Quels sont, au cours de cette période, les grands éléments de rupture, mais aussi les éléments de continuité, que l'on peut discerner dans le traitement judiciaire des mineurs ? L'ordonnance de 1945 a-t-elle marqué une rupture et ses grands principes sont-ils toujours d'actualité ?
Les grands moments de rupture et de continuité font partie de l'histoire du traitement judiciaire des mineurs depuis le XIXe siècle. Le regard que la société a posé sur l'enfance depuis deux siècles oscille entre une peur de la jeunesse et une volonté de protéger ce qui demeure une promesse pour la société. Ce regard est corrélé avec la démographie : en 1918, suite au désastre démographique, la jeunesse devient une rareté qu'il faut protéger et les jeunes criminels, auparavant mis en exergue par la presse avant-guerre, disparaissent des unes. Si les adolescents n'ont que très peu changé durant l'histoire, le regard sur leurs difficultés a, quant à lui, évolué.
L'idée que l'enfance doit faire l'objet d'un pari éducatif est constante chez les philanthropes du XVIIIe siècle, les penseurs du XIXe siècle et les pédagogues d'hier et aujourd'hui. Certes, une fois l'éducatif posé comme un incontournable, les modalités de sa réalisation peuvent changer. À une volonté initiale d'innovation et d'accueil spécifique des enfants va se substituer la création d'institutions analogues à celles des majeurs, à l'instar de l'évolution de la Petite Roquette, première prison pour enfants.
La question de l'enfermement est continue. La France n'est jamais sortie de l'idée de la nécessité d'enfermer les enfants ayant des problèmes avec la justice. Très régulièrement, la responsabilisation à acquérir pour les plus jeunes est également invoquée.
L'ordonnance de 1945 s'inscrit dans la continuité des réflexions conduites depuis le XIXe siècle pour imaginer une justice des enfants spécifiques. Elle en constitue même l'aboutissement, après avoir été préparée par l'ordonnance de 1942. Cette ordonnance est un moment symbolique, intervenant avec la création de nouveaux métiers comme le juge des enfants et les éducateurs. En outre, l'ordonnance de 1958, en conférant à la magistrature des enfants une double compétence pénale et civile, fait entrer la protection des enfants dans le champ de la justice des enfants, la société les considérant en danger. C'est bien là une rupture dans l'ordre judiciaire et dans la perception qu'on avait, jusqu'alors, de ces enfants.
La rupture plus marquante se déroulerait durant les années 1970. La philosophie du préambule de l'ordonnance de 1945 est réellement appliquée au quotidien auprès des jeunes, durant ce mouvement très particulier de la fin des Trente Glorieuses.
Enfin, aujourd'hui, le principe de l'éducatif demeure. Cependant, depuis la fin des années 1990, la France a repris peur de sa jeunesse, dans un contexte de montée des individualismes. Les principes de l'ordonnance semblent moins bien compris par l'opinion publique, qui y voit une forme de laxisme, alors que la justice française des mineurs, qui autorisait la peine de mort jusqu'en 1980, reste l'une des plus punitives d'Europe.