Mes chers collègues, permettez-moi de revenir sur les propositions contenues dans mon rapport d’information sur le baccalauréat que j’avais alors présentées à la commission, car elles participent de la même conception des réformes à mener que celle qui a été exprimée par le Président de la République. Elles pourront donc contribuer utilement à la réflexion que vous conduisez, monsieur le ministre.
Les faiblesses du lycée sont bien connues : celui-ci souffre conjointement d’une orientation des élèves par défaut et par l’échec, d’une hiérarchisation des voies, puis des filières, au profit de la voie générale et de la filière S, et d’une insuffisante préparation de l’entrée dans l’enseignement supérieur. Ces constats suffisent à établir qu’une réforme du lycée nécessite parallèlement une réflexion sur le collège et sur l’université, ainsi que sur les établissements d’enseignement supérieur, afin de donner aux élèves la possibilité de construire progressivement un projet professionnel et un projet de vie.
C’est pourquoi la commission de la culture, de l’éducation et de la communication avait demandé que soit mise en place une véritable préparation à l’orientation dès le collège. L’instauration d’un parcours de découverte des métiers et des formations à partir de la classe de cinquième et l’option d’une découverte professionnelle en classe de troisième constituent des premiers pas intéressants. Il faudrait sans doute aller plus loin encore en prévoyant que la scolarité de tout collégien permette à celui-ci d’aborder les trois dimensions des études générales, technologiques et professionnelles.
En outre, les enseignements de détermination prévus en classe de seconde ont été détournés de leur sens ; ils servent de fait aux élèves à se pré-orienter, avec le consentement tacite du système éducatif.
Pour redonner tout son sens au choix opéré par les élèves en fin de seconde, il faut adopter une nouvelle logique en leur faisant découvrir l’ensemble des champs disciplinaires qu’ils pourront approfondir au lycée en choisissant telle ou telle série. Il conviendrait notamment de consacrer explicitement une séquence de découverte aux seules études technologiques, afin de respecter leur spécificité.
La hiérarchisation des filières en première et en terminale du lycée général se traduit par le succès massif de la section S et l’assèchement de la section L, alors que la section ES semble avoir trouvé son point d’équilibre.
Cette répartition des effectifs ne traduit pas une appétence particulière des élèves pour les études scientifiques. Elle reflète, au contraire, la conviction des familles et des étudiants que la série S ne ferme aucune porte et permet de suivre des cours aussi bien en IUT, en khâgne ou dans une école de commerce. Ce phénomène démontre que la grande majorité des lycéens souhaitent désormais suivre une formation aussi ouverte que possible. C’est pourquoi nous proposons un tronc commun pour les trois séries, qui serait complété par un jeu d’options.
Le noyau commun comprendrait le français, la philosophie, les mathématiques, une langue vivante et l’histoire-géographie, et pourrait aussi valoir pour les voies technologiques et professionnelles, à charge pour les enseignants d’adopter les méthodes pédagogiques adaptées à chacune d’entre elles.
Le choix des options serait encadré afin d’assurer un équilibre entre les trois groupes majeurs que sont les études littéraires, les sciences économiques et sociales et les disciplines scientifiques. Il serait ainsi possible de permettre une certaine différenciation des parcours des élèves sans laisser libre cours à la reconstitution brutale – j’allais même dire « bête et brutale » – de filières hiérarchisées.
Le baccalauréat n’est pas seulement le couronnement de la scolarité secondaire. Comme je viens de le rappeler, il ouvre également les portes de l’enseignement supérieur et de la vie active et, à ce titre, il doit y préparer convenablement.
À cette fin, le cycle terminal pourrait être réorganisé en distinguant l’année de première, tournée vers l’acquisition de connaissances, qui pourrait être sanctionnée par une première série d’épreuves du baccalauréat, et l’année de terminale, qui aurait pour vocation principale d’initier les élèves aux méthodes ayant cours dans l’enseignement supérieur en développant leurs capacités d’autonomie, de réflexion et d’argumentation. Ce serait donc avant tout une année de maturation préparant au supérieur, durant laquelle une place plus importante pourrait être laissée au travail personnel ainsi qu’au travail de groupe.
Une fois le baccalauréat acquis, encore faut-il pouvoir, lorsqu’on le souhaite, s’inscrire dans une filière de l’enseignement supérieur qui correspond à son profil. Il est important, à cet égard, d’accueillir dans le supérieur court, IUT ou STS, tous les bacheliers technologiques et professionnels qui en ont la possibilité et qui en font la demande.
Pour ce faire, deux possibilités peuvent être envisagées : d’une part, la reconnaissance d’un droit d’inscription prioritaire en STS et dans certaines filières des IUT aux bacheliers professionnels et technologiques ; d’autre part, le développement de dispositifs financiers incitatifs indexant une partie des dotations de ces filières sur la proportion de bacheliers technologiques et professionnels qu’elles accueillent. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a mis en place un tel système pour développer l’accueil des bacheliers technologiques en IUT. Il pourrait être renforcé et étendu aux STS.
Je vous ai retracé brièvement les préconisations de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pour une réorganisation du parcours d’étude du collège à l’entrée dans le supérieur.
Permettez-moi de m’attarder maintenant sur deux points sur lesquels le président de la République a insisté dans son allocution du 13 octobre et qui me tiennent particulièrement à cœur : l’apprentissage des langues et l’accès à la culture au lycée.
Il me semble important de ne pas réduire l’apprentissage des langues étrangères à un simple vecteur d’insertion et de réussite professionnelle. Il doit aussi être le pivot d’une politique ambitieuse de la diversité culturelle permettant l’épanouissement et l’enrichissement des individualités dans le dialogue réciproque.
J’ajouterai qu’en apprenant une langue étrangère on approfondit, par la même occasion, la connaissance de sa propre langue maternelle et l’on en discerne mieux les nuances et les articulations.
Il convient toutefois de veiller à ce que la promotion des langues étrangères ne se résume pas aux seuls efforts en faveur de l’anglais. C’est un fait que 98 % des 5, 2 millions d’élèves du secondaire apprennent l’anglais. Il est impératif qu’il leur soit bien enseigné, en mettant l’accent sur la compétence orale ; c’est en effet nécessaire.
Mais il faut aussi valoriser des langues telles que l’allemand, le portugais, le russe, le chinois ou l’arabe, dont les effectifs varient de 18 000 à 6 000 étudiants seulement sur le secondaire.
Monsieur le ministre, il n’est pas superflu de proposer à certains de nos élèves dont les familles étaient arabophones la possibilité d’apprendre l’arabe dans l’école de la République. Il ne faut pas se contenter de dire qu’il n’y a pas de demande. Elle est présente et il est même paradoxal de constater, alors qu’il n’est pas demandé à l’école de satisfaire cette demande, que les élèves concernés trouvent en dehors du circuit officiel l’occasion d’apprendre cette langue, avec toutes les dérives que l’on peut craindre !
Ces langues offrent des perspectives insoupçonnées des élèves et des familles : elles permettent de distinguer des profils et d’ouvrir des opportunités nouvelles dans les pays émergeants ; elles sont aussi un moyen, pour des jeunes d’origine étrangère, de renouer positivement avec leur identité culturelle, tout en s’intégrant à la communauté nationale qu’ils enrichiront par la diffusion en retour de leur héritage.
Le président de la République a également mis l’accent sur l’élargissement de l’accès à la culture dans les lycées.
La création de vidéoclubs présentant les grands films du patrimoine, la diffusion audiovisuelle des grands événements et la mise en place d’un référent culturel dans les établissements ont été évoquées. Ce sont-là des voies intéressantes pour rapprocher les jeunes de la culture, en mettant à profit les technologies et les médias dont ils sont le plus familiers.
Mais j’aimerais profiter de l’occasion qui m’est donnée pour exprimer mes interrogations sur l’opportunité de supprimer les épreuves de culture générale dans les concours administratifs de catégorie C et B.
Cette suppression envisagée me paraît en dissonance avec l’objectif de diffusion plus large de la culture dans les lycées. Ce n’est pas un débat neuf, mais on ne peut pas faire disparaître une épreuve de culture, même au nom de l’équité.
Ces remarques ne manifestent aucune défiance devant la réforme du lycée que doit mener le Gouvernement. Monsieur le ministre, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat saura se montrer un partenaire attentif et constructif, dont les propositions pourront vous aider à affiner votre projet. Nous souhaitons poursuivre avec vous un débat dont nous savons qu’il est essentiel pour l’avenir de notre jeunesse et de notre pays.