Intervention de Véronique Blanchard

Mission d'information réinsertion des mineurs enfermés — Réunion du 11 avril 2018 à 15h30
Audition de Mme Véronique Blanchard historienne spécialiste de la justice des mineurs ancienne éducatrice enseignante à l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse

Véronique Blanchard :

Je me suis intéressée, notamment dans le cadre de mon ouvrage Mauvaises filles : incorrigibles et rebelles, à la situation particulière des mineures délinquantes. Quelles sont les spécificités de la délinquance des mineures ? Des actions particulières sont-elles nécessaires à destination de ce public ?

L'originalité de la délinquance des filles réside dans la conscience de sa spécificité. Tout est question de perception de genre : une mauvaise fille n'est pas un mauvais garçon. Le regard social reproche à une fille ce qu'elle est, tandis qu'il reproche à un garçon ce qu'il fait. Au risque de choquer les juristes, la loi n'a pas de sexe, mais elle a un genre : la loi qui est écrite pour tous n'est pas appliquée uniformément selon le genre des jeunes prévenus au tribunal. Il importe donc de réécrire l'histoire de la délinquance féminine en tenant compte de la place des filles et des femmes dans la société française. La délinquance des femmes est largement invisibilisée, depuis le XIXe siècle, par le corps social. La sexualité est centrale dans la perception de la délinquance des jeunes femmes. La première des actions doit être la formation des professionnels, afin de faire prendre conscience des stéréotypes de genres et de la prévalence de nos représentations.

En tant qu'éducatrice au sein de la PJJ sur le terrain pendant près de dix ans, en Seine-Saint-Denis, j'ai appris à me méfier de l'exigence d'efficacité et des éventuelles solutions miracles. Néanmoins, comme historienne et formatrice, je pense que le placement en institution doit demeurer une exception, en privilégiant le plus rapidement l'ouverture à la fermeture. Le milieu ouvert implique des moyens conséquents, en personnels et en imagination. Éduquer, c'est multiplier les possibles, afin de permettre à ces jeunes de trouver une voie pour l'avenir. Tout ne se joue pas à l'adolescence : il y a un risque éducatif à prendre et il faut parvenir à le défendre devant nos concitoyens.

La formation des professionnels est fondamentale pour assurer une prise en charge de qualité. Tournée vers les sciences juridiques, humaines et sociales, cette formation doit également s'inscrire dans une forme de bienveillance. Il faudrait peut-être mieux entendre la parole des anciennes et des anciens détenus qui sont d'ailleurs de réels experts sur la question des mineurs enfermés. La plupart ont pu trouver leur place dans la société, une place autre que celle qui leur avait été prédite. En conclusion, je citerai l'un d'eux : « Mon exemple est très marqué dans le temps, mais c'est certainement par la multiplication des témoignages que la réalité du vécu des jeunes égarés pourra être appréhendée tout en les inscrivant dans une étude objective. Je garde encore l'espoir que la multiplication des études universitaires et professionnelles arrive un jour à convaincre la classe politique de toute obédience de la nécessité de mettre enfin en place des dispositions qui permettent aux jeunes égarés de trouver leur place au sein de la collectivité. Toutefois, je reste convaincu que la solution doit être trouvée par la résolution des difficultés rencontrées bien avant le passage à la marginalité. Je ne crois pas qu'on naisse délinquant ; c'est la vie qui mène vers ces sentiers tortueux. »

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