Intervention de Mathias Gardet

Mission d'information réinsertion des mineurs enfermés — Réunion du 11 avril 2018 à 15h30
Audition de Mme Véronique Blanchard historienne spécialiste de la justice des mineurs ancienne éducatrice enseignante à l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse

Mathias Gardet :

Certaines mesures devraient-elles être privilégiées, ou au contraire écartées, au regard des expériences passées?

Loin de nous prononcer sur les mesures à mettre en oeuvre, nous pouvons en revanche vous signaler les idées qui ont été pérennes durant deux siècles. L'éducation des jeunes revient à parier sur leur éducabilité d'enfant ou d'adolescent. Y renoncer revient à écarter la notion de minorité.

Une seconde dimension est plus politique : la marge de manoeuvre n'est pas toujours liée à la réalité de la violence vécue au quotidien par les populations. Ce décalage a été mis en exergue par un rapport sur la violence des jeunes, rédigé, en 1977, par Alain Peyrefitte, qui montrait que certaines personnes pouvaient se sentir oppressées par l'insécurité, quand bien même elles en étaient très éloignées.

Comment agir face à une demande sécuritaire de plus en plus forte, tandis que les mesures éducatives requièrent une action à long terme, dépassant les échéances électorales ? Il est manifeste que l'institution judiciaire des mineurs éprouve de réelles difficultés à se démarquer totalement de l'enfermement qui reste une constante, toujours présente en toile de fond. Cette réalité est mal connue du grand public qui fantasme sur la nécessité de la prison imposée aux mineurs, dès l'âge de 13 ans à partir de 1912. La présence des enfants en prison choque, y compris les personnes en faveur de la plus grande sévérité. L'institution judiciaire éprouve d'ailleurs des difficultés à caractériser l'enfermement des mineurs, comme en témoigne les changements d'appellation du quartier des mineurs - école de réforme, école de préservation, service ou centre de formation - dans la prison de Fresnes. En outre, les tensions sont plus fortes lorsque l'éventail des solutions proposées se réduit. À l'inverse, plus les solutions sont ouvertes, plus l'histoire démontre la possibilité d'apporter des solutions.

À quels moments et de quelle manière les apports des sciences sociales, de la criminologie ou de la psychiatrie ont-ils fait évoluer les modalités de prise en charge des mineurs ? Ces disciplines ont toujours été présentes dans les débats et elles ont influencé les décisions judiciaires, ainsi que les pratiques des professionnels du secteur.

L'exemple le plus ancien est constitué par la psychologie de l'homme criminel, qui considère que la délinquance juvénile constituerait un problème plus psychiatrique - relevant d'un cas médical et d'une forme d'hérédité maladive - que social. Cette perception conduit à essayer de détecter ce problème médical le plus tôt possible, en décelant d'éventuels pré-délinquants, ce qui revient à reconnaître une forme de présomption de culpabilité aux contours juridiques incertains. Une telle démarche n'a pas été sans susciter des dérives, comme l'eugénisme présent durant l'entre-deux-guerres.

Le second exemple est celui de la sociologie qui est présente très tôt, notamment chez les assistantes sociales. Dès les toutes premières écoles d'assistantes sociales, les sociologues interviennent et les assistantes sociales se dotent d'outils d'enquête performants qui ont permis de fournir des descriptions précises des configurations familiales. Certes, une dérive peut provenir d'une surinterprétation sociale déjà dénoncée par l'historien Louis Chevalier, dans les années 1950, dans son ouvrage Classes laborieuse, classes dangereuses, à une époque où les classes populaires étaient considérées comme le milieu d'origine de la plupart des délinquants.

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