les technologies ne sont pas encore tout à fait au point. À ce jour, un État a donné des permis d'exploitation dans sa ZEE à une société canado-australienne : il s'agit de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
En ce qui concerne les techniques d'exploitation, il faut distinguer deux grands types de ressources.
Les nodules polymétalliques ressemblent à des boules de pétanque posées sur les plaines abyssales immenses du Pacifique-Sud. Elles sont recouvertes de sédiments marins et forment la zone de fracture de Clarion-Clipperton, située près de notre zone économique de Clipperton. Lors des tentatives de ramassage, des panaches de sédiments assez importants sont créés et se déploient sur de très grandes surfaces. L'impact sur l'environnement est donc relativement important en termes de surface. Quarante ans de recherches de l'Ifremer ont permis de découvrir que les nodules pouvaient être ramassés avec des sortes de grands râteaux, de grands aspirateurs. Ensuite, la difficulté technique consiste à faire remonter à la surface ces nodules se trouvant à quatre ou cinq mille mètres de profondeur.
La vie reprend de manière extrêmement lente à ces profondeurs. L'impact sur l'environnement étant assez important, un plan de gestion de l'environnement a été adopté sur la zone Clarion-Clipperton en 2012. Ce plan définit neuf zones sur lesquelles aucune exploitation ni aucune exploration ne sont autorisées. Deux zones supplémentaires de 400 kilomètres carrés ont été ajoutées lors de la dernière session de l'AIFM. Ces zones serviront de zones témoins et sont également des zones de protection dans lesquelles se trouvent des habitats benthiques à préserver. Ces zones témoins permettront à l'AIFM, qui a aussi des pouvoirs d'inspection, d'évaluer l'impact sur l'environnement. L'AIFM détient le pouvoir, à travers le Conseil, d'interdire ou de stopper les futures exploitations si elle estime que les impacts sur l'environnement sont excessifs.
Les encroûtements cobaltifères et les sulfures polymétalliques se trouvent, eux, sur des zones beaucoup plus restreintes. Il s'agit de zones de quelques centaines de mètres carrés où l'exploitation a moins d'impact sur l'environnement en termes de surface.
Un travail considérable est réalisé en matière de normes d'exploitation. Une grande partie du travail de l'AIFM concerne la protection du milieu marin. Tout d'abord, les contractants, les États ou les entreprises ayant actuellement des contrats d'exploration sont obligés d'effectuer des recherches sur la faune et la flore se trouvant dans leur zone d'exploration. Ensuite, toutes les données sont collectées par l'AIFM, qui les met à la disposition générale, ouverte et gratuite de toute la communauté scientifique. Sans cette exploration, nous n'aurions pas les données scientifiques sur l'environnement dont nous disposons aujourd'hui, car aller chercher des données au fond de la mer coûte très cher. Ce rôle n'est jamais mentionné notamment par les ONG qui sont toutes contre l'exploration et l'exploitation future. Or, sans le travail réalisé par l'AIFM, nous n'aurions pas ces connaissances. Ensuite, tout État ou toute entreprise qui entreprend l'exploration doit définir un plan de gestion de l'environnement. Dans ce plan de gestion de l'environnement, l'État ou l'entreprise doit d'abord décrire l'environnement exploré et, ensuite, évaluer l'impact de ses activités sur cet environnement. Un rapport, détaillant de manière extrêmement précise les impacts sur l'environnement, doit être remis tous les ans.
L'AIFM est actuellement présidée par Kamina Johnson Smith, ministre des Affaires étrangères jamaïcaine. Il faut savoir que la présidence de l'assemblée est tournante et qu'un État différent préside chaque année. La Jamaïque étant l'État hôte, elle est devenue Présidente à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de l'AIFM. Elle a alors déclaré qu'il fallait préparer « prudemment » et « urgemment » l'exploitation minière de la zone : « prudemment », parce que l'Autorité n'autorisera pas l'exploitation si toutes les précautions environnementales ne sont pas prises ; et « urgemment », parce que Nauru a déposé en juillet 2021 une demande de permis d'exploitation et non d'exploration.
L'AIFM ne s'était pas fixé de date butoir pour l'adoption de son règlement d'exploitation, puisqu'aucun État n'avait émis de demande et que les technologies n'étaient pas encore au point. Remonter des boules de pétanque sur cinq kilomètres de hauteur en faisant en sorte que les panaches de sédiments ne soient pas trop importants se révèle extrêmement compliqué. Les matériaux sont mis à rude épreuve et les technologies sont coûteuses. À ce jour, les entreprises et les États les plus avancés ne possèdent que des démonstrateurs, c'est-à-dire des prototypes à l'échelle un demi pour aller ramasser des nodules ou prélever des encroûtements cobaltifères. En outre, les conditions financières de l'exploitation ne sont pas remplies. L'exploitation des ressources minérales est trop onéreuse, par rapport à l'exploitation des ressources terrestres, beaucoup plus faciles d'accès. Les mines de terres rares à ciel ouvert sont faciles à exploiter. Exploiter les minéraux de la Zone n'est, en revanche, pas rentable économiquement. C'est la raison pour laquelle l'AIFM prend le temps qu'il faut pour établir un règlement d'exploitation tout à fait abouti.
La demande d'exploitation déposée par Nauru a toutefois eu l'effet d'un coup de tonnerre. Nauru, l'un des plus petits États au monde, a complètement exploité son guano. C'est un pays sinistré du point de vue de l'environnement. Nauru patronne une société canadienne et a donc déposé un permis d'exploitation. Or l'une des dispositions de la convention de Montego Bay stipule que, si un règlement d'exploitation n'est pas encore adopté mais qu'un État dépose une demande d'exploitation, le règlement doit être adopté dans les deux ans, d'où cette date de 2023 indiquée par Madame la ministre de la Mer. Cette demande a été déposée en juillet 2021. Donc, en principe, le règlement serait censé être adopté en 2023. Pour autant, le sujet a été débattu fin 2021, mais pas de manière conclusive. La convention de Montego Bay stipule également que le plan de travail d'exploitation doit être adopté de manière temporaire, mais ces dispositions sont extrêmement vagues. Même si le règlement n'est pas encore adopté, de nombreux arguments permettront de faire reculer cette demande. Sans consensus au sein du Conseil, aucune exploitation ne sera autorisée.
Vous avez évoqué l'approche évolutive de l'AIFM. L'accord de 1994 précise que les règles nécessaires à la conduite des activités menées dans la Zone doivent être adoptées au fur et à mesure que ces activités progressent. Cette disposition concerne surtout les institutions de l'AIFM. En effet, telle que prévue dans la convention de Montego Bay, l'AIFM devait être d'une toute autre ampleur d'un point de vue juridique et organisationnel. Or l'accord de 1994 a considérablement réduit les ambitions. Aujourd'hui, l'AIFM emploie une quarantaine de fonctionnaires internationaux, alors qu'en 1982, lorsque la convention a été signée, les États du G77 imaginaient qu'au moins cinq mille fonctionnaires internationaux seraient présents à Kingston. L'AIFM ne grossira donc qu'en fonction de l'évolution de l'exploration, puis de l'exploitation. Un certain nombre d'institutions de l'AIFM n'ont pas encore été mises en place, notamment l'Entreprise, qui était censée, elle aussi, pouvoir se livrer à de l'exploitation. Nous avons effectivement une approche évolutive et sommes attentifs à ce que les ressources des États soient utilisées à bon escient par l'AIFM.
Sur les questions environnementales, que j'ai déjà évoquées, nous approuvons et proposons toute mesure en faveur de la protection de l'environnement, comme l'adoption de deux nouvelles zones de protection environnementale de quatre cents kilomètres carrés dans la zone de Clarion-Clipperton, où l'exploration et l'exploitation des nodules sont interdites.
Vous avez raison au sujet du principe de précaution : il est inscrit noir sur blanc dans tous les règlements de l'AIFM.
Vous évoquez ensuite la question des plans de gestion de l'environnement. Celui de la zone de Clarion-Clipperton a été adopté en 2012 et d'autres plans de gestion de l'environnement sont en préparation, notamment pour la ride médio-atlantique, où l'on trouve des encroûtements cobaltifères, donc des ressources qui sont beaucoup plus circonscrites en termes de surface. Régulièrement, l'AIFM organise des ateliers dans lesquels les scientifiques se réunissent, étudient les données mises à disposition par les États ou les entreprises qui explorent ces ressources afin de pouvoir élaborer ces plans de gestion de l'environnement.
Concernant le principe pollueur-payeur, il existe bien au sein des règlements. Les États qui patronnent les contractants ont, eux-mêmes, une responsabilité en termes de protection de l'environnement. Le tribunal international du droit de la mer de Hambourg a émis un avis à ce sujet. Au sein de ce tribunal international du droit de la mer, existe une chambre spécifique pour le règlement des différends relatifs aux grands fonds marins. Donc, le juge international peut aussi avoir son mot à dire sur l'exploration et sur la future exploitation et notamment sur les conditions environnementales dans lesquelles elles se déroulent. En 2011, l'AIFM a demandé un avis consultatif à ce tribunal pour savoir quel était la nature et l'étendue de la responsabilité des États patronnant des contractants en cas d'atteinte majeure à l'environnement marin. Les États qui patronnent doivent adopter des lois et règlements internes afin de faire respecter les règlements internationaux mis en place par l'AIFM. De manière très concrète, l'État qui patronne l'Ifremer doit s'assurer que celui-ci respecte toutes les dispositions des règlements de l'AIFM et notamment en matière de protection de l'environnement marin. Si l'État a pris toutes les dispositions nécessaires et que le contractant est coupable d'une atteinte à l'environnement marin, c'est le contractant qui en subira les conséquences. En revanche, si l'État n'a pas pris toutes les dispositions nécessaires pour faire respecter les lois et règlements de l'AIFM alors l'État peut, lui-même, être mis en cause pour ces atteintes à l'environnement. J'ajoute que dans ces règlements, l'AIFM a aussi un pouvoir de contrôle et d'inspection. Aujourd'hui, un principe de bonne foi prévaut dans les relations internationales. Lorsque les contractants remettent leur rapport annuel sur l'exploration, nous leur faisons confiance et ces rapports sont examinés par la commission juridique et technique. Si un doute subsiste, l'AIFM pourrait envoyer des inspecteurs pour se rendre compte par eux-mêmes de la manière dont les contractants mettent en oeuvre leurs obligations relatives à la protection de l'environnement marin, mais aussi à la sécurité de la navigation et à la sécurité de la vie humaine.
Nous commençons à discuter sérieusement du modèle financier. Comme les contractants exploiteront un patrimoine commun à l'humanité, une partie des bénéfices de l'exploitation devra revenir à l'humanité tout entière. Cette partie des bénéfices représente les bénéfices restants après déduction des dépenses de fonctionnement de l'AIFM et du bénéfice accordé aux contractants.
Les bénéfices restants pourraient être partagés entre tous les États, mais la convention de Montego Bay stipule que les bénéfices sont destinés en priorité aux États en développement. Trois grands modèles de répartition de ces bénéfices, reposant sur des formules mathématiques extrêmement complexes, ont été proposés pour essayer de calculer la part des bénéfices allant à un État. Ce mode de répartition prend en compte le PIB, le PIB par habitant, la taille de la population, etc.
Un deuxième modèle de répartition des bénéfices, la répartition non financière, est privilégié par la France. La simple existence de l'AIFM et le fait que, pour explorer ou pour exploiter, un permis doive être obtenu représente déjà un bénéfice au nom de l'humanité, car il empêche une ruée sur les ressources minérales. Si la notion de patrimoine commun de l'humanité avait été appliquée aux poissons en haute mer, des États comme la Chine ou la Corée seraient obligés de demander un permis à l'AIFM. Toutes les mesures de protection de l'environnement marin bénéficient ainsi à l'humanité tout entière. Les contractants qui explorent aujourd'hui sont obligés de partager leurs connaissances. Une énorme base de données sur les écosystèmes marins est constituée par l'AIFM auprès des contractants.
De plus, le renforcement des capacités des pays en développement oblige les contractants à offrir des opportunités à des scientifiques de ces pays. Régulièrement, l'Ifremer propose ainsi des places dans ses laboratoires ou sur ses bateaux, sous forme de bourses, à des scientifiques de pays en développement, qui autrement ne pourraient pas participer à des campagnes de cette sorte.
Nous estimons qu'avant la répartition monétaire, il est important de mettre l'accent sur la répartition des bénéfices non monétaires en prenant en compte l'environnement marin comme un bien public mondial ainsi que le renforcement des capacités des États en développement.
Par ailleurs, la création d'un fonds pour le développement durable dans le domaine maritime constitue une idée tout à fait intéressante.