Intervention de Luc Poyer

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 16 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Luc Poyer président du directoire d'e.on france olivier puit directeur général délégué d'alpiq france michel crémieux président d'enel france et frédéric de maneville président de vattenfall france

Luc Poyer, président du directoire d'E.ON France :

À l'instar de mes collègues, je vais faire un petit rappel sur ma société. (M. Luc Poyer fait distribuer un document aux membres de la commission d'enquête.)

L'entreprise E.ON est l'un des premiers utilities européens, l'un des premiers opérateurs de gaz et d'électricité. Elle a une activité significative dans onze pays. C'est le premier groupe à être sorti de son marché naturel, l'Allemagne, pour être aujourd'hui présent au Royaume-Uni, en Scandinavie, en Russie. Elle a un rôle souvent méconnu de deuxième producteur d'électricité nucléaire en Europe, avec aujourd'hui vingt-et-un réacteurs, dont neuf en tant qu'opérateur, en Allemagne et en Suède, comme cela été dit. Nous sommes le troisième opérateur au monde d'éolien offshore. Nous sommes également très présents dans l'hydroélectricité. Nous sommes directement concernés, vous le savez, par les choix politiques faits en Allemagne, ce que l'on appelle la transition énergétique. Nous sommes aux premières loges pour subir, mais également nous adapter à cette nouvelle donne sur le premier marché énergétique européen, où nos parts de marché nous placent au premier rang. Mais, comme le disait mon collègue, le marché allemand est ouvert, très ouvert, et nous avons moins de 30 % de parts de marché en matière de production. Nous avons dû céder en plusieurs étapes de nombreux actifs à d'autres acteurs européens, dont des acteurs français.

Je ferai peut-être un clin d'oeil sur notre activité en France. Nous sommes un petit peu à part. Nous sommes quatre acteurs présents ici, et nous sommes solidaires, mais nous, nous sommes un acteur européen ; c'est à ce titre que je comprends mon invitation à m'exprimer devant vous. Nous sommes aussi un opérateur historique. Nous sommes fiers de notre ancrage dans quatre bassins miniers français : la Lorraine, la Provence, la Bourgogne et le Nord-Pas-de-Calais. Je crois donc que nous sommes aujourd'hui le seul acteur européen autre qu'EDF et GDF Suez qui opère avec un parc de plusieurs centrales. Nous sommes donc des praticiens du sujet. Nous avons investi plus de 500 millions d'euros dans les cinq dernières années sur notre parc, et nous avons encore plusieurs projets, qui représentent des centaines de millions d'euros, pour moderniser et diversifier ce parc.

Je veux juste souligner - c'est tout de même sous-jacent derrière le mix électrique et les coûts réels de l'électricité - que nous sommes dépendants des évolutions réglementaires et législatives. Nous avons donc suivi avec beaucoup d'attention les développements des dispositifs prévus dans la loi NOME, qui sont tout à fait essentiels.

Je pense, d'une part, à la disparition progressive d'ici à 2015 de tous les tarifs, sauf les tarifs bleus - c'est du moins ce que nous avons compris de la loi NOME - et, d'autre part, à ce grand changement : comme cela a été indiqué, le fait que d'autres opérateurs puissent investir dans toutes les technologies de production, y compris le nucléaire, nous paraît tout à fait fondamental dans le cadre européen, où tous les acteurs peuvent investir dans tous les pays. La France en a bénéficié. Il faut aujourd'hui que les autres acteurs européens puissent aussi entrer dans ce jeu. En tant qu'acteur français, nous sommes convaincus que c'est l'intérêt national.

J'en viens aux coûts de l'électricité. Je ferai un petit préalable pédagogique. Il faut bien distinguer de quoi on parle.

Quand on parle de « coûts de l'électricité », il y a ce qu'on appelle l'ordre de mérite, en anglais le merit order, qui est en fait le coût variable sur lequel sont dispatchées les centrales. C'est celui qui se crée sur le marché électricité. Vous avez une courbe sur le slide 5. On voit l'offre et la demande qui se rencontrent. C'est donc bien le coût variable de l'unité de production la plus chère nécessaire pour couvrir la demande qui rencontre la courbe de demande. Ce qu'il est important de souligner, c'est qu'on voit bien l'échelle des productions, et on voit bien l'effet : le nucléaire, qui est la base, est le moins cher ; ensuite, quand la demande augmente, on passe au charbon, au cycle combiné gaz, voire au turbine gaz.

Ce qui est intéressant - je ne m'étendrai pas, sauf si vous voulez approfondir la discussion -, c'est d'observer le développement du renouvelable, auquel E.ON participe puisque nous sommes un des premiers producteurs de renouvelable. J'ai parlé de l'offshore, de l'hydroélectricité. Mais les développements, en particulier les développements de l'aide, les incitations à produire, à installer du solaire, de l'éolien, notamment en Allemagne, avec plus de 25 000 mégawatts de solaire, viennent, nous le voyons, modifier cette courbe et transformer profondément les équilibres économiques, donc transformer ou impacter les signaux de prix et, in fine, les décisions d'investissement. C'est un sujet tout à fait fondamental.

Mais il y a une autre manière d'aborder les coûts de production. C'est ce que l'on appelle les coûts de développement. On ne parle pas de la même chose. Par exemple, dans le rapport Champsaur ou dans le débat sur le coût du nucléaire dans le rapport de la Cour des comptes, là, on parle de l'ensemble des coûts qu'on actualise pour voir combien coûte un investissement. Dans l'opinion, c'est important. On confond souvent les deux notions.

On vous a distribué un document. Sur les slides 6 et 7, vous voyez un peu ce que dit - on peut évidemment vous communiquer le rapport complet - l'étude du pendant allemand de l'UFE, qui s'appelle VGB, c'est-à-dire l'association des grands producteurs d'électricité en Allemagne. Vous avez ainsi les coûts de développement vus du côté allemand. En fait, vous voyez une grande similitude avec l'étude de l'UFE. C'est heureux qu'on arrive aux mêmes conclusions des deux côtés du Rhin.

Je signale juste ce qu'on voit sur le slide 7. Ce qui est intéressant, sans aucun parti pris de mix énergétique, c'est qu'avec l'EPR, en tout cas dans sa forme standard - je ne parle pas des coûts de tête de série -, on arrive à des coûts de développement autour de 60 euros le mégawattheure, d'après une analyse germanique.

Vous voyez qu'on est à 60 euros le mégawattheure. C'est cohérent avec les estimations de l'UFE. Encore une fois, cela ne se base pas sur une tête de série. Cela date de 2011 ; on n'avait pas les dernières estimations à l'époque des coûts de l'EPR en construction, mais on peut raisonnablement espérer que l'on arrive, sur des séries, à ces coûts. Cela se compare évidemment aussi au coût du nucléaire historique, que vous connaissez - cela a dû être évoqué lors des précédentes auditions -, avec le rapport Champsaur et les autres méthodologies. Là, selon les évaluations, on est entre 35 euros et 40 euros le mégawattheure.

Toujours sur le slide 7, c'est intéressant de voir l'analyse sur les coûts de développement du renouvelable. Et là, il faut être attentif. On revient assez vite à la problématique du marché, car le rôle du progrès technologique est fondamental pour faire baisser les coûts du renouvelable. Si vous voulez inciter les acteurs comme nous à faire des progrès technologiques, il faut faire très attention à la manière dont on incite à construire des installations de renouvelable. Sinon, tout le monde s'endort derrière les tarifs de rachat, et l'émulation par la concurrence - c'est quand même le coeur de la concurrence - ne se fait pas. Sur le tableau, on retrouve là aussi le ranking, l'ordre de mérite français. Le point de vue d'E.ON est que c'est dans le photovoltaïque, et dans une moindre mesure dans l'offshore, qu'on s'attend à la baisse la plus importante des coûts. Et E.ON met toute sa capacité d'investissement, c'est-à-dire plus de 1,5 milliard d'euros par an dans le renouvelable, à contribuer à cette baisse des prix en matière de renouvelable, qui est une contribution importante aux finances publiques, puisque, in fine, en Allemagne comme en France, on a un dispositif de tarif de rachat. Le rôle d'acteurs comme nous, c'est, en stimulant la concurrence et en étant très fermes dans nos appels d'offres en matière de technologie de renouvelable, de faire baisser les coûts. C'est cette baisse des coûts qui permet aux États de baisser les tarifs de rachat, donc de se rapprocher le plus possible de ce qu'on appelle le grid to parity, qui permettra un jour, le plus vite possible, d'éviter de verser des subventions pour que puisse se développer le renouvelable.

Sur le slide 8, vous voyez les coûts de développement selon l'étude de l'UFE.

En conclusion, je rejoins ce qui a été dit. Il faut un mix énergétique optimal et, bien sûr, un ensemble équilibré de moyens mis en oeuvre, avec des moyens peu capitalistiques ou avec des amortissements courts, comme les cycles combinés gaz, qui sont très importants pour constituer le support du renouvelable, avec les problèmes d'intermittence dont on a parlé, et des moyens très capitalistiques, à amortissement long, tels que le nucléaire ou le charbon si la technologie CCS peut devenir rentable. Je parle bien sûr de renouvelable développé sur une base compétitive.

On parle de mix énergétique, mais ce que l'on voit avec la transition allemande, et j'en terminerai par là, c'est qu'il y a deux points à souligner.

Premièrement, les moyens de production ne sont qu'un élément d'un autre mix, celui qui comprend le stockage, les interconnexions, les effacements.

Deuxièmement, le mix peut évidemment rester un choix national, mais les opérateurs européens comme nous, en tout cas E.ON, invitent les autorités nationales à se coordonner peut-être encore plus qu'elles ne le font aujourd'hui, en particulier entre la France et l'Allemagne. Tout ce qui ira dans le sens d'une coopération plus grande entre nos deux États ira dans le bon sens pour des industriels comme nous.

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